Michel Houellebecq : « Les gens ont besoin d’être rassurés. Ils ne peuvent plus supporter la moindre trace de négativité, ni même de réalisme ».

Dans un intéressant entretien accordé au magazine Paris Match en date du 16 novembre 2006, Michel Houellebecq émerge -en meilleure forme- après l’effervescence de la rentrée littéraire et du phénomène Jonathan Littell. Il livre une analyse intéressante de la génération d’auteurs qu’il représente (a représenté ?), qualifiée de « nouvelle génération » du nom de la fameuse collection « J’ai lu » lancé en 1998 (dans laquelle nous nous inscrivons sur le Buzz littéraire) et de l’avenir du roman réaliste (dit « dépressif » par ses détracteurs)… Il annonce aussi ses futurs projets littéraires (science fiction), l’adaptation ciné de « La possibilité d’une île » (tournage en avril 2007), revient sur le lynchage de La possibilité d’une île, et donne son avis sur le système d’édition à la française. Après une déconvenue sur un auteur qu’il avait personnellement recommandé, il estime « qu’il soit possible qu’à l’heure actuelle de grands textes restent ignorés »… Ce qui ne manqura pas de ravir les écrivains vengeurs !

Extraits :

Son analyse sur la littérature française de ces dernières années :
« En 1994, avec la parution de “Cantique de la Racaille” de Vincent Ravalec et de mon livre “Extension du domaine de la lutte”, avec la création du prix de Flore, avec le passage des “Inrockuptibles” à un rythme hebdomadaire, quelque chose de nouveau est apparu. Certaines institutions ont suivi le mouvement très vite, comme Canal+ ou J’ai lu. La mention “Nouvelle génération” sur les J’ai lu avait agacé tous les participants – nous étions trop individualistes pour nous sentir membres d’une génération ; mais, avec le recul, c’était la vérité ; J’ai lu et Librio ont fait un très beau travail. On a vu arriver des gens qui tenaient leur culture du Livre de Poche – c’est-à-dire de la littérature classique, mais aussi de la littérature de genre (polar, fantastique, science-fiction). (Lire aussi : la chronique sur la littérature trentenaire)

« Quand une société est forte et sûre d’elle-même, comme la France du XIXe siècle, elle peut supporter une littérature négative. Ce n’est plus vraiment le cas de la France d’aujourd’hui. Les gens ont besoin d’être rassurés. Ils ne peuvent plus supporter la moindre trace de négativité, ni même de réalisme. »

Ce mouvement n’aura duré que dix ans…
« Après tout, la grande époque de la pop n’a pas duré plus de dix ans, ni l’époque de haute tension du romantisme ou du surréalisme. Bon, je ne veux pas nous comparer à ces gens-là, nous étions quand même d’un niveau en dessous. »

Ses projets littéraires :
« Je pense revenir à mes premières amours : la science-fiction. “La possibilité d’une île” est une étape dans cette mutation. La science-fiction me permet de bifurquer vers une littérature plus poétique et plus ouverte au rêve. Les motivations des personnages peuvent y être moins dictées par la dichotomie balzacienne (le plaisir et l’or). En se projetant dans l’avenir, on peut imaginer d’autres ressorts. »

A propos des éditeurs français :
« Un peu conventionnels : ils n’aiment pas les nouvelles, ils n’aiment pas la poésie… Une fois, j’ai voulu faire publier un livre que l’on m’avait envoyé. Echec. C’étaient des nouvelles écrites par une fille, je les avais trouvées bonnes, je les ai données à un éditeur, et ça n’a pas marché. Ça m’a énervé. Surtout quand on songe que les éditeurs confient la lecture des manuscrits arrivés par la poste à n’importe qui. C’est un travail bas de gamme dans les maisons d’édition, alors qu’il devrait être confié à la personne la plus qualifiée. Il est tout à fait possible à l’heure actuelle que de grands textes restent ignorés. »

Source : Paris Match, 16/11/06.
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17 Commentaires

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    • Yann sur 30 novembre 2006 à 9 h 47 min
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    Un recueil de nouvelles recommandé par M.H et jamais publié ? étonnant, surtout quand on pense au succès éditorial possible (voir Anna Gavalda)

    • Yann sur 30 novembre 2006 à 9 h 48 min
    • Répondre

    Un recueil de nouvelles recommandé par M.H et jamais publié ? étonnant, surtout quand on pense au succès éditorial possible (voir Anna Gavalda)

  1. hé hé, j’avoue que ça m’a surprise…
    Mais rappelons qu’un écrivain aussi bon soit-il n’est pas forcément doué pour repérer ce qui peut être édité ou non… Oserai-je dire chacun son travail éditeur/écrivain. Je ne sais pas si le mélange des casquettes est bon d’ailleurs ? Cette mésaventure témoigne en tout cas que même lorsque c’est Michel Houellebecq, en personne, qui propose un texte, il n’y a pas de favoritisme ou de copinage qui compte ! Je serai tout de même curieuse de voir à quoi ressemblaient ces fameuses nouvelles non publiées…

  2. Se faire chier à aller prendre le thé avec nourrissier et pas en être récompensé, ça doit être décevant, effectivement… j’opte plus pour de la simple désinformation, néanmoins, je trouve ça plus "romanesque".

    • Pistolero sur 30 novembre 2006 à 16 h 42 min
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    C’est une évidence que de rappeler qu’un grand auteur peut être oublié ou ne pas être reconnu. L’histoire de l’art est riche de talents qui ne furent découverts que posthumes et ceux qui croient que la médiatisation empêche l’indifférence et l’oubli ont évidemment complétement torts.
    D’ailleurs, chacun sait que le succès est une lotterie et rien d’autre et que de vouloir mettre en parallèle succès et qualité est absurde.

    • Pistolero sur 30 novembre 2006 à 17 h 02 min
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    "Quand une société est forte et sûre d’elle-même, comme la France du XIXe siècle, elle peut supporter une littérature négative."

    Il me semble que M.H se trompe en croyant que le 19ème siècle fut accueillant pour les auteurs de la négation. "L’éducation sentimentale" fut très mal reçue à sa sortie et jugée trop noire, et Baudelaire mourut sans avoir accédé à la place qu’il convoitait.
    En réalité, c’est au 20ème siècle et suite à la seconde guerre, que la littérature s’est ouverte à la noirceur avec par exemple Beckett.
    Quant à l’époque actuelle, elle est au contraire très favorable à la négativité, en témoignent les succès de M.H, de B.E Ellis ou de Palhaniuk. Et on peut presque dire, que le trash est sorti victorieux du 20ème siècle alors que le 19ème a maintenu dans la marginalité ses grands artistes du refus.

  3. Je ne suis pas d’accord avec Pistolero.
    Effectivement, à la fin du XXe siècle, la noirceur dominait. Mais aujourd’hui, il y a un retour de l’optimisme d’une part et d’autre part, le politiquement correct à interdit de parler de certains sujets sensibles.
    Dans le domaine du cinéma et du disque, c’est très visible. Les comédies satiriques au vitriol ont été remplacés par de la guimauve avec un happy end obligatoire(comparez par exemple les Bronzés 3 avec les 2 premiers.)

    La littérature résiste un peu, mais le phénomène semble inéluctable. Il faut dire aussi qu’à une époque, tous les éditeurs ont voulu "leur" Houellebecq. D’où la multiplication des clones et un ras-le-bol du public.

    • Pistolero sur 30 novembre 2006 à 17 h 26 min
    • Répondre

    Tu cites en exemple les Bronzés pour parler de la littérature du mal ?
    Je ne peux évidemment pas discuter avec toi…

    Je rappelle juste pour mémoire que Bataille, Beckett, Thomas Bernhard ne sont pas des auteurs du 19ème et que Littel qui a actuellement tellement de succès n’est pas l’auteur d’une bluette mais d’un roman dont le "héros" est un nazi.

    Il est évident qu’en art (je ne parle pas des oeuvres de divertissement), le trash est à la mode aussi bien en littérature que dans l’art contemporain.

    • MonsterJack sur 30 novembre 2006 à 23 h 21 min
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    Comment, vous êtes passés à côté de la vraie info?

    Cessez vos querelles puériles, le succès n’est pas une loterie et comme l’affirme notre très belle schtroumpfette (je perds combien de points sur ce coup là?) : « il n’y a pas de favoritisme ou de copinage qui compte ! » et là je suis 100 % d’accord avec elle.

    Non l’info essentielle c’est que Houellebecq arrête cette littérature « des anti-héros urbains, dandy et/ou looser, à la sensibilité à fleur de peau, en prise avec leurs états d’âme, leurs doutes, leurs paradoxes », nombriliste, autobiographique, et dépressive. Fini tout ça !!! Et comme le dit si bien Pistolero, « tous les éditeurs ont voulu "leur" Houellebecq. D’où la multiplication des clones et un ras-le-bol du public ».

    Houellebecq affirme: « Je pense revenir à mes premières amours : la science-fiction », ce qui confirme que la littérature nommée « trentenaire » par Alexandra était une parenthèse. Et vers quoi va-t-il s’orienter maintenant? « vers une littérature plus poétique et plus ouverte au rêve ».

    Et comme je l’affirmais précédemment dans le débat sur la littérature trentenaire : « Le vrai problème, c’est que depuis des lustres plus personne ne sait écrire une histoire avec un vrai héros. Tout le monde se complait dans la facilité de décrire la médiocrité de notre époque. Et je dois dire que c’est lassant de ne jamais pouvoir rêver, être transporté par un texte ».

    Michel Houellebecq tourne enfin la page, et au vu de son talent incontestable, une nouvelle ère s’ouvre…

    • Pistolero sur 1 décembre 2006 à 2 h 34 min
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    "Comme le dit si bien Pistolero, tous les éditeurs ont voulu "leur" Houellebecq."
    Désolé de vous contredire encore, mais la paternité de cette phrase revient à Joest.

    Le rêve n’est pas une forme très héroïque de l’existence, mais un décalage, une transposition, une modification du réel. Le terme même de héros prête à confusion. Qui sont les héros modernes ? Les stars ? Les grands criminels ? Je ne demande pas à la littérature de me faire rêver, je me méfie des rêves, je veux seulement qu’elle m’instruise. Car pour ce qui est de rêver, je préfere le cinéma ou mon lit. Ce qui me fait rêver, c’est la capacité de l’esprit humain d’aimer être subjugué par des formes.

    • MonsterJack sur 1 décembre 2006 à 9 h 07 min
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    Petite anecdote sur la schtroumpfette,
    La femme de Peyo (le dessinateur des schtroumpfs) la détestait car elle estimait qu’elle incarnait l’image de la femme tant décriée (avec raison) par Alexandra…

    PS: Pistolero, vraiment désolé pour cette méprise, il s’agissait bien d’une phrase de Joest.

  4. Pistolero> D’accord pour Bataille, mais qui oserait écrire: "Le bleu du ciel", aujourd’hui?

  5. Pistolero, merci de ton éclairage très intéressant sur les époques et les courants littéraires. De prime abord, la réflexion de Houellebecq me semblait pertinente dans le sens où l’on entend régulièrement des gens se plaindre du "roman dépressif" français, ce qui est une connerie pure. Quel roman (réussi) est optimiste et se termine avec un happy-end consensuel qui ne fait de mal à personne ?
    La littérature se nourrit avant tout des drames, des névroses, des hontes et donc de la part sombre de l’humanité, je pense.
    Quand tu cites M.H, de B.E Ellis ou Palhaniuk > attention ces auteurs appartiennent déjà plus à l’époque des 90’s que l’époque actuelle immédiate (2006). Il se passe beaucoup de choses en 10 ans…
    Toutefois l’exemple de Littell vient en effet contredire cette thèse mais je dirai qu’il constitue un peu un cas particulier dans le paysage littéraire…
    Le trash me semble aussi en perte de vitesse… Ses auteurs phare se sont d’ailleurs assagis depuis.
    Difficile de visualiser le visage de la relève encore…

    Monster, eh oui nous sommes puérils face à toi (n’oublions pas que tu sembles être le doyen par ici lol !). Concernant cette (triste) nouvelle d’orientation sur la SF, oui effectivement c’est une info importante qui rejoint les débuts de M.H (essai sur Lovecraft) et s’inscrit ds la lignée de La possibilité d’une île, livre d’ailleurs qui ne m’avait pas tenté justement à cause de cette composante clonage/raeliens…
    Mais qui sait peut être que MH va me réconcilier avec ce genre qui m’est un peu antipathique…

    Suis aussi OK avec tous les éditeurs ont voulu "leur" Houellebecq." A ce titre, je citerai l’excellent livre qui s’inscrit avec talent dans la lignée d’Extension. J’ai adoré et je vous le recommande !
    Do you like your job de Charles Guérin Surville
    buzz.litteraire.free.fr/d…

    Sinon pas du tout, du tout d’accord avec cette fonction d’instruction de la littérature. Il faut lire des essais Pistolero pas des romans dans ce cas ! Et également pas d’accord non plus avec "Le vrai problème, c’est que depuis des lustres plus personne ne sait écrire une histoire avec un vrai héros" : les héros houellebecquiens qui sont effectivement ces doubles (mais après tout ce n’est qu’un détail) sont pour moi extrêmement forts et vivants.

    PS Monster : j’aimais bien la shtroumpfette moi, pour une fois que c’était une femme qui disposait d’un harem !

  6. J’ai l’impression que la mode du début du XXe siècle, c’est davantage celle des clones de Bridget Jones et de Lolita Pille. D’un côté des bleuettes légèrement dépressives (mais avec happy end) et de l’autre des plongées vaguement trash dans l’univers de la nuit.

    Cela dit, je ne comprends pas pourquoi on ne pourrait pas tracer des parallèles entre littérature, musique et cinéma.
    La richesse des Houellebecq, Ravalec et cie., c’est qu’il prenaient des références à droite et à gauche, hors du sacro-saint domaine de la littérature "sérieuse".

    • MonsterJack sur 4 décembre 2006 à 8 h 42 min
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    Je ne pense pas que tu sois si éloignée du doyen, dans l’esprit. A te lire, par ailleurs, souvent je constate que notre façon d’appréhender notre rapport à la société actuelle est quelque peu similaire. Mais nous en reparlerons dans une page plus appropriée, celle des trentenaires par exemple.

    Pour en revenir au sujet, je te livre une piste, qui évidemment est en accord avec ce que je n’arrête pas de dire, je pense très fortement à Max Monnehay. Mais je ne sais pourquoi, tu sembles faire un blocage sur elle. Je sais que ce n’est pas toi qui avait à charge de chroniquer le livre, mais tu n’as pas eu la curiosité de le lire.

    Enfin, je ne parlais pas des héros houellebecquiens qui sont extrêmement fort et vivants comme tu le dis avec juste raison (d’ailleurs si Houellebecq quitte ce genre de littérature, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il était allé au bout de cette impasse), mais ceux de ses clones. Qui d’autres à part lui, B.E.E. ou Echenoz ?

    J.M.

    PS : Tu aimais bien la Schtroumpfette quand tu étais encore une (sale!?) gamine, mais maintenant trentenaire (avertie), je ne pense pas que tu apprécierais toujours l’image qu’elle renvoie de la femme. Il est vrai qu’il faut replacer cette BD dans son contexte, la Schtroumpfette a été crée au début des années 60… (De toute façon, moi, je te préfère en brune, 🙂 )

  7. Oui, tu es certes le « doyen » du site mais néanmoins proche de la génération actuelle des trentenaires qui ont directement été influencés par votre idéologie (dont Houellebecq est le chef de file); et sinon je ne "bloque" pas sur M.Monnehay, (qui s’inscrit d’ailleurs dans un genre très noir) !
    C’est juste que l’on se répartit les livres à lire et ce n’est pas moi qui l’ai lue. J’ai préféré relire Houellebecq il est vrai 🙂
    Je suis d’accord sur le fait que MH est allé au bout de ses personnages.
    Il commençait d’ailleurs à se répéter. Toutefois, je ne suis pas certaine de le suivre dans ses nouvelles orientations. Son lectorat va sans doute évoluer aussi je pense.

    • MonsterJack sur 5 décembre 2006 à 8 h 50 min
    • Répondre

    Je ne pense pas que Max Monnehay s’inscrive dans un genre très noir, mais plutôt dans une veine : d’un tas d’ordure peut naître la beauté. Et pour ce livre, plus particulièrement, comme une ode à l’amour. Mais bon, comme tu ne l’as pas lu, on n’en discutera pas…et toc !

    La positive attitude 🙂 est de suivre la nouvelle aventure de Michel Houllebecq et non de se renfermer sur ses préceptes. Surtout pour toi qui doit tout (!) à MH…

    J.M.

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