Women de Charles Bukowski : L’aura aphrodisiaque de l’écrivain

Women de Charles Bukowskiest le carnet de bord anatomico-sexuel de ses conquêtes réelles ou fantasmées. « La Vie amoureuse d’une hyène » comme il la surnomme. Ses « coups » bons (« juteux » selon son expression) ou pathétiques qui s’enchaînent sur près de 400 pages, presque plus vite que l’auteur n’a le temps de remonter son caleçon entre une Mindy ou une Debra… Il fallait oser les aligner en série et les étudier comme on ferait un rapport clinique en livrant les détails les plus bruts et crus de ses « baises » qui ont lieu le plus souvent sans préliminaires (de galanterie ou toute autre précaution préalable…).

Women de Bukowski : ode à la femme et à la luxure

Women, objet insolite, peut donc de prime abord surprendre voire rebuter. Mais ce serait occulter tout son intérêt : celui d’un véritable hymne à la femme, à son corps mais aussi à ses petites habitudes touchantes que l’auteur restitue en observateur attentif et admiratif. Mais aussi un roman bourré d’humour et de tendresse face à ses femmes souvent déjantées dont Bukowski a le malheur de tomber (parfois) amoureux. Après une vie sexuelle d’hyper-acnéique c’est à dire proche de la disette (du temps où il passait ses journées à la Poste) et d’amour « à péage » (avec les putes ivrognes dont sa chère Jane Cooney Baker), Buk découvre, dans les années 60, « l’aura aphrodisiaque » de l’auteur et compte bien rattraper son retard.

Boulimie aphrodisiaque et obsession féminine dans Women de Bukowski

Ecrire, boire et forniquer deviennent alors ses activités à temps plein. Activités qui se nourissent d’elle même (même si les deux dernières ne sont pas toujours compatibles à son grand dam !). « Enfin les dieux m’étaient favorables. Je baisais toutes les femmes et les filles que j’avais matées avec concupiscence sur les trottoirs de Los Angeles en 1937, la dernière mauvaise année de la dépression, à l’époque où la fesse coûtait deux dollars et où personne n’avait d’argent (et encore moins d’espoir). Longtemps j’avais dû attendre ma chance. »

« Je devais goûter aux femmes pour vraiment les connaître, pour les pénétrer. Je pouvais inventer des personnages masculins parce que j’étais un homme, mais les femmes, du moins pour moi, étaient impossibles à imaginer si on ne les connaissait pas. Je les explorais donc de mon mieux et découvrais des êtres humains. J’oubliais alors tout ce qui touchait à l’écriture. L’écriture m’importait beaucoup moins que la rencontre, jusqu’à ce que la rencontre atteigne ses limites. L’écriture n’était qu’un résidu. »

Women est-il le tableau de chasse de Monsieur Bukowski alias Henry Chinasky soigneusement détaillé et commenté par son prédateur ? Oui, c’est une façon de voir les choses. Women, écrit en 1978, aurait eu pour but de « guérir » ses obsessions sexuelles comme il l’aurait promis à son épouse. Le sexagénaire, qui n’a manifestement pas besoin de viagra, s’adonne donc au récit exclusif de ses aventures multiples, d’inspiration a priori autobiographique. Même si l’on soupçonne que le fantasme a probablement embelli voire amplifié les souvenirs…

Reflets de femmes dans un oeil d’homme dans Women de Bukowski

Ce sont donc ses rencontres, baisers, baises, tentatives de concubinages éphémère, disputes, pugilats, ruptures, retrouvailles, adieux… que Bukowski fait défiler dans Women à travers plus de 100 chapitres courts et denses. Les prénoms féminins et les descriptions physiques –mensuration, âge, spécialité sexuelle- se succèdent. Et parfois « la fiche signalétique » prend plus d’épaisseur et s’attarde sur plusieurs pages ou chapitres. C’est le cas de Lydia qui a même droit à un nom de famille « Vance ». La première sur la liste et semble-t-il la plus importante aux yeux de l’auteur. Comme les autres qui la suivront, elle est un peu cinglée. Mère de famille divorcée dont « l’un des yeux joue les filles de l’air », elle ne tardera pas à montrer une jalousie féroce face aux infidélités de son Chinasky, peu enclin à la monogamie…

Pourtant c’est avec elle qu’il fera le plus de concessions. Elle sera celle qui lui apprendra à faire plaisir à une femme (découverte du clitoris !) après ses années d’abstinence. Lydia est aussi une artiste qui sculpte son portrait ce qui donne lieu à un drôlatique rituel entre eux : à chaque brouille, il lui dépose la tête sur le pas de sa porte puis la récupère lors de leur réconciliation sur l’oreiller. Il vit de nombreux moments de complicité avec elle mais le clash est inévitable suite aux nombreuses attaques violentes de Lydia la tigresse qui n’hésite pas à user des poings ou des ongles. Il ira se consoler dans les bras de Dee Dee, femme d’affaires d’âge mûr (la quarantaine) qui l’accueille dans sa luxueuse demeure le distrait et l’entretient le temps qu’il se remette d’aplomb. Elle fait aussi partie des femmes à part dans ce recueil, une femme qui lui inspire plus de respect et une certaine affection tout en l’émouvant. Plus tard, il y aura aussi Tammie, la tornade camée aux amphètes « enfreignant systématiquement les réglements ».

Dans la famille des « douces » avec lesquelles Buk se repose un peu, on trouve Katharine, de son vrai nom Laura mais qu’il rebaptise ainsi en raison de son visage ressemblant à celui d’Hepburn, qui lui donnera l’impression de « violer la Vierge marie ». Nicole l’intello qui lui parle de Huxley et de Lawrence en Italie ou encore celles qui mangent macrobiotique (période baba oblige). En côtoyant une certaine Debra qui s’habille comme dans les années 30, il dit aimer son style qui lui rappelle l’époque où « les femmes étaient vraiment des femmes. » Il regrette que les femmes ne soient plus « féminines » au sens conservateur du terme. Et ajoutera ainsi à propos d’Iris, une canadienne métissée indienne : « Elle n’avait rien de commun avec l’Américaine moyenne, ce qui lui donnait un côté mystérieux. Elle était absolument féminine, sans essayer de vous en mettre plein la vue. Les américaines étaient dures, elles finissaient généralement dans un sale état. Les rares américaines authentiques qui restaient vivaient surtout au Texas et en Louisiane. » De quoi faire bondir une Virginie Despentes !

L’écriture crue, bestiale et tendre de Bukowski dans Women

Avec toutes Bukowski n’a qu’une obsession : les « enfourcher » afin de les « baiser vicieusement » ou « sans pitié » en « donnant des coups de boutoir », « ramoner », « limer » « besogner », « tisonner » ou « s’enfoncer jusqu’à l’os comme un chien » dans leurs « fentes serrées » lorsqu’il « bande comme un âne ». Bref, une sexualité de « sex addict » pour reprendre un terme en vogue, sauvage, dans toute sa crudité, écrite à l’encre de son sperme. « Votre écriture lui dira Nicole, c’est tellement cru. Comme un coup de massue, et pourtant elle contient de l’humour et de la tendresse. » Elle cache aussi une sensibilité sentimentale qu’il essaie de masquer, conscient de la fragilité et vulnérabilité qu’elle implique : « J’étais content de ne pas être amoureux, content d’être en froid avec tout le monde. J’aime être en désaccord avec tout. Les amoureux deviennent souvent susceptibles, dangereux. Ils perdent le sens de la perspective. Ils perdent le sens de l’humour. Ils deviennent nerveux, psychotiques, emmerdants. Ils se transforment même en assassin. » Car c’est sa souffrance que le narrateur tente d’enrayer dans ses assauts frénétiques, celle d’un homme privé d’amour et de tendresse dans son enfance et très seul entre 20 et 40 ans : « J’essaie de rattraper le temps perdu. (…) D’après mes estimations, il me faudra au bas mot une existence entière.« , répond il à une de ses amantes qui lui demande « Pourquoi as tu autant besoin des femmes ? »

Anatomie des femmes dans Women de Bukowski

Au gré de ses confidences, se dessine aussi sa conception de la beauté féminine avec la fragmentation corps/visage souvent opérée par les hommes. Son approche, souvent assez bestiale, évalue les « châssis », les jambes (qu’il aime « longues et galbées »), « Elle a remonté sa robe de deux ou trois centimètres. C’était affolant. Ces jambes superbes qui sortaient peu à peu de cette masse de tissu. Tellement plus excitant qu’une minijupe.« , ou encore les seins. Il éprouve aussi une fascination pour les longs cheveux « qui arrivent jusqu’au cul », les « crinières cuivrées » qu’il aime « brasser » « étalés sur l’oreiller » et « passer les doigts dedans »… Cet adorateur des femmes, certes un peu rustre, chante ainsi un hymne, à sa façon, à leur plastique (mais aussi à leur complicité, voir extrait) avec une sincérité touchante.

Sa préférence -peu originale (voir article sur la femme de 40 ans et plus en fiction)- va à ses cadettes de 20 à 30 ans qu’il explique en ces termes : « J’étais vieux, j’étais moche. C’était peut être pour cela que je prenais autant de plaisir à planter mon poireau dans des jeunes filles. J’étais King Kong, elles étaient souples et tendres. Essayais-je en baisant de me frayer un chemin au-delà de la mort ? En allant avec des jeunes filles, espérais-je ne pas vieillir mal, mais simplement quitter la partie, mourir avant que la mort ne me tombe dessus. »

Enfin, Women nous plonge dans sa vie des années 60 alors qu’il commence à rencontrer un certain succès et reconnaissance. Et d’évoquer en filigrane la faune littéraire et les « partys » qu’il ne supporte pas. Il multiplie alors les lectures de poésie (qu’il déteste en tant qu’asociale notoire !) qui sont autant de terrains de chasse où les étudiantes lui font les yeux doux, quand elle ne lui écrivent pas des lettres enflammées ou vont même jusqu’à lui téléphoner. D’Hollywood à Los Angeles en passant par Catalina, Vancouver ou Seattle… Il va ainsi souvent chercher ses petites amies à l’aéroport avant de les ramener à bord de sa vieille VV dans son appartement, après avoir fait le plein de packs de bière. Elles prennent ensuite une douche avant de revêtir un peignoir qui baille et le rejoindre sous ses draps… Et parfois l’accompagne aux matches de boxe ou aux champs de course, ses deux passions. Une intimité simple et attachante qui prend vie sous la langue souvent brute mais tendre de l’auteur, « vieux cow-boy taiseux » pour reprendre l’expression de François Bégaudeau. Qui ne manque jamais de faire sourire par son humour acerbe et vif en particulier dans ses dialogues d’homme ivre éclairé :
– « Tu comptes lire toute la nuit ?
– Je compte boire toute la nuit… »

Ou encore lors d’une question du public à une de ses lectures de poésie
 » C’est quoi c’que vous buvez ?
– Ca, j’ai dit, c’est du jus d’orange avec de l’élixir de vie.
– Vous avez une petite amie
– Je suis vierge.
– Pourquoi avez-vous voulu devenir écrivain
– Question suivante. »

[Alexandra Galakof]

1 Commentaire

    • murano sur 27 septembre 2007 à 19 h 38 min
    • Répondre

    c’est une copine, qui me l’a prêté, avec un air dégouté.
    J’ai décidé de mettre de côté son jugement 1e degré qui n’a pas su débusquer derrière la provoque grivoise et vulgaire, l’âme
    du soulard à l’appétit sexuel débridé. Women diffère un peu des autres Bukowski. l’écrivain a le don de nous embarquer sur le siège de sa vieille guimbarde, de nous faire sentir le goût de ses bières ou le parfum des cuisses qu’il astique. Il n’a pas son pareil pour vous filer ces rasades d’émotion sur des pas grand choses….
    si on n’y pretait pas attention on pourrait dire que ses romans ne ressemblent à rien d’autre qu’un reality show répétitif, ce qu’on entend parfois.

    mais "Women", c’est bien plus qu’un étalage de conquêtes féminines et de fantasmes d’un vieux routard qui drague des jeunettes. c’est avant tout la souffrance d’un homme qui tente de soigner sa solitude et son manque affectif, même si ces plans sont souvent foireux et instables.

    Des mots bruts sur des ressentis et des vérités profondes, dans leur authenticité même la plus crue. pourtant, sa vulgarité n’est jamais gratuite et crée bizarrement cette alchimie qui nous le rend si attachant et si proche. l’homme qui se protège derrière ses multiples carapces de granit pour mieux cacher ses larmes, sur sa véranda, une bouteille à la main, ne comprenant pas d’ou vient ce mal qui le tenaille et qu’il ne parvient pas à noyer même dans la chair douce et tendre des femmes, à virer ce vide insalubre qui l’empoisonne. Il nous fait rire en même temps qu’il nous ébranle et pour tout cela : MERCI mr Bukowski.

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