Rencontre avec Tristane Banon, auteur de « Daddy frénésie » : La « trapéziste » continue de chercher son équilibre…

« Daddy frénésie », fait partie des romans de la rentrée 2008, racontant la hantise de la figure paternelle et son absence. Son auteur, Tristane Banon, reprend ici l’héroïne de ses précédents romans à succès « Trapéziste » et « J’ai oublié de la tuer », Flore qui part cette fois, sur les traces de celui qui l’a abandonnée à la naissance, son père ou plutôt son géniteur. Nous nous sommes rencontrées le 17 septembre, au premier étage du Rocher de Candale, rue Montorgeuil, suite à l’invitation de LINTERVIEW.fr. Ses fidèles lecteurs l’attendaient et ont pu poser leurs nombreuses questions auxquelles elle a répondu avec concision sur l’absence du père, sa fuite et sa non-quête à elle. Et sur son rapport aux femmes. Tristane est (apparemment !) détendue, très joviale, très souriante, loquace. Elle fait quasiment parler Flore tout au long de la rencontre. Je vous propose donc ce Double-voix où Tristane et Flore semblent se répondre.

Double-voix, lorsque nous évoquons les rapports au temps, et à la famille, par exemple. Elle dit que Flore attache une certaine importance au temps, à l’âge du père. Tristane précise qu’elle a souhaité donner une dimension temporelle vivace dans ce roman ci. Flore a 27 ans, lui, le personnage, 82 ans. Elle dit qu’elle ne se montre pas tant que ça « attachée à la durée » mais reconnaît néanmoins « qu’il pourrait être son grand-père ». Un tel écart entre deux âges, -le père et la fille- n’est pas fait pour favoriser la complicité entre deux générations mais marque bien la distance. L’éloignement. Eloignement du temps- Prise de distance, pourrait-on dire.

Flore l’énonce elle-même, avouant « qu’elle ne sait rien des personnes âgées ». Pour elle, tout semble fonctionner au ralenti. Elle aussi « fonctionne au ralenti ». Elle dit qu’ « elle n’a pas le rythme. » Flore, d’ailleurs, est sidérée quand elle croise une vieille dame dont « elle ne sait rien », « dont elle ne parvient pas à capter quoi que ce soit ». Flore, en vérité, s’est toujours sentie très vieille, et plus elle vieillit, plus le rapport au temps lui semble difficile. Tristane souligne : « Il y a quelque chose qui amuse dans cette fiction, dans ce rapport à l’âge, au temps, dont je ne parviens pourtant à me débarrasser ». Mais ce n’est certainement pas « quand Flore a 6 ans et que sa mère n’est jamais là ». L’intervieweur fait remarquer tout de même que l’écriture est particulièrement attachée aux chiffres. Que l’auteur est indéniablement en quête de repères. Ce n’est pas « que les découverts bancaires ». « Ce sont les « âges qui reviennent » tout le temps. Tristane Banon justifie que c’est une question de superstition et que pour s’affranchir de sa peur sans doute, prétend qu’il n’y a que dans ces romans qu’elle parle de chiffres. Paradoxalement, on lui fait remarquer que très peu d’éléments permettent de dater les faits, que l’on n’arrive pas l’air de rien « à s’identifier » à l’héroine, que Flore ne donne jamais d’informations détaillées, comme si au fond, cette peur tenace d’être rattrapée par le temps, pouvait la faire vieillir plus vite…Tristane brandit un argument relativement universaliste : « les questions temporelles restent floues afin que tous lectorats, âges confondus, puissent s’y retrouver : comprendre, « enfants et personnes âgées de 7 à 77 ans ».

Le manque du père est très fréquemment évoqué : A ce titre, on fait remarquer à l’auteur que le sentiment qui se dégage de ce troisième roman est l’impression vive de retrouver la Flore du premier roman, avec le même profil, « là où on l’avait laissée ». Quelqu’un lui demande si « elle s’est perdue dans le second » (« trapéziste »). Et Tristane répond par l’affirmative : son pantin de bonne-femme s’est sans aucun doute sciemment perdu, « enfui » dans sa vie professionnelle. Il revient ici dans « la sphère intime » et préfère traiter du huis clos familial « à régler ». Alors, « qu’est ce qui a changé en Flore ? » « Son âge a changé : éreintée dans Trapéziste, elle se retrouve toujours ballotée, plus tout à fait sûre de ce qu’elle est. Ce qu’on retrouve en elle, c’est ce qu’on a quitté dans la première fiction. Elle est désaxée dans la tête. Elle est complètement perdue. Elle a tenté de combler des brèches bancales. Mais hélas, elle les a très mal comblées ».

D’où un des fils rouges du roman : la recherche du père, comme s’il fallait briser un tabou. Chercher à construire ou re-construire sa personnalité. Pour s’en défendre, Flore dit pourtant « qu’elle n’en a rien à faire ». « qu’il n’a pas été là enfant, qu’il n’a pas été là, jamais… » Le père lui est indifférent, à Flore. Pourtant, cette quête, si fragile, elle souhaite l’entreprendre. Presque davantage avec les autres. « Avec les parents des autres, qu’elle voudrait bien suivre, pour voir comment sont les autres enfants ». La relation père-fille est décidément très houleuse. Et pour cause ! Les altérations de l’image paternelle entraînent chez tout enfant des difficultés d’identification, des difficultés dans ses capacités de communication, favorisant l’inhibition, l’instabilité, une tendance à douter de lui-même et à se dévaloriser. Fréquemment ces enfants possèdent une dimension dépressive avec un sentiment d’accablement. Le processus d’identification à un père dont l’image est dévalorisée sera difficile. L’enfant éprouvera un sentiment d’insécurité qu’il aura tendance à compenser par une relation de dépendance à la mère. Tristane le confesse elle-même, à la fois dans la fiction, qui sert de prétexte, et dans la réalité : « On n’est pas très loin effectivement du jeu sado-maso ».

Tristane précise toujours : « c’est une fiction ». Plus encore : « La quête du père est un prétexte, je n’ai pas la quête des origines, je sais d’où il vient, cet homme, je sais qu’il peut m’appeler à tout moment et que je manifesterais un réel dédain à cette personne qui est devenue pour moi un étranger. Je n’ai pas la quête des origines et cela justifie mon indifférence ». Mais la fonction paternelle résiliée, a indirectement consisté à faire découvrir à l’auteur le rôle complémentaire de la mère, le rôle de la femme et à participer à l’acquisition d’un modèle de féminité. Mais son sentiment d’insécurité est tel qu’il a eu tendance à compenser par une relation de dépendance à sa propre mère, « dont elle est amoureuse », perçue telle « une femme idéalisée », dépeinte telle une « belle femme brune » et qui n’a pas pu accepter cependant l’idée que son enfant puisse se séparer d’elle. D’où la fusion.

Le sujet de la féminité est le second thème principal du roman. Tristane se livre plus personnellement dans cette seconde partie. Elle dit que « la femme s’éclipse généralement pour laisser l’homme gouverner » Dans le roman, c’est la Femme avec un grand F et Flore qui « changent les cours des choses », autrement dit, la métaphore signifie qu’il faut laisser les femmes prendre leur vie en main. Tristane revient sur sa mère qu’elle dépeint comme étant à son opposé, vraisemblablement par ce que c’est une femme pugnace, forte , battante à laquelle elle aime s’identifier, ce qui est somme toute, un geste expiatoire. L’identification est donc réelle et très présente: A-t-elle un « désir d’enfant inavoué », Tristane ? A-t-elle des enfants tout court ? Pour réussir le passage, il faudrait parvenir à « faire un bébé toute seule », pour « corriger » la désinvolture masculine.

A une question posée par un lecteur dans la salle, Tristane balaie sommairement : « Vous dites : Les femmes sont plus fortes que les hommes, oui, ça, c’est du point du point de vue des hommes, mais quand les femmes sont fragilisées, les hommes ne les voient absolument pas. Autrement dit, « les douleurs n’épargnent pas les femmes mais elles seraient comme plus légitimes ». (Malheureusement, c’est aussi ma perception). « Les femmes ont aussi cette capacité à dominer ce qui n’est pas important. » Un observateur relève qu’avec Flore, « les hommes en prennent pour leur grade » mais l’auteur ajoute que l’héroïne Flore accepte toujours de continuer à les suivre. Tristane se dit fascinée par les femmes alors que les hommes sont, selon elle « noyés dans leur verre d’eau ». Flore est, par leur faute, dans le détachement. Flore est étrangère à la vie. Tristane observe son recul face aux choses, dit qu’elle relativise toujours tout et qu’avec le temps « trouve que rien n’est jamais grave ». Au point de ne plus savoir situer le paroxysme des situations : « plus les choses graves arrivent, plus je prends du recul. Je laisse alors mourir les choses importantes » conclut-elle.

Tristane se sent étrange partout, avec des demi-frères et des demi-sœurs partout, puisqu’elle née hors mariage. Elle parle des demis-riens et des demi-tout. Elle se sent la moitié de plein de choses, des bribes éparses qu’elle tente d’ « unifier » pour se sentir « entière ». Elle précise : Flore n’aime pas être plainte. C’est peut-être pour ça qu’elle est très parisienne. Mêlée aux autres, elle passe plus inaperçue. Tristane ajoute que le lieu géographique du roman n’est pas aussi fondamental que cela et qu’elle aurait pu écrire son roman en province.

Tristane n’a pas envie de « quitter » Flore. Elle a pour elle et ses lecteurs, un autre projet de roman où on va continuer de suivre les périgrénations de son héroine. « Nulle envie pourtant de se fondre dans elle, ni de lui donner ma personnalité ; c’est une direction qui ne m’intéresse pas ! ». Tristane conclut en disant « qu’elle n’apprend rien de choses ignorées sur moi-même » jusqu’à présent mais qu’en revanche, même si la frontière entre fiction et réalité semble fragile, elle apprend à purger la souffrance, à traduire les failles, à saisir les « troubles ambiants ». Mais Tristane, qui n’a pas non plus, à mon avis, envie d’être plainte, parvient maintenant à les ECRIRE. [Photos et propos recueillis par Laurence Biava]

A propos de « Daddy Frénésie » :
« Il avait donc décidé de revenir. Après 27 ans de bon et loyal silence, il venait dire bonjour au bébé qui a grandi. » Par hasard, Flore, son héroïne (dont on avait fait la connaissance dans son précédent roman ) après en avoir fait « le deuil », trouve le nom de ce père dans une annonce nécrologique, ce qui fait inéluctablement ressurgir les ombres du passé et l’émoi qu’a suscité l’invisibilité de cet homme. La morte, c’est cette épouse, c’est celle-là même qui a fait s’enfuir l’idée de ce simulacre, ce semblant de père. Flore Dubreuil, l’héroine des romans de Tristane Banon, – le troisième du nom – pose la question : A quoi ressemble un père ?, en acceptant de se mesurer, via des filatures et des ruses concrètes, au fantôme. Sans craindre la confrontation, ni la déception, elle entreprend avec un certain courage et une certaine lucidité, de mener l’enquête et de lier contact avec ce triste sire qui a fondé une autre famille. Parce que Flore Dubreuil l’a espéré, honni, fantasmé, elle va tester l’emprise sur ce nouveau foyer, au risque de le détruire.

« Daddy Frénésie », aux accents parfois légers, n’a rien d’une sinistre farce. Non, c’est un roman émouvant, touchant, sincère en particulier lorsque Flore s’épanche comme quand elle avait sept ans, l’âge où elle disait « mon père est mort » pour qu’on la laisse en paix. Epaulée par l’un de ses amis, Flore évolue dans sa quête, souhaite la faire aboutir, et soigne, comme elle le peut, sa peine d’enfant abandonnée. Méconnue. A l’invisibilité du père la fille rétorque par sa visibilité et par une présence dominante. Pèse et soupèse affres et effets de son purgatoire. Si une certaine gravité et une certaine profondeur, voire un ton tragique, affleurent ce nouvel opus de Tristane Banon, on peut regretter que l’écriture, même si elle est énergique, pèche par un manque de style et une faiblesse littéraire qui appauvrissent en quelque sorte – et c’est dommage – cette histoire aux rebondissements assez cocasses. Le lecteur ressent une vraie compassion face à la tragédie que vit cette attendrissante héroïne mais l’on peine à rester captivé en raison précisément d’une narration tarie par trop d’académismes, un manque d’originalité (expressions toutes faites et poncifs) et de consistance qui alimentent un sentiment de « déjà-lu ». On aimerait retrouver dans les romans de Tristane Banon ses qualités d’oratrice ! [Chronique de Laurence Biava]

Extrait de l’éditeur :
« Vingt-cinq ans qu’elle a cessé de le chercher à la maison. Vingt ans à croire que c’était peut-être sa faute, dix ans à le poursuivre, le transposer, le déceler chez tous les hommes de sa vie, dix ans à espérer qu’il soit chercheur d’or et pas juste lâche… Vingt-sept ans sans père, sur vingt-sept, ça suggère beaucoup de désordre mental.
Et pourtant, cinq ans peut-être, ou bien sept, pas plus, qu’elle devine que sa mort lui serait égal.
Cinq ans qu’elle entend : «Tu dis ça, mais au fond…» Mais au fond, même très au fond, au sous-sol d’elle-même, elle en est persuadée. Qu’en savent-ils, du fond, les gens ? Sont-ils allés fouiller derrière ses entrailles, dans ses tripes, pour parler en son nom ? Qu’en coassent-ils de ce qu’elle a au fond, eux qui ont des pères a appeler quand ça ne va pas ? Elle balance «ça», comme ils disent, et elle le pense. Elle choque parfois, et elle assume Elle a toujours su que parler de la mort était quelque chose de tabou, elle découvre que s’y montrer indifférente est une preuve d’inhumanité difficile a défendre. Pire, ne pas souffrir par avance du décès, pourtant certain, à court ou moyen terme, de son géniteur serait proche du parricide mental. Pourtant, réalisatrice de ce finale programmé pour chacun d’entre nous elle voit bien la scène. Alors ne la forcez pas le jour venu, a participer aux au revoir. Elle sait sa réaction. Elle entre dans l’église parce qu’on l’y a obligée, elle s’avance jusqu’au corps parce qu’on la pousse, elle regarde son visage paisible et elle se dit : «Pour un lâche il a le sommeil profond.» Elle sort et on ne veut plus la voir. Ça ne la dérange pas, on ne l’a jamais vraiment vue jusqu’alors, et elle n’a véritablement manqué à personne. Elle ne sera pas là pour rappeler le souvenir de celui qu’elle ne connaît pas. »

Une bande-annonce a été réalisée pour la sortie du roman :

2 Commentaires

    • Gwenaël sur 17 novembre 2008 à 19 h 31 min
    • Répondre

    Je l’ai vue à la TV, je ne sais plus où ; elle m’intrigue, cette jeune femme.

    • laurence.biava sur 18 novembre 2008 à 17 h 56 min
    • Répondre

    Tua s du la voir à "vie privée, vie publique". C’est très récent, ça date de jeudi dernier, le 1er jour de la foire du livre de brive. Elle était avec sa mère, je l’ai trouvé très bien, très loquace, très explicite. Sans double jeu.
    la bise
    lo

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