« Des vents contraires » : Olivier Adam face à la tempête de quelques critiques

Avec « Des vents contraires », Olivier Adam a été sans conteste l’auteur phare de cette rentrée littéraire de janvier 2009, l’histoire d’un père dont la femme a disparu et qui tente de reconstruire sa vie et celle de ses deux enfants en emménageant à Saint-Malo. Fidèle à ses grands thèmes littéraires (la perte -brutale- d’un être cher, le poids de l’absence, du secret, des non-dits, la famille, la violence sourde de la société, une certaine mélancolie douce-amère, des êtres fragiles et l’ode aux terres maritimes de Bretagne), il explore ici plus particulièrement la question de la paternité. Et donne pour la première fois la parole au père. Une sorte de suite de son superbe roman « Falaises, sept ou huit ans plus tard dit-il.

Plébiscité pour ce récit familial touchant et juste sur fond de Côte émeraude magnifiquement décrite, il a aussi été la cible de critiques acerbes qui lui reprochent sa « gentillesse mièvre » (« C’est écrit face à la mer, mais ça ne fait pas de vagues. »), son style trop scénaristique ou encore son « ton plaintif » (cf : chronique de Yann Moix dans Le Figaro : « Olivier est gentil »). Chronique à deux voix de deux lectrices pour revenir sur ce roman et réagir aux attaques formulées à son encontre :

« (…) « Quand j’ai rouvert les yeux nous étions gelés tous les trois, le bruit de la mer était devenu le monde entier, nous contenait, nous digérait et c’était doux d’être ainsi dévorés, ensevelis, noyés, oubliés pour de bon. La nuit nous protégeait et à ce moment précis j’avoue avoir pensé que les choses allaient redevenir possibles, ici j’allais pouvoir recoller les morceaux et reprendre pied, nous arracher les enfants et moi à cette douleur poisseuse qui nous clouait au sol depuis des mois, à la fin la maison, les traces et les souvenirs qu’elle gardait de nous quatre, c’était devenu invivable, je ne sortais presque plus et les enfants se fanaient sous mes yeux, j’avais l’impression que la lumière rechignait à entrer et que tout ça finirait tôt ou tard par nous engloutir. » »

Olivier Adam a écrit son 6ème roman, un des meilleurs de cette rentrée 2009, selon toute vraisemblance. Il glisse que ces « Vents contraires » pourraient bien être une sorte de suite de « Falaises » avec son regard de père cette fois-ci : « Dans « Falaises », c’était le moi d’avant… D’avant l’écriture, la paternité, l’arrachement, la constitution d’une cellule autonome. Là, je joue sur le double. »
S’il est bien accueilli par la presse, à quelques égards près, l’auteur confirme surtout avec ce nouvel opus, qu’il a trouvé son public. J’ai pas mal aimé « Des vents contraires » car il a touché le parent et plus précisément, bouleversé la mère que je suis. De quoi s’agit-il ? Un père prend acte d’une séparation forcée d’avec la génitrice de ses rejetons. Il se retrouve seul avec eux sans que rien ne permette d’élucider le mystérieux départ de l’absente. Ni trace, ni mobile…

Le narrateur choisit alors « d’encaisser les coups » loin du cadre habituel familial et migre vers Saint-Malo, la ville de son enfance. A son sujet Olivier Adam précise : « Sa vie s’est cassée la gueule, et il veut retrouver un horizon, un nouveau départ. C’est un sentiment raccordé à la mer, mais aussi celui de ciel et du vent.« 
Commence alors l’histoire fusionnelle d’un père pour ses enfants souffrants, dont les manifestations de joie égrenées tout au long du roman, n’enlèvent rien, à la douleur, la douleur d’avoir perdu un être cher et laissent à peine supposer un éventuel retour de la mère… (?). Le narrateur compense comme il peut, en aimant sans frein, en s’investissant sans demi-mesure, en s’épanchant beaucoup et en écopant le trop plein de larmes, bref, en faisant, comme on dit, « le chemin à l’envers ».

C’est un livre, il est vrai, très touchant, sensible, juste, y compris dans ce qu’il traduit des séparations tragiques homme-femme. Certains passages sont magnifiques, d’autres, un peu moins, et on ne m’en voudra pas de le souligner, en raison d’un style desservi dans certaines descriptions par des remarques mièvres, et empesé par trop d’effets visuels sirupeux. Ou pas forcément littéraires. Beaux passages : les premiers longs paragraphes des pages 120 et 121 et page 130 par exemple.
Moins bon : « J’avais le soleil dans les yeux et la mer dans le dos » ;« la mer s’étirait à perte de vue », « ses yeux fuyaient par la fenêtre, le jardin était quasiment nu, n’eussent été le laurier-rose et le camélia » ; « Il faisait son grand garçon et je me suis demandé quand ça finirait par craquer cette belle façade »… (beaucoup de petites bribes de phrases, écrites pour écrire, un peu trop familières sans doute). [Laurence Biava]

Olivier Adam, écrivain parmi les écrivains.
(Réaction d’Anne-Laure Bovéron aux attaques formulées sur Olivier Adam)

Il y a rarement de demi-mesure pour parler des romans d’Olivier Adam. Soit on adore, soit on déteste (poliment, cela va de soi). Mais bien souvent, les critiques (quand elles sont gratuites et à l’opposé d’un avis personnel construit) sont étranges. Je n’irais pas jusqu’à les prétendre infondées, puisqu’elles tirent parties de réelles tendances. Mais surprenantes, oui.

Une des analyses récurrentes au sujet des romans d’Olivier Adam c’est qu’il écrit toujours les mêmes livres. Certes… Comme la plupart des écrivains. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’un écrivain a « des thèmes de prédilection », qu’il explore les mêmes thématiques ? Cela ne fait-il pas partie du style, de la patte d’un auteur ? Est-il question d’autre chose pour les écrivains que de parler des gens qui les entourent et de sonder par leurs intermédiaires une part d’eux-mêmes ? Cette zone d’ombre qui d’ailleurs est à l’origine de leur acte d’écriture. Alors évidemment, pour se faire, ils en reviennent souvent aux mêmes interrogations, aux mêmes doutes, suivent des chemins ressemblants, parallèles qui parfois se croisent ou se chevauchent, le tout en en ayant plus ou moins de conscience ? Oui, Olivier Adam évoque souvent l’absence, le manque, la disparition, la famille qui périclite. Et oui, il parle toujours les combats ordinaires. C’est un fait.

De plus, Olivier Adam préfère la banlieue à la ville, les villes et villages tranquilles aux mégalopoles internationales. Il ne plante ses décors qu’autour des gens tout aussi ordinaires pris dans leur époque et plus encore, pris dans le quotidien. Où est le problème ? On ne peut pas relire sans cesse les mêmes histoires sur la guerre de 39-45, sur les trente glorieuses parisiennes. On ne peut pas toujours plonger dans les milieux huppés, inaccessibles pour la majorité des lecteurs français et qui d’ailleurs ne font pas pour autant plus rêver que la vie du voisin. Pourquoi les romans contemporains ne devraient-ils inventer que des personnages qui se veulent choquants, cocaïne aux narines, pantalons baissés dans un recoin d’un restaurant ou dans un appartement d’une pseudo star du 16e arrondissement ou plein aux as, sourires ultra-bright et en apparence une vie magnifiques. Ils finissent souvent par déchanter ces personnages là, aussi. Inventer des existences qui se veulent différents ne garantit ni la délivrance d’un message, d’une pensée ni d’être un grand écrivain pour l’auteur qui les manient ni d’être plus dans le ton qu’un Olivier Adam qui croque le trivial des quotidiens sans autre ambition que vivre la journée du lendemain. Pourquoi la littérature devrait-elle être violente, impudique, marginale pour faire passer une pensée ?

Oui, Olivier Adam se penche sur les petites gens, les petits français de son époque. Ceux-là même qui peuvent avoir des désirs de vie tranquille au bord de la mer ou des bibelots sur la télé, des expressions populaires ou des clichés rivés à leurs discours pour dire leurs pensées, leurs sentiments. Ils ne sont ni beaux ni riches ni connus ni extraordinaires. Ils n’en ont pas pour autant rien à dire, rien à faire passer, rien à nous apprendre. Olivier Adam s’attèle à leur donner la parole et c’est tant mieux !

Peut-être qu’aimer un roman d’Olivier Adam dépend finalement de ce que l’on attend de la littérature. Peut-être… S’il s’agit d’apprendre à vivre, à redécouvrir l’autre, à avancer alors le romancier a tout juste. Les vies ubuesques des hurluberlus des quartiers chics n’ont pas plus de valeur qu’un petit campagnard qui ne joint pas les deux bouts chaque mois et se réjouit cependant de poser son regard sur l’horizon. Et de fait, au nom de quoi un écrivain qui peint l’ordinaire serait-il un piètre romancier par rapport à un autre, qui lui abuserait d’idées subjectivement visionnaires ou boursouflées d’ego ?

Oui, Olivier Adam emploie régulièrement un vocabulaire simple, sans prétention, des termes parfois mièvres parce que trop connus, des expressions facilement imagées qu’il n’a pas inventées. Mais ne parle-t-il pas ainsi au plus grand nombre, sans prendre personne de haut ? N’est-ce pas là, précisément, une littérature à hauteur d’homme ? Et pourquoi ne serait-il alors qu’un romancier et non pas un écrivain ? Raconter des histoires trashs ou prétentieuses ou méchantes ou viciées en paradant avec un lexique faits de barbarismes pédants agencés dans une syntaxe qui se rêve novatrice n’a jamais garanti à un auteur d’être un écrivain à la pensée puissante. Ni d’avoir quelque chose à partager avec les lecteurs. Oui, la majorité des vies des français ne font pas de vagues. En sont-elles pour autant dénuées d’intérêts, de sens, de valeur ? Pourquoi un romancier qui s’attarde, livre après livre, à parler de ces vies là, de ces gens là, n’aurait-il rien à nous apprendre ? En quoi cette littérature, et non cette écriture, serait-elle indigente ? C’est tout l’inverse … [Anne-Laure Bovéron]

6 Commentaires

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  1. Je ne suis pas fan de moix (vraiment pas) mais anne-laure contrairement à toi je trouve qu’il a fait ce que je juge une "bonne" critique. Un bonne critique car il dit juste ce qu’il aime ou pas en littérature et une fois ce postulat posé il donne son avis sur le livre d’ADAM .
    En clait il ne dit pas que Adam "est nul", il dit "j’aime les romans violents et déconstruits, Adam écrit des romans calmes et strucutrés donc je n’aime pas son livre".
    Je n’y vois donc rien d’acerbe, c’est un avis argumenté qui assume sa subjectivité, nuance. D’ailleurs quand tu lis bien tu vois qu’il range Adam avec Gide, Aragon et Eluard ce qui n’est tout de même pas négligeable comme voisinage.

    Bref je trouve cette critique de moix bien foutue (c’est un avis argumenté!!) et je me demande du coup ce que vous attendez d’autres d’une critique?

    • Gwen sur 24 février 2009 à 18 h 36 min
    • Répondre

    Oui, cette chronique de Moix pose de bonnes questions. J’ai bien aimé ce qu’il dit sur les phrases littéraires, mais je n’ai pas l’impression, pour autant, que sa critique, sur ce point, d’O Adam soit cohérente…

    • Laurence Biava sur 25 février 2009 à 11 h 00 min
    • Répondre

    A mon avis, c’est tout le contraire : sa critique est bien ficelée et extrêmement cohérente. Tellemetn cohérente qu’elle en devient relativement cruelle. Simplement, sans oser le faire avec la brutalité qui le caractérise, et parce qu’il l’estime "respectable", Moix reproche en substance à Adam de de pas "exister". C’est ce que j’ai ressenti. Après tout c’est son droit. Mais j’aime beaucoup la plaidoirie d’Anne-Laure que je rejoins sur plusieurs points.

    • A-Laure sur 26 février 2009 à 13 h 29 min
    • Répondre

    Pour commencer, il n’est pas seulement question des critiques formulées par Moix, mais d’une réaction à différents reproches qui ne sont pas récents.
    Pour moi, la critique de Moix est effectivement argumentée et totalement subjective. Je n’ai rien contre. ce que je n’aime pas c’est la façon de se dédouaner en disant "je n’ai rien contre Adam, mais "… et de balancer.
    Qu’il n’aime pas les livres d’Adam, c’est une chose, un droit absolu que je ne conteste pas. Mais cela ne devrait pas faire perdre de vue qu’Adam est un très bon écrivain. Aimer le style ou les histoires d’un auteur et savoir reconnaître le talent d’une plume c’est différent.

  2. A force de discuter avec mes proches – ou d’autres : ce qu’on appelle littéraire ou littérature pose plus de problèmes qu’il n’apporte de certitudes. Adam, ce n’est pas de la guimauve ; ce n’est pas subversif, mais c’est quand même une littérature violente. Trash dans la manière ou dans le sujet : rien de plus trash q’une disparition ! Rien de plus trivial pour ceux qui ne sont pas concernés rien de plus trash pour ceux qui la vivent…

    • laurence biava sur 27 février 2009 à 19 h 02 min
    • Répondre

    oui, d’accord sur LE CONTENU -trash, violence, disparition)Gwen. Mais Moix parle de STYLE. La littérature, à mon avis est uen question de STYLE et pas de thèmes abordés. Coupons la poire en deux : Anne Laure a raison, c’est CQFD. Et Moix dit que ça manque de style, de personnalité, ce qui parfois, honnêtement n’est pas faux.That’s all folks !

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