« Le roman et la vraie vie », dialogue entre Olivier Adam et Irvine Welsh (conférence Salon du livre 2009)

Le vendredi 13 mars 2009, sur le plateau de la « Place des Livres » du salon du livre de Paris, les écrivains Irvine Welsh, fraîchement publié aux éditions du Diable Vauvert avec Glu et Olivier Adam, fraîchement récompensé par le Prix RTL-Lire pour Des vents contraires, étaient les invités de Bruno Le Dref, rédacteur en chef de la rédaction de France2, pour une conférence intitulée « le roman et la vraie vie ».


Si le style des deux romanciers est très différent, la veine sociale de leurs écrits, leur intérêt pour le citoyen lambda pris dans les tumultes de la société, les réunit. Tous deux viennent de la classe moyenne et ont choisi de se pencher sur leurs congénères, loin de la superficialité de la classe aisée. Leurs héros vivent modestement, en banlieue souvent, nourrissent des rêves qu’ils n’ont pas les moyens d’enlacer. Certains sombrent dans une débauche de drogues ou d’alcool, d’autres s’oublient en prenant soin d’autrui. Mais tous luttent, comme ils le peuvent.

Irvine Welsh, né en 1958, a publié en 1993 un premier livre choc, Trainspotting. Un succès auquel il ne s’attendait pas et qui l’a poussé à fuir, une bonne année, les pays anglo-saxons, pour reprendre pied, expliquait son traducteur au salon du livre. Lui qui avait quitté l’école à seize ans, qui n’avait en poche qu’un diplôme d’électricien, qui a échoué à Londres à vingt ans et qui y a survécu grâce à son sens de la débrouille, a su se servir de ses deux années d’addiction à l’héroïne (début 1980) pour tracer les grandes lignes de son roman. Un récit violent qui traite de l’exclusion sociale et de l’inaptitude d’une bande d’amis, plus paumés les uns que les autres, à vivre normalement, à devenir.

De la scène punk à la profession d’agent immobilier en passant par la reprise de ses études (couronnée par une maîtrise et une thèse) Irvine Welsh a appris à rebondir, à se saisir des moindres opportunités pour gagner la surface. Un sens de la lutte commun à beaucoup de ses protagonistes. De ses expériences, l’écrivain insuffle des forces à ses rejetons de papier, pris au piège des marasmes trop familiers pour les sujets anglo-saxons de la « middle class ». S’il fallait rapprocher Welsh d’auteurs contemporains, il se situerait sans difficulté auprès d’un Bret Easton Ellis, un Hunter S. Thompson ou un Chuck Palahniuk.

Dans Trainspotting, Welsh contait en abusant de l’oralité, la quête de sensations, les besoins de se sentir vivant d’une bande de jeunes londoniens désœuvrés, perdus dans l’ère Thatcher et ses contraintes sociétales. Cela passe, dans les années 80 par la drogue, l’alcool, la débauche de sexe, la violence. Ce livre, certes générationnel, n’a révélé sa valeur sociologique, qu’au fil du temps et grâce à l’adaptation cinématographique signée par Danny Boyle, en 1996.

Mais Irvine Welsh n’a pas écrit qu’un roman. Au fil de ses parutions, il a su s’imposer comme un écrivain important de son temps, un fin observateur. Avec Porno, paru dans sa version française au Diable Vauvert début 2008, Welsh narre, malgré lui (le personnage de Sick Boy s’étant imposé dès les jets préparatoires), la suite des aventures des petits gars de Trainspotting. Il est aussi l’auteur de Glu (éditions au Diable Vauvert, 2009), Recettes intimes de grands chefs (éditions au Diable Vauvert, 2008), Une Ordure (Editions de l’Olivier, 2000), Ecstasy (Editions de l’Olivier, 1999). Il s’est essayé au théâtre, au scénarii, à la production cinématographique et à la musique.

En face de lui, Olivier Adam peut faire figure d’enfant de cœur. La violence présente dans ses romans est une autodestruction plus douce, plus poétique presque, que celles ostentatoires de la drogue ou de l’alcool à la Irvine Welsh. Plus silencieuse, plus insidieuse aussi. Néanmoins, les deux écrivains se rejoignent dans leur désir de suivre les résurrections de leurs personnages et dans leur observation de cette couche sociale « trop souvent absente des médias, de la sphère artistique », selon Olivier Adam. Pour ce dernier, une certitude demeure : « pour parler de la société française, il faut parler de la classe moyenne ». Ces personnes banales, qui représentent cela dit la majorité d’une société, en sont l’essence, la matière première et à juste titre, une bonne source fictionnelle pour ces deux romanciers.

Le roman et la vraie vie sont donc invariablement liés. Olivier Adam avance « Je n’ai pas avoir peur du social et de la politique dans mes livres » et rit jaune en constatant le comique de la situation : « C’est ironique, quand même, d’être dit ‘romancier social’ à partir du moment où l’on sort de la sphère de la haute bourgeoisie, dès qu’on parle de nous, de nous tous.» Il ajoute « l’écriture a toujours été pour moi le contraire du retrait de la société. L’écriture est plutôt une ‘sur-conscience’, une ‘sur-présence’ à la société. Je n’ai pas d’autres sujets que la société. Je cherche la justesse pour raconter comment on vit, ici et maintenant. Pourtant, je ne tiens pas un discours sociétale, mais la société est indispensable pour écrire. » Il précise aussi que son écriture est un dosage entre individualité, intimité et société. Sans cet équilibre, cela ne pourrait tenir debout. « Je suis convaincu que ne parler que de l’intime c’est se crever un œil, et que du social, le second. »

Provoqué par une observation du petit Frenchy, sur l’absence de remarques Outre-atlantique, sur la veine sociale d’un Raymond Carver, par exemple, l’Ecossais désormais établit en Amérique du Nord, analyse rapidement les différences de réception du public anglais (et plus généralement européen) et américain. « Aux USA, les lecteurs et les critiques ont la maturité suffisante pour ne pas stigmatiser les couches de la société. Alors qu’au Royaume-Uni, les classes sont encore très présentes. Cela se répercute naturellement dans les livres, dans la littérature. » Puis il tranche « la différence entre les USA et l’Europe c’est le post-colonialisme ».

Juste avant de digresser sur l’écriture pour la jeunesse et l’adaptation cinématographique de leurs œuvres, sur leurs expériences en tant que scénaristes (Olivier Adam a co-scénarisé le très controversé Welcome réalisé par Philippe Lioret. Un film qui n’est pas sans rappeler son roman A l’abri de rien paru en 2007) et en tant que producteurs, les deux auteurs détaillent davantage leurs attraits communs pour l’écriture dite sociale. « Ma mission, en tant qu’écrivain, c’est de me fixer sur les choix des mes personnages, qui tentent de faire leurs chemins au milieu des contraintes sociales.» déclare Irvine Welsh. Si le romancier anglophone n’a « pas d’intention politique ouverte » il ne nie pas l’importance de la société, et d’une certaine façon, la critique du système dans ses romans. « Mon point de départ est toujours mes personnages. Ensuite, leurs vies, leurs conditions de vie et c’est à ce moment là que l’aspect social remonte. » Olivier Adam explique quant à lui aimer explorer « les thèmes de la fragilité des êtres humains, de la différence entre des gens issus du même milieu et de la possible exclusion du corps social ». Des thématiques qu’il a déjà abordé et qu’il travaille dores et déjà dans son futur roman. D’ailleurs, pour ce roman en cours d’écriture Olivier Adam c’est servi de « la vraie vie » en « romançant une expérience vécue : retrouver un ancien voisin de lotissement à la rue ». Il précisait un peu plutôt, « on en revient toujours à ce qui nous touche, même en parlant des autres. Mon propre parcours a été de déjouer les obstacles de la société. » C’est tout naturellement que se tisse fiction et réel, intime et universel. Le romancier malouin a choisit pour son nouvel opus d’observer une bande d’amis, issus d’un même coin de banlieue périurbain. Ils grandissent, réussissent ou chutent. A suivre, donc … (Encore faut-il que le brouillon de ce livre passe le veto de Karine Reysset, auteur et compagne de l’auteur « Des vents contraires ». Sans cela, le scoop sur l’histoire du prochain Adam ne tiendra plus, puisqu’il ne sera pas soumis à son éditeur ! )

Indéniablement, vie et écriture ne font qu’un pour ces deux romanciers. Certains auteurs écrivent pour faire rêver les lecteurs, les faire voyager, les faire analyser des situations précises, pour les informer sur l’histoire. D’autres aiment à leur parler de ceux qui vivent à côté d’eux, à leur parler d’eux. Avec deux voix distinctes, Irvine Welsh et Olivier Adam clament haut et fort leur passion pour les gens comme tout le monde. Et tous les prétextes sont bons pour mettre en lumière ces oubliés. [A-Laure Bovéron]

Site officiel d’Irvine Welsh : http://www.irvinewelsh.net/

4 Commentaires

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    • Métalleux sur 24 avril 2009 à 14 h 03 min
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    GLU est un formidable roman. L’un des meilleurs de Welsh (recettes intimes des grands chefs étant, selon moi, un cran au-dessous du reste de sa production). A noter que ses récits, s’ils sont toujours emplis d’une veine sociale évidente (bien plus qu’un décor, welsh est à l’écriture ce que Ken Loach peut être au cinéma) ils restent toujours tendre envers ses personnages, quelque soit leur degré de déchéance ou d’abjection. Le petit Gally de Glu est un pauvre gosse sur lequel le destin s’acharne et que les événements précipitent à se perte, Terry est un bon gros beauf bien mysogine mais il est attachant… et l’amitié est le lien indéfectible entre tous. De la noirceur, certes, mais une noirceur éclairée, ça et là, par quelques instants fugaces de vrai bonheur. Un grand écrivain.
    A noter que Porno serait en cours d’adaptation avec Danny Boyle à la caméra(comme ce fut le cas pour Trainspotting (où Welsh en personne apparaît dans le rôle d’un dealer de suppositoires à l’opium…)).

    • Métalleux sur 24 avril 2009 à 14 h 29 min
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    Non, je ne dirai pas ça. Porno est réussi. Et le dénouement final m’a bien amusé (ce… mais si je le dis, j’en dis trop).
    Ne pas toujours croire le bouche à oreille, il peut parfois se tromper. Et tout est une question de goût. Et tant va la cruche à l’eau… je peux en enfiler des tas comme ça, je vais donc m’en tenir là.
    Amitiés,

    • Philippe sur 25 avril 2009 à 12 h 14 min
    • Répondre

    Olivier Adam a de drôles de chaussettes…

    • Métalleux sur 25 avril 2009 à 16 h 25 min
    • Répondre

    Et un jeans qui fait djeuns. On ouvre un webothon pour l’aider à renouveler sa garde robe ou on le laisse se démerder tout seul ? (enfin, faudra quand même lui dire qu’à son âge, c’est limite ridicule et c’est un mec qui a un pseudo débile qui dit ça, c’est dire s’il fait pitié, le gars…).

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