Dans la bibliothèque des blogueurs… Axelle Emden, fondatrice de Culturecie.com

Discrètement mais sûrement, Axelle anime depuis 2006 le site culturel « Culturecie » qui fait la part belle aux talents de la littérature contemporaine mais aussi de la musique, du théâtre ou encore des beaux-arts… Ancienne collaboratrice du Figaro et d’Evene.fr, cette pétillante blonde qui cumule une maîtrise de philo doublée d’un DEA d’Etudes Politiques s’il vous plaît !, est une touche-à-tout (voir son parcours détaillé) aussi exigeante que perfectionniste. Et qui n’hésite pas à s’engager (cf : son billet sur l’écologie que nous avions relayé). Mais quand elle enlève ses lunettes, Axelle redevient une héroïne pop avec son blouson rose bonbon et son porte-monnaie à la Jasper Johns !

Bref, une jeune-femme de 27 ans aux multiples facettes à l’image de sa bibliothèque très éclectique !

Quel est le livre qui t’a marqué enfant et/ou ado et qui t’a donné le goût de la lecture ?
« Bonjour tristesse » de Sagan d’abord, puis juste après « Des Bleus à l’âme ». A cause de la lucidité fondue dans la légèreté. De l’humour, de la langue. De la fluidité légendaire du « charmant petit monstre ». Je devais avoir douze ou treize ans. C’était la première fois que je m’emparais d’un auteur au point d’entrer dans une véritable boulimie de lecture. J’ai d’abord lu d’elle tout ce qu’il y avait dans la bibliothèque familiale, et puis le reste. Mais pas tout le reste : je garde des livres d’elle jamais lus. La vie en ayant tout lu des écrivains qui me sont les plus chers est inconcevable : ce serait morne. Je garde des non-lus d’auteurs cultes… comme pour garder la certitude des bonnes surprises du futur ? Les lecteurs aussi ont leurs névroses (rires).

Le livre qui t’a fait comprendre ce que le mot « littérature » veut dire (claque littéraire)…
Je crois que le sens du mot littérature n’a pas toujours résonné de manière égale. Qu’est-ce que ça veut dire, « littérature » ? S’envoler ? Trouver des réponses ? Trouver des questions ? Rencontrer de l’inconnu ? Dire des choses avec le sens de la formule ? Tout ça à la fois ? Avec le temps et selon les moments je n’entends pas la même chose par ce mot « littérature ». Et je ne cherche pas la même chose en elle. Longtemps j’y ai cherché du réel et de l’exactitude, de l’Histoire ou de la pensée. Aujourd’hui je crois que l’imaginaire et la langue priment dans ce que j’entends par « littérature ». Et si en plus le livre a une portée philosophique, ou sociologique, alors là c’est l’absolu ! Le génie peut-être ?

C’est une question difficile. Je dirais que c’est « Des Jours et des nuits » de Gilbert Sinoué. Parce que c’est une intrigue folle, un voyage à travers les temps et les mondes qui m’a tenue éveillée toute la nuit. Plus d’une nuit d’ailleurs. Construction parfaite, digne d’un scénariste (et d’ailleurs Sinoué en est un). C’est une histoire d’amour évidemment, mais aussi une enquête, une inconcevable remise en question, qui a une portée universelle, atemporelle. Un ébranlement. Les cadres et les géographies chez Sinoué sont toujours historiques, véridiques, et ses livres sont de véritables romans, ficelés à de magistrales intrigues et parsemés d’indices géniaux. Tout ça avec l’imaginaire comme inépuisable horizon. Et sa langue est simplement unique, je ne saurai même pas la décrire. C’est une complétude rare. Ma première claque littéraire, d’ailleurs je ne m’en remettrai jamais : je continue à l’offrir, sans cesse.

Le livre que tu aimes lire et relire, sans jamais t’en lasser…
J’ai beaucoup relu parce qu’il le fallait pour mes recherches, des philosophes, des politologues. Mais spontanément je relis peu les livres, j’en relis souvent des bribes en revanche. « Ecrire » de Duras est sans doute celui que j’ai réouvert le plus souvent, avec les « Poussières d’ange » d’Ann Scott et « La Femme de Proie » de Jean-Marie Rouart. Les œuvres que je relis le plus sont en réalité des poèmes chantés : l’œuvre intégrale de Barbara est aujourd’hui introuvable, et c’est bien dommage, pour moi sa poésie n’a rien à envier aux poètes qui seront toujours trouvables dans les rayons des librairies.

L’auteur dont tu liras toujours tous les livres quoiqu’il advienne…
Jamais tous les livres, je l’ai déjà dit : il en manque toujours quelques-uns à l’appel, sauf pour Ann Scott à vrai dire, il y en a trop peu, je n’ai pas pu résister. Mais… il faut que j’en donne un seul ? C’est impossible ! Je lirai toujours Duras, Sagan, Cioran, Kundera, Camille Laurens, Lola Lafon, Eliette Abécassis, Lacan, Amélie Nothomb, Philippe Labro, JB Pontalis, Finkielkraut, Werber. Le Tellier maintenant que je l’ai découvert, « Assez parlé d’amour » est mon coup de cœur de la rentrée. Il y a Joncour aussi : j’attends qu’il fasse un livre dans lequel il ne cherche à prouver à personne qu’il est intelligent.

Le livre que tu n’as jamais pu finir…
Certaines « Critiques » de Kant ! Mais je n’ai jamais cherché à le faire ! Comme « L’Etre et le néant » de Sartre ! J’en ai lu doucement et lentement d’innombrables passages, lus et relus, mais ici la quantité n’est pas essentielle, à mon sens. Quant au reste, les livres que j’ai trouvés totalement nazes, je ne les ai jamais finis : je m’arrête vite, la vie est trop courte. Je partage l’avis des éditeurs : quand c’est mauvais on le sait au bout de dix pages. Malheureusement certains passent entre les gouttes de la distribution – je ne citerai pas de noms !

Le livre que tu n’as pas encore lu et que tu veux absolument découvrir…
« Une Fièvre impossible à négocier », le premier roman de Lola Lafon, car j’ai eu un coup de foudre absolu pour le deuxième. C’est ma dernière claque littéraire en date, « De ça je me console », avec « Beijing Coma ». Pour le reste, depuis juillet les livres s’amoncellent : je n’ai pas encore lu « Trois femmes puissantes » de Ndiaye ni « Karski » de Hanael. Hâte de les découvrir, comme le dernier Justine Lévy dans un tout autre genre, le dernier Giraud, le dernier Kadaré, il y en a tant !

Le livre que tu recommandes le plus de bouche à oreille…
Je ne peux pas t’en donner qu’un ! Récemment « Assez parlé d’amour » de Le Tellier (encore hier soir !), « Sépharade » d’Abécassis. « L’Aube le soir ou la nuit » de Yasmina Reza, celui de Lola Lafon que je viens de citer et que j’ai déjà prêté deux fois, et les pièces de jeunesse de Bohringer (« Zorglub »). Leur point commun réside peut-être dans l’éloge du temps, le temps de rien, le temps de rêver, le temps et la solitude. Il y a mille ressorts à ces livres, mais je crois qu’ils sont ramassés dans l’absurde de l’urgence et du « faire », dans lesquels nous noie justement notre temps. Ou le temps « des grands », le temps que la société veut faire passer pour « adulte », pour « raisonnable ». Ils sont au-delà du « il faut » et des clivages traditionnels, et ils « questionnent la question » comme des enfants… comme les philosophes aussi. Mais dans une langue unique.

En général et depuis longtemps, je recommande et j’offre beaucoup les « Lettres à un jeune poète » que j’ai citées plus haut. Le temps encore, et la solitude. Il y a « Ni toi ni moi » de Camille Laurens, ou l’histoire des sens interdits. « Poussières d’anges » d’Ann Scott, « Des Jours et des nuits » de Sinoué évidemment. « L’Ecriture ou la vie » de Semprun. « La Virevolte » de Huston. Et je recommande souvent « L’Etonnement philosophique » de Jeanne Hersch, à ceux qui veulent apprendre et qui ont peur de ne pas comprendre.

Le jeune auteur contemporain qui te semble incarner la nouvelle génération littéraire en France (et/ou à l’étranger)…
A part moi je vois pas ! Mais je suis pas encore arrivée sur la scène littéraire (rires) !
Jeune ? Il faut qu’il ait quel âge ? Celui qui avait treize ans lors de sa première publication nous parlait toujours de la même chose : la poutrasse ou la ligne blanche à se foutre dans le nez – était-ce la ligne éditoriale à la page de la littérature « nouvelle génération » d’ailleurs ? Il y a eu Ellis. Il y a eu Ann Scott (l’héro et les ecstas) et dans un tout autre genre Beigbeder (la coke et les ecstas) ou Lolita Pille (la coke), à présent j’adorerais que la nouvelle génération nous parle d’autre chose que de sa défonce, que les rock-stars chantaient déjà dans les sixties et qu’on connaît par cœur pour la voir partout – au cinéma, en littérature, ou éventuellement sous notre nez quand on ne la pratique pas soi-même.

Ariel Kenig est sans doute l’un des plus jeunes et des plus talentueux, mais je doute fort qu’il incarne la nouvelle génération littéraire, même s’il dit beaucoup de ma génération – je fais partie de la sienne. J’attends l’auteur qui incarnera autre chose que la « nouvelle génération » déjà estampillée « nouvelle génération » depuis longtemps (je pense à la collection qui porte ce nom chez J’ai lu : j’adore leurs auteurs, et beaucoup d’entre eux n’ont plus vingt ans !). J’attends l’auteur qui sera lourd de notre histoire et de nos idéaux (évanouis), et dont les héros seront pourtant habités par autre chose que le désenchantement. Il faut que je lise « Les Veilleurs », d’un jeune auteur qui a mis 5 ans à écrire son premier roman, Vincent Message.

Le livre que tu n’aurais jamais cru aimer/livre que tu ne voulais pas lire et pourtant…
Pourquoi lire un livre qu’on n’a pas envie de lire ? La vie est courte, les désirs trop nombreux…
Il faut que je remonte à l’école donc. A Shakespeare, aux classiques. A l’école… ce serait Gabriel Marcel en philosophie (« Essai de philosophie concrète ») : j’étais réticente sans doute à cause de son empreinte personnelle chrétienne, j’y ai finalement trouvé un humanisme comparable à celui de Levinas – et à Ricoeur. Ce serait Victor Hugo en littérature, on était obligé de lire « Hernani » à l’école ! Je suis revenue à lui bien après. Le coup de foudre a été tel que j’ai travaillé sur sa préface de « Cromwell », dévorant la biographie que lui a consacré Decaux (un chef d’œuvre), dévorant ses textes poétiques, littéraires, politiques. Il était synonyme de « classique » obligé, puis à l’université je suis tombée amoureuse de l’écrivain, de l’homme, du visionnaire, de l’engagé. Avec lui j’ai compris le sens du mot « intellectuel ».

Pareil pour Shakespeare, que j’ai redécouvert par le biais de la philosophie, jalouse qu’il ait été exclusivement aux autres avant de m’appartenir.

Et puis il y a les best-sellers aujourd’hui, dont les tapages médiatiques lassent avant la première page. Je n’ai pas lu « Bouche Cousue » de Mazarine Pingeot à sa sortie, ni « Rien de grave » de Justine Lévy. Ni « Beijing Coma » qui ramasse le sens du mot « littérature », pour moi. Perversion médiatique, préjugés stériles. Je les ai lus longtemps après, « et pourtant »…

Ton livre « page-turner » : le livre que tu as lu en une nuit, sans pouvoir décrocher…
Il y en a eu plus d’un, ce qui a entraîné de terribles insomnies ! « Bonjour tristesse » était le premier, beaucoup d’autres romans de Sagan ont suivi. Ils sont courts, ça compte ? Plus tard il y a eu Rilke, cette lettre célébrissime dont j’ignorais alors totalement la renommée. Puis « La Responsabilité de l’écrivain » de Sartre, un livre inconnu qui mettait des mots sur des choses que je ressentais alors sans pouvoir les verbaliser (le lien entre l’écriture et la politique). J’ai dévoré certains dialogues de Platon en une nuit, mais ça ne compte pas c’est trop court, comme ce petit « Eloge de Socrate » de Pierre Hadot. Je me rappelle avoir veillé plus d’une nuit avec le petit pavé freudien, son « Introduction à la psychanalyse », mais il a fallu plusieurs aubes avant la fin ! « Des Jours et des nuits », de Gilbert Sinoué, tous les Ann Scott à l’exception du « Pire des mondes ». Pas mal de Nothomb, ils sont si courts. « Combien de fois je t’aime » de Serge Joncour. Cette année « Pop Heart » de Barbara Israël. Et récemment et dans un tout autre genre le dernier Koskas, « Aline, pour qu’elle revienne » : son sens de l’intrigue me faisait lutter contre le sommeil, à la manière d’un Guillaume Musso qui m’a également eue plus d’une fois.

Le livre qui t’a fait pleurer…
« Poussière d’ange » d’Ann Scott. Dans un avion, c’était très embarrassant. « Combien de fois je t’aime » de Serge Joncour. « La Petite française » d’Eric Neuhoff. « A ce soir » de Laure Adler.

Le livre qui t’as fait rire/redonné le moral (sorti d’une situation difficile)
J’ai lu « Miss Saturne » après un épisode dur. On peut y voir un livre triste, puisque les personnages y sont désenchantés. Mais Barbara Israël est à crever de rire, elle m’a sorti d’un sale état. Il y a beaucoup de livres « pas drôles » qui m’ont redonné le moral : lire c’est être seul et parfois, dans les pages, rencontrer un auteur. Une rencontre, ou carrément un coup de foudre, dans la solitude de la lecture, ça remonte le moral, non ? Tomber sur des inconnus avec lesquels on parle la même langue, ça remonte le moral. Lire Kant a pu me remonter le moral. Cet espoir qu’il place dans « l’espèce humaine » me redonnait le moral. Ce qui me remonte le moral, c’est simplement l’existence de certains auteurs. Qu’il existe des gens sur la planète pour ressentir, penser et écrire comme Lola Lafon, ça me remonte le moral. Quant à l’auteur qui me fait le plus marrer, c’est David Foenkinos. Mais au chapitre « humour » c’est difficile de ne pas citer les « Mémoires d’un jeune homme dérangé » de Beigbeder !

Merci Axelle du temps accordé !

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2 Commentaires

  1. On nous met bien trop de poudre sous le nez, voilà qui est dit (merci).
    La "nouvelle génération" n’est pas bien jeune quand elle écrit.
    (et sinon, oui pour Rilke, oui pour Barbara Israel, pour Mark Twain et pour "et cie"!)

    • Tommy_Gun sur 16 mars 2010 à 15 h 57 min
    • Répondre

    Toujours un plaisir de lire quelqu’un qui apprécie Sagan à sa juste valeur (semble-t-il)

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