Affaire DSK : Le « bûcher des vanités » du « Démon » tombé en « Disgrâce »…

Difficile de ne pas parler de l’affaire qui obsède l’actualité du moment, l’affaire DSK, les images de son audience qui tournent en boucle sur tous les médias, à commencer par Internet, les gros plans impudiques et inquisiteurs sur son visage au gris bronzé et ridé, ses lèvres anorexiques crispées, ses yeux vitreux qui courent de son avocat à la juge, comme si la caméra ou l’objectif des photographes tentait d’y lire, d’y débusquer ce qui s’est réellement passé dans cette suite du Sofitel samedi dernier. Et surtout pourquoi… ? J’avoue une fascination assez malsaine pour ce procès dont je ne peux m’empêcher de suivre chaque minute dés qu’une nouvelle actu surgit sur le Net. Qui, comme tout grand procès agit comme révélateur de notre société et de ses failles. Comme plusieurs blogs littéraires (cf : Aymeric Patricot qui évoquait le déni de la violence faite aux femmes qu’il a cherché à aborder dans ses romans), j’ai tendance à rapprocher cette « histoire » (qui ne manquera pas d’être récupérée par les scénaristes ou écrivains) de mon imaginaire littéraire, et je constate aussi que sur la toile on évoque plusieurs grands livres pour tenter de mieux comprendre peut-être ce nouveau « séisme » qui nous secoue actuellement :

A lire aussi :
« Un troussage de domestique », un livre sur les réactions à l’affaire DSK (+ livre témoignage de Tristane Banon « Le bal des hypocrites »)

Le premier roman qui m’est venu en tête a été « Le démon » d’Hubert Selby Jr.
Sans me substituer au juge qui seul a la capacité et la compétence de se prononcer, j’ai tendance à penser que ce comportement est pathologique.
Selby surnommait cette « maladie », le « démon » dans les années 70. Aujourd’hui, on parle de « sex-addiction », névrose qu’a largement évoquée un romancier tel que Chuck Palahniuk par exemple (en particulier dans Choke), ou encore Craig Davidson. Le démon, l’histoire d’un homme qui a tout pour réussir, une belle carrière, une femme qu’il aime, un foyer heureux et qui pourtant se sent dévoré et déchiré par ses bas instincts, sexuels notamment, qui re-surgissent régulièrement, sans qu’il ne parvienne à les contrôler.

Une histoire de double personnalité qui n’est pas sans rappeler le fameux Patrick Bateman qui repoussera encore plus loin les limites de l’horreur de son « démon intérieur ».

Dans l’affaire DSK, je crois que c’est bien cela au fond qui choque et fascine le plus : c’est double facette qui nous rend incroyable, voire impossible pour certains, son geste, son acte criminel. L’homme bien sous tout rapport, au couple parfait et uni, le brillant directeur, le « grand homme » promis aux plus hautes fonctions qui s’avère finalement un « monstre », un faible, un lâche, une brute primitive…
Même si l’un n’empêche pas l’autre, mais la société n’accepte pas cette complexité, cette ambivalence et donc se réfugie en général dans un amoindrissement (« c’est un séducteur qui aime les femmes »), un déni ou un rejet total. C’est « impensable », « inacceptable », plus que l’acte en lui-même finalement (les violences faites aux femmes restant malheureusement coutumières et quotidiennes).

D’autres faits divers récents reposent sur la même dichotomie (l’affaire Dupont de Ligonnès par ex et avant lui l’affaire Jean Paul Romand qui aura inspiré E. Carrère).

« Ne vous retrouvez jamais pris dans le système de la justice américaine. Dés que vous êtes pris dans la machinerie, juste la machinerie, vous avez perdu. La seule question qui demeure, c’est combien vous allez perdre. » (Le bûcher des vanités, Tom Wolfe)

Depuis que l’affaire a éclaté, j’ai pu constater que certains articles étaient consultés avec une ardeur inhabituelle sur Buzz littéraire.
A commencer malheureusement par Tristane Banon, une jeune écrivain et journaliste qui avait témoigné il y a quelques années d’agissements similaires, à l’encontre du « présumé innocent ».
Mais également un roman auquel j’avais aussi évidemment pensé : « Le bûcher des vanités » de Tom Wolfe qui reste, malgré son ancienneté (publié en 1987), une référence en terme d’emballement de la machine judiciaire, des organisations militantes et de l’opinion publique américaines. Des échos troublants résonnent avec l’affaire du directeur du FMI, en particulier le fait que sa victime présumée soit d’origine afro-américaine, et de surcroît issue d’une classe sociale défavorisée. On se souvient que c’était aussi le cas de la victime de l’infortuné héros de Wolfe, Sherman McCoy, dont la condamnation devient alors un « symbole » (le richissime gloden boy puni pour avoir renversé un pauvre immigré et surtout finalement pour être indécemment riche et privilégié…, et qui finit par payer pour toute une société blanche et raciste), dont chacun veut tirer partie pour se mettre en valeur. Je ne ferai pas l’amalgame avec DSK, dont les accusations sont de toute autre nature et autrement plus graves, mais il est certain, qu’à voir les différentes associations féministes qui montent au créneau, que ce procès prendra une dimension qui dépassera certainement le strict cadre des faits.

On évoque aussi sur la toile, une autre célèbre histoire de procès, celui de l’Etranger de Camus. Histoire dans laquelle le héros, Meursault, finit aussi par être jugé sur d’autres critères subjectifs (sa froideur supposée, le fait qu’il n’a pas pleuré à l’enterrement de sa mère…) que son crime réel.

Pour ma part, cette affaire m’a aussi fait réfléchir sur la place des femmes vis à vis des hommes, puissants de surcroit.
Leur vulnérabilité, certes aujourd’hui mieux protégée, mais qui reste encore une bataille de tous les instants. Un roman qui aborde ce thème et dont le titre reflète assez bien l’écroulement que subit actuellement l’incarcéré de Manhattan : « Disgrâce » de Coetzee.
Le viol est aussi omniprésent dans ce roman et démontre en filigrane l’oppression éternelle subie par les femmes. Elles restent, quoiqu’il advienne, les victimes des hommes. « ce que les hommes font subir aux femmes » : « Pauvres filles ! Quelle destinée, quel fardeau à porter ! », écrit l’écrivain sud africain.
Et le nécessaire besoin de protection, d’un mari, d’un garde du corps pour survivre et vivre en sécurité, ce qui reste difficile pour une femme seule, aussi indépendante soit-elle financièrement. Le thème a aussi été abordé par Sofi Oksanen dans « Purge ». Mais aussi dans « Le monde selon Garp », où Irving dénonçait également la dangerosité de la « concupiscence » masculine. Son héros allant jusqu’à penser : « C’était à cause des hommes que Garp ne voulait pas de fille. A cause des hommes mauvais, bien sûr ; mais même, songeait-il, à cause d’hommes tels que moi » ou encore au sujet de viols sur des jeunes-filles qui surgissent aussi dans l’histoire : « Aux yeux de Garp, le plus révoltant dans le viol, c’était qu’il s’agissait d’un acte qui le dégoûtait de lui-même – de ses propres instincts, très mâles, qui par ailleurs restaient inoffensifs. Il n’avait jamais envie de violer personne ; mais le viol, songeait Garp, donne aux hommes le sentiment d’être coupables par association. »

Dans l’affaire DSK, ce qui m’a frappée, c’est le soutien dont il a spontanément bénéficié, malgré un passif déjà lourd.
Immédiatement les soupçons se sont d’abord portés sur la femme de chambre*. C’était de sa faute. Quelle sotte aussi de rentrer dans la chambre alors qu’il sortait de sa douche ! C’était vraiment déplacé de sa part, après tout elle l’a bien cherché, aurait-on pu presque entendre dans les commentaires soufflés de part et d’autre.
Cela m’a aussi rappelé le temps des romans de Maupassant (« Une vie » par exemple) où les maîtres de la maison violaient tranquillement les petites bonnes au dernier étage de leur manoir, avant qu’elles ne tombent enceintes et qu’elles se fassent virer, avec force remontrance… [Alexandra Galakof]

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Mise à jour 29/08/2011 :
Mr Jean-François Kahn évoquait spontanément sur un ton débonnaire le « troussage de domestique » au début de l’affaire, comme une pratique assez naturelle finalement et peu répréhensible, ceci fait écho à un extrait du roman de Moravia, « L’ennui », il s’agit d’une scène secondaire au début du roman qui n’a pas beaucoup de lien avec le fond de l’intrigue principale mais qui m’a marquée par son aspect abject, en particulier en raison de sa résonance avec cette triste « Affaire DSK ». Alors que le héros déjeune chez sa riche mère, la femme de chambre, Rita, renverse du café sur son pantalon, ce qu’il saisit comme prétexte, avec l’assentiment maternel tacite, pour se retrouver seuls avec elle et abuser d’elle : « Nous sortîmes donc, Rita et moi, elle me précédant presque en courant et disant : – Je vais devant parce que cette chambre a toujours été fermée, je vais au moins ouvrir les fenêtres. – Je la suivais en pensant avec une certaine surprise que tout se déroulait selon les règles jamais écrites mais inflexibles de toutes les situations ancillaires analogues : la mère qui, elle-même, fournit à son fils le prétexte offert et qui s’acheminent ensemble vers le lit sur lequel ils tomberont ensemble ; la domestique à la fois excitée et servilement ambitieuse, le fils, excité lui-aussi et humilié en tant que patron. (…) Je la vis se pencher hors de la fenêtre pour ouvrir toutes grandes les persiennes; comme elle se retournait, le visage un peu rougi par l’effort, la course, et peut-être le trouble, je lui dis sèchement : – Attendez un moment dans le corridor, je vous appellerai. (…) J’entendis à ce moment un grattement à la porte, discret mais clairement impatient et intime ; et avant même de pouvoir me rendre compte de ce que je faisais, j’avais déjà dégrafé ma ceinture, laissé tomber mon pantalon, jeté le matelas au bas du lit et m’étais étendu tout de mon long sur le lit. Puis je criais à Rita qu’elle pouvait entrer. (…) J’étendis alors une main, saisis l’une des siennes qu’elle laissait pendre à son côté et l’attirai à moi de la façon dont on tire le licou d’une bête moins récalcitrante que timide; je sentis toute sa personne venir avec cette main que je guidais vers le centre de mon corps. (…) Maintenant Rita était immobile, un peu inclinée en avant, le bras allongé sur moi, une rougeur allumée, sous les deux cercles noirs de ses lunettes. Puis elle dit, étrangement, d’une voix lente et complaisante: – Quelle horreur ! »

A lire aussi :

– « Un troussage de domestique », un livre sur les réactions à l’affaire DSK (+ livre témoignage de Tristane Banon « Le bal des hypcrites »)

Quand les écrivains réagissent à l’affaire DSK…

« L’enculé » : Quand l’écrivain Marc-Edouard Nabe se met dans la peau de DSK…

9 Commentaires

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  1. Curieusement, ces jours-ci je lis Le Juif Süss (Lion Feuchtwanger).

  2. Après avoir lu les dernières avancées sur l’affaire ds la presse ce matin, je mets un bémol sur mon billet peut-être un peu trop connoté "à charge", alors qu’on attend encore que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

    Le billet reste de toute façon avant tout une perspective littéraire, l’objectif n’est pas de juger du fonds de l’affaire.

    • leafar sur 18 mai 2011 à 14 h 45 min
    • Répondre

    Au moins le temps de l’écriture la littérature a repris le dessus. Bon angle cela fait du bien.

    • Camille (la liseuse) sur 18 mai 2011 à 23 h 18 min
    • Répondre

    J’ai moi aussi aimé ta mise en perspective par la littérature, Alexandra.
    Juste une petite rectification : Si je ne me trompe, Le Démon de Selby ne s’arrête pas l’adultère mais en quête d’un frisson toujours plus grand en vient au vol puis au meurtre.

  3. Il y a aussi un thriller très récent qui s’approche énormément de cette affaire : Bloody Valéria.
    Un excellent polar que ne pourrais que conseiller à tous ceux qui aiment ce genre d’intrigue !

  4. Oui, dans Le bûcher des vanités de Tom Wolfe, on a une mise en perspective de l’emballement du système judiciaire américain, manipulé, téléguidé, par l’opinion et les ambitions des uns et des autres. Il n’empêche que le ‘héros’ qui sera déchu (et rendu fou) au final n’est pas innocent de tout. N’a t-il pas fui là où il aurait dû s’arrêter ?

  5. après vérif (sur wikipedia, n’ayant pas remis la main sur mon exemplaire du démon !), tu as bien raison Camille, apparemment Harry était plus "méchant" que ds mon souvenir…
    C’est étrange je n’ai pas souvenir de ses scènes de meurtre et de vols… ça ne m’a pas marquée apparemment… par contre je me souviens bien de la fin du roman.
    Merci de me l’avoir rappelé, j’ai fait la correction ds le billet.
    Oui une fille, le héros du bûcher est bien coupable de ne pas s’être arrêté lors de la collision, mais l’affaire prend ensuite des disproportions qui n’ont pas grand chose à voir avec son acte, qui reste un accident involontaire.
    Il finit par être accusé de tout un tas de trucs connexes liés à sa couleur de peau ou à son statut social (racisme, "méchant capitaliste", etc).

    PS : A lire aussi : Quand les écrivains réagissent à l’affaire DSK… (avec en commentaire tous les liens sur le suivi de l’affaire)

  6. En 2001, il était mal vu d’envahir le territoire des voisins, et la vraie liberté résidait dans le contrôle des pulsions. Le bonheur s’étalait sur ces plages, où les femmes dénudées se baignaient sans craindre le regard des hommes. Le bonheur était là, dans ce paysage asexué, sur cette plage paisible.
    L’instinct des hommes était montré du doigt, cadenassé dans des prisons.

    L’animal coupable se terrait dans des endroits bien définis, bien codifiés.

    Des endroits où des animaux copulant avec des humains, et des excréments sur des corps étaient photographiés. La loi venait d’autoriser officiellement l’achat des images. On avait le droit de les acheter, d’acheter les images. De contempler en soi, l’animal apeuré, traqué. Devant ces images, on sentait le corps de l’animal battre encore et son souffle chaud battre dans ses propres tempes.

    • Lucie sur 20 mai 2011 à 11 h 22 min
    • Répondre

    par rapport à la dernière phrase de l’article sur les seigneurs et les petites bonnes, allez écouter la petite phrase de Jean François Kahn sur le "troussage de domestique"….
    http://www.youtube.com/watch?v=S...

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