Comment mettre un peu d’animation à un dîner entre fins lettrés sans pour autant semer la zizanie ? Facile… Lancer le sujet éternel mais ô combien fédérateur du « La littérature contemporaine c’est de la merde et du c’était mieux avant… » Vous verrez immédiatement les têtes acquiescer, s’enthousiasmer, se gargariser, abonder dans votre sens et se lancer dans des tirades enflammées « C’est une honte… », « Tous ces pseudo-auteurs de merde… », « Il n’y a plus de vrai écrivain en France… (à part peut-être moi ?) ». Patati et patata. C’est bien connu : « Un bon écrivain est un écrivain mort ». Tout le monde s’auto-congratulera de cette saine prise de conscience. Et c’est là que Buzz littéraire entre en scène…
« Buzz…littéraire, à l’origine c’était la mise en avant la littérature « nouvelle génération »« . Cela fait beaucoup de gros mots dans la même phrase. Eh oui, que voulez-vous, c’est mon côté masochiste (je suis l’heureuse maman de l’intitulé).
Tout d’abord le « buzz« , terme à mauvaise réputation (on l’associe au marketing et autre vent médiatique) alors qu’il signifie originellement bouche à oreille tout simplement, une pratique courante en matière de livre. C’est un intitulé certes un peu moderne voire branché, mais qui est justement revendiqué. Pourquoi la littérature devrait-elle être austère ou poussièreuse pour être digne d’intérêt ou de valeur ? J’aime beaucoup ce que dit la jeune écrivain Sofia Guellaty (oh encore « une pseudo-auteur de merde » entends-je déjà souffler…), auteur de « Le sablier », à ce sujet :
« Il faudrait que la littérature soit un peu plus accessible, enlever les livres des musées pour les réintroduire dans un espace ludique et populaire. Organiser des soirées livres, proposer des émissions plus attractives et non en fin de soirée, à des heures impossibles. Quand je serai diplômée, avec plus de temps libre, j’aimerais m’atteler à rendre le livre plus branché. » (Source : Evene).
Le problème c’est que pour beaucoup le livre doit rester dans son écrin sacré et ne surtout pas essayer d’en bouger sous peine d’être taxé de « littérature de merde ».
Poursuivons le décryptage : « littérature nouvelle génération« , alors là on frôle le crime de lèse majesté ! Mais que sont-ils encore allés inventer avec leur concept bidon ?! Eclaircissons un peu ce « sous-titre ». En fait c’est assez simple, elle est directement inspirée de la collection J’ai lu, lancé en 1996 par Marion Mazauric (qui a tout compris avant l’heure) dont la définition est « la rencontre de nouveaux talents, d’un ton moderne, d’une langue réinventée, un univers ultra contemporain, le combat ordinaire contre tous les tourments du XXIème siècle, et la drôlerie tendre ou cynique du quotidien… Un seul mot d’ordre pour la Nouvelle Génération : inventivité ! »
Une définition qui colle parfaitement à ce que nous avons eu envie de présenter et partager sur ce « blog-site » à travers nos thèmes de prédilection (donc forcément limités mais c’est une « bulle » après tout, elle n’a pas vocation à être exhaustive).
Et cette nouvelle littérature est là, bien vivante, dans toute sa diversité et sa richesse, aussi « valable » que celle d’hier. Bien loin des considérations oiseuses et aigries sur « la qualité littéraire qui se perd »…
Oliver Rohe (encore un jeune auteur (Défaut d’origine..), décidément comme c’est bizarre !) l’expliquait très bien dans l’excellente émission « Leçon de littérature » sur France Culture : « La littérature ne suit aucun ordre. Il n’y a ni matière noble ni matière honteuse. La littérature n’est qu’une tentative sans cesse renouvelée de restitution de la complexité, du désordre qu’elle charrie. »
De Julien Gracq (La littérature à l’estomac) à Richard Millet (Harcèlement littéraire), le discours n’a pas changé. Toujours les mêmes plaintes hautaines, pleine de suffisance, de mépris, les remontrances au nom d’une grande morale littéraire dont leurs auteurs pensent détenir, la clé, le grand secret. Et de se désoler de « l’approximation syntaxique » et du « tout-à-l’égoût linguistique » de leurs contemporains.
« Je ne lis presque plus mes contemporains, par dégoût de leur langage, manque d’intérêt pour leurs thèmes. (…) Le roman français souffre d’un manque d’ambition, d’architecture, d’intelligence, de culture même, et de la nostalgie de ce qu’il a été, autant que d’être fasciné par le modèle anglo-saxon- toutes choses qui me font mépriser à peu près tout ce qui paraît en France et n’avoir pas d’estime pour ce qui est généralement reçu comme littéraire » Richard Millet
En littérature (comme dans tout domaine artistique), tout est affaire de subjectivité. Certains tiendront Bret Easton Ellis pour un génie tandis qu’American psycho tombera des mains d’un autre. Ce dernier devra t’il pour autant déclarer que c’est « de la merde » ? Est-ce parce qu’on n’aime pas un auteur que sa prose est pitoyable, bonne au rebut ? Bravo l’ouverture d’esprit et la tolérance. Qui peut prétendre savoir ce qui est « bon » ou « mauvais » en littérature ? Bon pour qui ? Mauvais par rapport à quoi ? Qui peut prétendre avoir lu l’exhaustivité des milliers de nouveaux livres qui sortent chaque année en France ? Qui dispose d’un système d’évaluation de qualité littéraire infaillible et scientifique qui lui permettrait de déclarer qu’une seule et petite poignée d’écrivains actuels vaut la peine ? Qui peut prétendre faire de son opinion personnelle une généralité ?
Ils sont là les jeunes auteurs, la plume fébrile, caustique, assassine, poétique, fiévreuse, loufoque ou mélancolique… De Bégaudeau à Amélie Nothomb (oui, elle aussi, elle vend et ce n’est pas pour cela que c’est une pseudo-auteur de merde), de Chuck Palahniuk à Bernard Mourad ou James Flint, de Nancy Huston à Olivier Adam, de Thomas Gunzig à Philippe Djian, Houellebecq, Régis Jauffret, de Douglas Coupland à Jay Mc Inerney, de Lucia Etxebarria à Sophie Jabès, du génial Niccolo Ammaniti à Paul Auster, de Laurence Tardieu à Arnaud Cathrine, Lionel Tran, Vincent Ravalec, de Chloé Delaume (ajout du 15/09/06 de cette photo ci-dessus qui nous est envoyée par Magalie et qui s’étonnait des reproches faits par l’auteur sur son blog aux « pouffes hypeuses » de la littérature) à Faïza Guène ou encore d’Anne Godard ou Ariel Kenig à Frédéric Beigbeder ou Virginie Despentes (oui, oui eux aussi que ça plaise ou non !)… Et tant, tant d’autres (sans parler des littératures dites de genre : du polar à l’heroïc fantasy…). Lolita Pille, ambulance parmi les ambulances, sur laquelle les « vrais littéraires » aiment tant tirer, a certainement apporté bien plus à beaucoup d’ados que beaucoup de grands auteurs si l’on en juge par le nombre de fois où son nom est saisi, chaque jour, dans Google, et le nombre de messages qui nous ont été envoyés à son sujet, par exemple. Qu’on le veuille ou non c’est ainsi. La littéraure est vivante, elle évolue, ce n’est pas un animal empaillé. Elle touche, elle donne du plaisir, elle accompagne, elle fait écho, elle dédramatise, elle met des mots sur nos malaises, nos peurs, elle nous aide tout simplement.
Chacun avec leur style, leur univers, leur langage, leurs questionnements, ces jeunes auteurs nous font réfléchir sur notre époque, notre génération, celle d’hier, celle de demain. Il suffit de vouloir la rencontrer en allant par là ou ici ou encore là et là…
Et, à moins d’avoir un ego surdimensionné, de ne jamais sortir de sa tour d’ivoire ou d’être de franche mauvaise foi, il est tout bonnement impossible de la condamner en une ou deux phrases définitives.
Pour finir, je citerai ce passage de George Orwell extrait de son livre « Un peu d’air frais » où l’un des personnages ne lisait que de la littérature latine :
« Peut-être bien que la plupart des gens que nous voyons marcher sont morts. Nous disons qu’un homme est mort quand son cœur cesse de battre, pas avant. Ca semble un peu arbitraire (…) Peut-être un homme meurt-il vraiment quand son cerveau s’arrête – quand il a perdu l’aptitude à enregistrer une idée neuve. (…) Dit les mêmes choses, remâche les mêmes pensées, jour après jour, année après année. Il y a des tas de gens comme ça. Morts dans leur tête, bloqués de l’intérieur. Avançant et reculant sur la même voie exigue, et perdant sans cesse de leur consistance, comme des spectres. » [ Alexandra, Buzz littéraire ]
Nb : une petite humeur en clin d’oeil amical aux notes de ‘La litterature’ (Où sont les jeunes auteurs ?, elle même en écho à la note de Chloé Delaume, que nous remercions au passage d’être une de nos lectrices même si nos idées sont en effet différentes) et à Ladywriter.