Littérature intimiste

Les livres des "choses de la vie", les "fragments de la vie des gens" aux héros névrosés, paumés, losers magnifiques. Attentifs aux détails du quotidien et au désespoir ordinaire qu'ils content avec sensibilité, subtilité voire cruauté ou cynisme... Une littérature puisée au plus profond des êtres. Romans psychologiques et existentiels.

Orléans de Yann Moix : ce que les collégiennes lui diraient si elles pouvaient parler…

Près de 2 ans après la polémique retentissante ayant accompagné la sortie d’Orléans (rentrée littéraire de sept. 2019), roman d’inspiration familiale de Yann Moix (histoire douloureuse qui avait déjà nourri son précédent pavé « Naissance » pour lequel il avait obtenu le prix Renaudot en 2013), je me suis décidée à le lire et partage …

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Réparer les vivants de Maylis de Kerangal : « la folie comme seule forme de pensée possible (…) dans ce cauchemar d’une magnitude inconnue »

Réparer les Vivants est le livre qui aura consacré l’ascension fulgurante de Maylis de Kérangal en 2014 sur la scène littéraire française des années 2000, après deux opus déjà très louangés, Corniche Kennedy en 2008 et Naissance d’un pont en 2010. Multiprimé et adapté au cinéma en 2016 (réalisé par Katell Quillévéré, avec Emmanuelle Seigner …

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Mémoire de fille d’Annie Ernaux : « Chaque jour et partout dans le monde il y a des hommes en cercle autour d’une femme, prêts à lui jeter la pierre »

Mémoire de fille est le 19e roman autofictif d’Annie Ernaux publié en 2016 et suivi comme d’habitude d’une abondante critique élogieuse. Avec un double regard rétrospectif et d’époque « de l’intérieur », elle choisit ici d’ausculter et de « déconstruire » l’âge sensible et complexe de l’adolescence. Roman sur l’adolescence mais peut-être pas paradoxalement roman pour ado (on est …

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Mars de Fritz Zorn : La quête désesperée et destructrice de « normalité »

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Mars est la seule et unique œuvre posthume publiée en allemand sous pseudonyme par Fritz Zorn en 1977, alors que l‘auteur, résident à Zurich, décédait du cancer à l’âge de 32 ans. Auteur dont on ne sait rien de plus que ce qu’il aura confié dans son brûlot. Les circonstances de parution de ce livre …

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Continuer de Laurent Mauvignier : « Si on croit qu’on n’a pas besoin des autres ou que les autres sont seulement des dangers, alors on est foutu. »

Continuer, 11e roman de Laurent Mauvignier, écrivain discret d’origine tourangelle, qui trace et imprime son sillon d’une force tranquille et diversifiée dans le paysage littéraire français, a connu un beau succès critique tant auprès de la presse que des lecteurs. Parmi ses louanges on trouve : une « très belle histoire d’apprivoisement entre une mère et un fils », un « grand livre d’aventures, sauvage et abrupt, [à la] splendeur visuelle » ou encore une « leçon d’endurance et de ténacité, de courage face à l’adversité ».

Contours du jour qui vient de Léonora Miano : « Je suis née et ce n’est pas un crime que je sache. »

Contours du jour qui vient, 2e roman de la franco-camerounaise Léonora Miano , désormais auteur majeure et alors âgée de 33 ans, lui vaut le Goncourt des lycéens en 2006 après avoir remporté divers autres prix avec L’intérieur de la nuit, son premier opus en 2005. Les deux livres s’inscrivent dans sa trilogie « Suite Africaine » (fermée par Les aubes écarlates publié en 2009). Elle continue d’y explorer la jeunesse de son pays d’origine et son avenir possible, ici dans le cadre d’un état imaginaire d’Afrique équatoriale/centrale au sortir des ravages d’une guerre civile. Elle explique plus précisément s’être intéressée au « type de société pouvant exister dans ce pays après la guerre et comment cette misère affecte les gens intérieurement en particulier en milieu urbain et en l’absence de garde-fous ».

Le coeur régulier d’Olivier Adam: « Il s’occupe de nous, c’est tout. Ca fait du bien par moments d’avoir quelqu’un pour s’occuper de vous. »

Le cœur régulier est le 7e roman d’Olivier Adam, publié lors de la rentrée littéraire de septembre 2010, grand succès de librairie adapté sur grand écran en 2016. La critique a souligné les corrélations et la filiation avec ses précédents romans. En effet, Le coeur régulier met en scène une certaine Sarah, qui était aussi le prénom de l’épouse disparue dans « Des vents contraires ». La disparition est une nouvelle fois centrale dans le roman.
Olivier Adam se glisse aussi pour la 2e fois dans la peau d’un personnage féminin après Marie, l’héroïne d’A l’abri de rien. L’auteur lui-même rapproche le duo d’un frère « ingérable » et « inflammable » et d’une soeur « posée », « responsable » à celui de « Poids léger » 10 ans après.

Verre cassé d’Alain Mabanckou: « C’était la vie, un jour ça va, un jour ça ne va pas, l’essentiel c’est de rester debout, les cheveux dans le vent »

Verre cassé est le cinquième roman du Franco-congolais Alain Mabanckou, publié en 2005, alors âgé de 39 ans. Celui-ci marque sa consécration après déjà plusieurs romans remarqués. Il est couronné de nombreux prix comme le Prix Ouest-France/Étonnants Voyageurs, le Prix des Cinq Continents de la Francophonie et le Prix du livre RFO et s’affiche finaliste de la liste du Renaudot. Il est de plus adapté au théâtre plusieurs fois jusqu’à être en 2012 élu par le quotidien anglais The Guardian comme l’un des 10 meilleurs livres africains contemporains. L’auteur a reconnu lui-même dans une interview que l’opus, par son style singulier et très personnel, a marqué une transition dans sa bibliographie:

Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome: Contes africains de l’immigrant en terre hostile sur fond de ballon rond

Le ventre de l’Atlantique est le 2e ouvrage de la franco-sénégalaise Fatou Diome publié en 2003 à l’âge de 35 ans, après un premier recueil de nouvelles « La Préférence national » (2001). Il lui vaut une large reconnaissance critique et un succès international qui la fait compter aujourd’hui parmi les écrivains francophones (étiquette qu’elle rejette toutefois) majeures.
D’inspiration autobiographique comme son premier opus, l’auteur qui dit partir de ses expériences et de sa révolte intérieur » pour écrire…

« Tout est illuminé » de Jonathan Safran Foer : « Les juifs ont six sens : toucher, vue, goût, odorat, ouïe… mémoire. »

Estampillé « prodige des lettres américaines » dés la sortie de son premier roman « Tout est illuminé » en 2002, adapté au cinéma par Liev Schreiber (réputation confirmée voire accrue avec la publication de son 2e roman « Extrêmement fort et incroyablement près » en 2005), ce diplômé de Princeton ayant eu notamment pour professeur de creative writing, la romancière Joyce Carol Oates, mariée à l’écrivain Nicole Krauss, marque l’apparition d’une nouvelle génération littéraire américaine. Une écriture inventive, hybride et innovante (aux côtés notamment de Dave Eggers…). L’auteur juif new-yorkais, de Brooklyn (non loin de chez Mister Auster !), explore dans son œuvre romanesque son identité juive et ses racines, sur fond de drame de la Shoah, sous la forme de quêtes initiatiques. « Tout est illuminé » faisait suite à un voyage de l’auteur en Ukraine sur les traces de son grand-père :

Virgin suicides de Jeffrey Eugenides : What it feels like for a girl…

« Virgin suicides » de Jeffrey Eugenides, publié en 1993 et devenu culte grâce à son adaptation par Sofia Coppola en 2000, est peut-être l’un des plus beaux romans dramatiques écrits sur l’adolescence au féminin, l’ennui cruel des petites banlieues policées, le corps en métamorphose, la fascination ou encore l’innocence perdue… Son titre est inspiré d’une chanson du groupe « Cruel crux » (dont l’une des héroïnes, Lux, était fan).

Disgrâce de J.M Coetzee: « Il ne reste qu’à serrer les dents et vivre ce qu’il reste à vivre »

« Disgrâce », 9e roman de l’écrivain sud-africain, J.M Coetze, prix Nobel en 2003, est aussi celui de la consécration, couronné du Booker prize en 1999 (pour la 2e fois après « Michael K, sa vie, son temps »). Il est adapté au cinéma en février 2010 avec John Malkovich dans le rôle titre. Souvent présenté (réduit ?) à une peinture économico-sociale de l’Afrique du Sud post-Apartheid (lui ayant même valu une accusation de racisme), Disgrâce comme son titre l’indique est avant tout le récit de la chute d’un homme.

Truismes de Marie Darrieussecq: Les « cochon(nerie)s » de la parfumeuse (+ recueil de nouvelles « Zoo »)

Mariée à un astrophysicien, passionnée de sciences (« pures » et « fiction ») et amie fidèle de Virginie Despentes, la normalienne Marie Darrieussecq alors âgée de 27 ans, publie en 1996 un premier roman – Truismes- que s’arrache les éditeurs (acceptés par POL, Grasset, le Seuil, et la collection bleue de Jean-Marc Roberts, chez Fayard à l’époque) et qui deviendra immédiatement un best-seller mondial (un million d’exemplaires vendu dans le monde, traduit en trente langues pour trente-quatre pays, qui l’affranchissent à jamais des affres de l’écrivain) : « J’ai d’abord eu le choc d’être publiée. Je me souviendrai toujours de ce mois de mai 1995 où j’ai reçu le coup de téléphone de P.O.L. Puis le succès a été en quelque sorte la cerise sur le gâteau et j’ai vécu une année de folie. J’ai connu l’adoration et la haine (l’écrivain Marie Ndiaye l’a même accusée de plagiat : « Ce qui pour un écrivain équivaut à un meurtre. Cela m’a appris que le monde littéraire ressemblait à une jungle, je me suis beaucoup repliée sur moi-même »). Ecrire, c’est être seule. Je me protège beaucoup. Cela m’a débarrassée de la peur ou de l’envie du succès. », se remémore-t-elle. Ecrit en 6 semaines (!) parallèlement à sa thèse de Doctorat (« Moments critiques dans l’autobiographie contemporaine. Ironie tragique et autofiction chez George Perec, Michel Leiris, Serge Doubrovsky et Hervé Guibert »), Truismes est en fait son sixième roman.

La place d’Annie Ernaux : « Un jour, avec un regard fier: « Je ne t’ai jamais fait honte. »

L’écriture de « La place », 5e livre d’Annie Ernaux, prix Renaudot 1984, marque un tournant dans l’œuvre de l’auteur, tout en lui apportant une notoriété accrue. En effet, en entreprenant le portrait sensible de son père mort en 1967, l’année où elle réussissait le concours de l’agrégation de professeur de lettres, elle a aussi décidé de basculer plus franchement dans une « écriture de vérité » avec l’usage du « je », de sorte à ne pas travestir sa mémoire, déjà « pervertie » par la reconstitution littéraire.

Dora Bruder de Patrick Modiano: « On vous convoque. On vous interne. Vous aimeriez bien comprendre pourquoi. »

Dora Bruder de Patrick Modiano, paru en 1997 et déjà son 20e roman ! alors qu’il était âgé de 52 ans fait partie de ces livres les plus emblématiques, liés à la Shoah qui n’a jamais cessé de le hanter. Même si comme l’a rappelé Pierre Assouline, l’auteur ne saurait se réduire à son travail sur cette tragique période, et de définir ses thèmes les plus chers comme « l’ambiguïté des situations, la confusion des sentiments, le flou des atmosphères, tout ce qui fait notre indécision en temps de paix comme en temps de guerre. »

Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski : la sacro-sainte lucidité de l’homme défoncé et dépravé

> »Contes de la folie ordinaire » de Charles Bukowski est paru en 1972 sous le titre original « Erections, ejaculations, exhibitions and general tales of ordinary madness », ce recueil de nouvelles, très dense, est l’une des pierres angulaires de l’oeuvre du mythique Beatnik, « vieux dégueulasse » ou « pas grand chose » comme il s’autoproclamait. Il fallut attendre la fin de la décennie pour pouvoir se procurer en France ce livre, sous un titre raccourci et surtout plus pudique…

Demande à la poussière de John Fante: « On n’était pas vraiment en vie ; on s’en approchait, mais on n’y arrivait jamais. »

« Demande à la Poussière » (1939) de John Fante constitue le troisième quart d’un cycle autobiographique débuté en 1933 par La route de Los Angeles puis Bandini (1938) et beaucoup plus tardivement de Rêves de Bunker Hill (1982). Fante nous parle de l’intérieur comme personne et fait résonner en nous tous ces êtres perdus, tous leurs désirs et douleurs, toutes ces voix des bas fonds de Los Angeles.

La plaisanterie de Milan Kundera, Itinéraire d’un enfant déchu

Achevé en 1965, La plaisanterie est le premier roman de Milan Kundera alors âgé de 36 ans. Publié en Tchécoslovaquie en 1967, il coïncide avec les prémices du « printemps de Prague », tentative de libéralisation sévèrement réprimée par l’U.R.S.S. en août 1968. Parce qu’il prend pour cadre le régime de son pays, ce roman a été perçu comme un livre essentiellement politique. Ce que Kundera a démenti en le qualifiant « d’histoire d’amour », unique sentiment résistant à la désillusion de l’Histoire.

« L’insoutenable légèreté de l’être » de Milan Kundera : « Que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même ? » (1/2)

« L’insoutenable légèreté de l’être » (titre sublime s’il en est) est le plus célèbre roman de l’écrivain tchèque (émigré en France depuis les années 70) Milan Kundera, publié en 1984 (date qui fait étrangement écho au roman du même nom et qui présente le point commun de dénoncer le totalitarisme) et adapté au cinéma par Philip Kaufman en 1988). Entre le roman et l’essai, la fable et l’allégorie, ce livre inclassable, aux multiples niveaux de lecture, vient nous rappeler, sainement, qu’il n’y a définitivement pas de règle en littérature.
La structure particulièrement originale de cette histoire d’amour multidimensionnelle aux accents politique, philosophique voire métaphysique peuvent parfois dérouter voire rebuter certains lecteurs tandis que d’autres s’extasient au contraire sur sa richesse et la finesse de ses analyses. Retour sur ce livre culte, influence certaine de la nouvelle génération littéraire :

Journal d’Anaïs Nin 1932-34 « Inceste », l’imaginaire sensuel et l’interdit au pouvoir

Journal Anais Nin critique analyse

Le fameux journal d’Anaïs Nin comprend sept tomes au total soit plus de quinze mille pages !
Débutés à l’âge de douze ans suite au départ de son père qui abandonna sa famille, ils ne seront publiés qu’en 1966. La période d’entre deux guerres compte parmi la plus intéressante car la plus bouillonnante d’un point de vue culturel et relationnel. Elle y raconte notamment ses amours avec des figures mythiques de la littérature allant d’Henry Miller à Antonin Artaud (ou encore sa correspondance avec D-H Lawrence sur qui elle a rédigé un essai) et de de la psychanalyse (René Allendy, Otto Rank…), dans le Paris montparnassien et le Clichy des années 3O ou encore dans sa belle demeure bourgeoise de Louveciennes. C’est aussi le journal d’une trentenaire : l’écrivain fête ses 30 ans le 21 février 1933 qu’elle évoque d’ailleurs.