Les éditeurs publient les auteurs de Twitter et d’Instagram influents et relancent la poésie !

Après les blogueurs (« blook ») et les youtubeurs ce sont désormais les twitteurs et instagrammeurs (« instapoets ») qui intéressent les éditeurs faisant feu de tout bois et surtout des communautés de potentiels lecteurs déjà fidélisés ! C’est ainsi que plusieurs succès des réseaux sociaux français ou américains trouvent une deuxième vie en version imprimée, tout en renouvelant le genre poétique.

C’est notamment le cas du compte Instagram Amours Solitaires (titre inspiré d’une chanson de Lio «Amoureux solitaires») de Morgane Ortin, 27 ans, ancienne directrice éditoriale du site Deslettres.com, site sur la correspondance des grands écrivains (de quoi l’inspirer !), qui se décline en livre épistolaire chez Albin Michel depuis octobre 2018, après un an et demi d’activité et 200000 abonnés et quelques centaines de messages amoureux.

– Je mets du rouge à lèvres, demain, pour le ciné ?
– Pourquoi tu me demandes ça ?
– Pour savoir si tu vas m’embrasser ou pas.
– N’en mets pas.

Instapoesie : poesie sur Instagram réseau sociaux

Le choix d’Instagram pour un projet littéraire peut surprendre mais l’auteur explique sa démarche par sa volonté de vouloir justement dénoter dans cet univers visuel : « Ca m’intéressait de choisir la plate forme où l’image règne en maître et la travestir en n’y publiant que des mots. Et en étant en plus dans la désincarnation totale ce qui est un comble aujourd’hui sur Instagram. » a-t-elle expliqué à Paris Match. Avec un rythme de publication d’une fois tous les 15 jours, le succès a été assez soudain après avoir qu’un premier article paraisse à son sujet et fasse boule de neige. Elle est ainsi passée de de 5000 abonnés à 40 000 en deux semaines, à 85% femmes.

Depuis, le projet s’est même étendu avec les comptes instagram Amours Amicales et Amours Familières ! Autant de futurs ouvrages en perspective…

Outre Atlantique, c’est le compte Twitter @sosadtoday de l’Américaine Melissa Broder qui fait l’objet d’une publication aux Éditions de l’Olivier début 2019. Sous forme d’essais poétiques, elle y aborde le délicat sujet de la dépression et de la santé mentale qui reste encore relativement tabou encore que des auteurs, et pas des moindres, comme Sylvia Plath ou Virginia Woolf n’avaient pas hésité à déjà le traiter avec brio ou encore au ciné ou dans ses recueils Woody Allen le plus célèbre psychanalysé new-Yorkais (plus récemment la série Crazy ex-girlfriend a été saluée pour cet aspect également). Elle se distingue par son humour second degré reflété par les titres de ses chapitres comme “L’art de ne jamais être à la hauteur”, “Je veux me remplir complètement tout en restant mince”, “Aime comme si tu essayais de combler un vide existentiel sans fond avec quelqu’un qui s’y noiera”, “Si t’es fier d’entendre des voix qui veulent ta mort, tape dans tes mains”, ou encore “Gardez vos amis près de vous et votre anxiété encore plus près”. Son anonymat des débuts l’a aidé à puiser au plus profond d’elle-même et à partager ce qu’elle nomme à juste titre « l’universalité des sentiments« . Ce ton doux-amer désenchanté rappelle les ouvrages de ses collègues de la génération Y, les Millenials (sa date de naissance reste toutefois non communiquée). Au parfum de Cioran (le connaît-elle, sinon il faut lui conseiller !) : « Naître est très stressant », « Bonjour et bienvenue dans la terreur de l’existence » ou encore « Pas d’humeur à être un être vivant« . Son premier roman « Pisces » qui raconte l’histoire d’amour entre une femme et un homme-sirène sortira en France en 2020.

Compte instagram de Rupi Kaur, sous forme d’haikus poétiques et illustrés

La brèche avait été ouverte dés 2013 par la maison d’édition Andrews McMeel Publishing basée à Kansas City (spécialisée orginellement dans la BD), avec une première publication, Love & Misadventures (sur le thème du chagrin d’amour) de la néo-zélandaise Lang Leav, venue initialement de la plateforme Tumblr, vendu à plus de 150 000 copies.
En 2016, c’est l’instapoétesse Rupi Kaur, canadienne d’origine indienne qui cartonne avec « Milk and Honey », vendu à ce jour plus de trois millions d’exemplaires et traduit dans 40 langues. Son éditrice, Kirsty Melville, revendiquait alors « une poésie connecté en phase avec l’époque » : une forme courte et des messages abrégés, accompagnés de dessins façon encre de Chine. Kaur estime quant à elle que les réseaux sociaux représentent un nouveau marché pour une poésie plus singulière, « qui parle des traumatismes, des abus, de la perte, de l’amour et de la guérison, vus à travers le prisme d’une femme immigrante sikhe et pendjabi« .

Instagram de l’Instapoet Lang Leav

Ont suivi Cleo Wade, 29 ans, auteurs de mantras inspirants tels que “You want love? Be love. You want light? Be light”, placardés à Los Angeles et Times Square, ou encore Atticus qui enchaîne les tournées de star à travers les US et le Canada, R. M. Drake, qui a déjà publié pas moins de 12 livres papier, plusieurs d’entre eux best sellers à l’international… Point commun de cette nouvelle génération poétique : des origines diverses et des parcours qui sortent des viviers traditionnels plus élitistes et des messages qui surfent sur la tendance du développement personnel, si populaire en ligne (leurs livres sont d’ailleurs classées sous le label spécifique de « livres inspirationnels » sur Amazon). Cette dimension « commerciale » a d’ailleurs été critiquée par la poète Rebecca Watts qui regrette la perte de qualité de cette poésie « prêt à consommer » dans son essai : The Cult of the Noble Amateur publié en février 2018.

Ils partagent en effet un profil quasi entrepreneurial pour fidéliser leur audience tant en ligne qu’en réel à travers les nombreuses rencontres qu’ils organisent. Ils gèrent ainsi un véritable petit « business » avec parfois également la vente de produits dérivés comme des mugs ou des boîtes, affiches, imprimés de leurs vers. Quand ils ne sont pas « rachetés » par les marques à l’instar de Cleo Wade reprises dans les pubs de Gucci, sur les baskets Nike ou sur de la vaisselle…

Il n’empêche qu’ils redonnent une 2e vie à un genre qui était devenu mal-aimé des librairies ! A tel point que depuis la publication de Milk & Honey, la poésie est devenue le secteur d’édition connaissant la plus forte croissance outre Atlantique ! 12 des 20 poètes les plus vendus venaient en effet d’Instagram en 2017, révèle le journal The Atlantic. Le secret de vente (et du buzz) imparable est d’accompagner leur oeuvre de posts prêts à être partagés sur les médias sociaux. Près de la moitié des recueils de poésie vendu aux US viennent ainsi de ces nouveaux cyber-auteurs. Et de faire ainsi grimper le lectorat de poésie aux US à 28 millions d’américains,le chiffre le plus élevé de ces 20 dernières années selon une étude conduite par le National Endowment for the Arts and the U.S Census Bureau.

Les codes des réseaux sociaux inspirent aussi bien sûr les auteurs à l’image de la française Pauline Delabroy-Allard, révélation de la rentrée littéraire de septembre 2018, passée d’abord par l’exercice du blog, puis des tweets et enfin la photographie en noir et blanc sur Instagram, où elle raconte son quotidien sous forme romanesque.

Son premier roman, Ça raconte Sarah (récit d’une passion entre deux femmes récompensé par les jurés étudiants du Prix du roman des Etudiants France Culture – Télérama),édité chez Minuit, s’imprègne de la même atmosphère. Elle considère d’ailleurs ces plateformes virtuelle comme des tremplins créatifs : «Ils participent à mon envie de laisser trace, de documenter l’existence, de faire de ma vie une fiction car c’est comme ça que j’aime la vivre. J’aime infiniment le petit théâtre du quotidien que je dissèque avec l’image, que je mets en scène avec les mots» a-t-elle confié au magazine Slate.

Les voix féminines se font donc plus particulièrement entendre et remarquer, ce qui n’est apparemment pas au goûts de tous et comme d’habitude on échappe pas aux commentaires misogynes aigris, comme ce « courrier de lecteurs » repéré dans le magazine Lire en février 2019 (ci-dessous) se plaignant de la visibilité trop forte selon lui des poétesses au détriment des poètes. Ne manquant pas au passage de les stigmatiser en estimant qu’elles devraient plutôt être ghettoisées dans les magazines féminins plutôt que dans un magazine littéraire (et ce n’est même pas du second degré tristement !). Symptomatique:

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