Interview : l’éditrice de Delphine de Vigan explique son métier d’éditeur (Karina Hocine, éditions JC Lattès)

En quoi consiste le métier d’un éditeur ? Comment travaille l’éditeur avec ses auteurs, comment les accompagne-t-il, les guide-t-il et les conseille-t-il dans l’écriture de leurs romans ? Des questions auxquelles a répondu Karina Hocine, directrice littéraire puis directrice adjointe aux éditions JC Lattès, qui a notamment décoverte et publié Delphine de Vigan (Prix Renaudot, Goncourt des lycéens) et Grégoire Delacourt, l’auteur best-seller de La Liste de mes envies, ou encore Delphine Bertholon :

Karina Hocine éditrice chez Lattès à gauche avec son auteur phare Delphine de Vigan.

C’est après un cursus d’histoire ancienne que cette ancienne journaliste est devenue éditrice par hasard et non par vocation. Aujourd’hui, depuis 25 ans éditrice aux éditions JC Lattès, elle définit son rôle comme celui « d’amener l’auteur là où il a des chances de se déployer et (…) donner le meilleur de lui-même. » Une mission qui demande beaucoup de psychologie et de connaissance d’autrui.
L’éditeur est aussi là pour l’aider à franchir les obstacles créatifs et les « déverouiller » pour permettre sa progression en lui « (re)donnant toujours confiance en son talent ».

Cet encouragement se fera différemment selon la personnalité de l’écrivain, avec plus ou moins de fermeté.
Depuis près de 15 ans, sa collaboration avec la désormais auteur à succès Delphine de Vigan a ainsi été fructueuse : « Nous cheminons ensemble depuis Les Jolis garçons (2005), son deuxième roman. Nous avons vieilli l’une avec l’autre, et la nature et la forme de mon accompagnement ont changé au fil du temps. J’étais bien plus interventionniste au début, je pouvais lui suggérer de déplacer certains chapitres, de renforcer certains personnages. Aujourd’hui notre collaboration se joue ailleurs. Avant d’entreprendre un roman, Delphine me parle de son idée, parfois de deux idées qui l’occupent et se concurrencent. J’ai alors tendance à la pousser vers la plus grosse prise de risque, car je sais qu’elle adore cela. Ensuite, notre relation est très ritualisée : nous déjeunons régulièrement ensemble, toujours dans le même restaurant le temps de l’écriture. Pour le livre suivant, on prendra nos habitudes dans un autre endroit. Quand elle a écrit une soixantaine de feuillets, elle me les donne à lire, attendant de moi une sorte de validation de la voix, de la forme narrative qu’elle a choisies. Puis elle repart dans sa grotte et je ne lis plus rien avant que le livre soit achevé. Mais on continue à se parler souvent, à se voir pour échanger sur le livre et ses enjeux, mais aussi sur le monde, sur la société qui nous entoure et dont elle sait si bien capter les mouvements dans ses romans. Ces conversation nourrissent le livre que Delphine est en train d’écrire. »

Si Delphine de Vigan préfère lui faire lire son manuscrit une fois finalisé, d’autres auteurs choisissent de lui soumettre leur texte au fur et à mesure de son écriture, ce qui les motive à avancer comme si sa lecture « remettait de l’huile dans leur moteur« . C’est ainsi qu’elle a conseillé à l’auteur Monica Sabolo (« Summer ») de « prolonger le dénouement de son roman pour l’équilibre du récit ».
Elle décrit l’importance de son regard externe : « Le romancier est dans une fréquentation tellement intime de ses perosnnages et de son histoire que, parfois, des choses demandent à être explicitées, des repères à être donnés au lecteur? L’éditeur est là pour le voir. »
A l’inverse parfois elle reconnaît que retravailler un manuscrit peut aussi permettre que la version initiale était meilleure. Pour autant ce n’est pas du temps perdu selon elle : « il fallait qu’il y ait eu ce pas de trop pour en prendre conscience. » Loin d’être infaillible, elle n’hésite pas à admettre ses erreurs : « Si j’ai incité le romancier à faire une correction de trop, je le reconnais et on fait marche arrière. »
A d’autre moment, l’éditeur sent que l’auteur est allé au bout de son œuvre et qu’il convient d’arrêter le travail éditorial. : « ce qui fait la beauté d’une œuvre, c’est sa fraîcheur, sa sincérité, sa vérité. »

Au sujet du refus des auteurs, elle commentait avec honnêteté : « La lettre idéale est sobre et bienveillante: un manuscrit est un coeur posé sur une table qu’il faut traiter avec délicatesse. Mais il est aussi de notre devoir d’être clair. »

Sources : extraits interviews de Télérama (juil. 2017) & Le Monde (avril 2011)

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