« Eastwood, Mes femmes et moi » de Christophe Nicolle : La vie comme un western !

La bonne impression produite par le premier roman de ce trentenaire, paru en 2006 « L’important c’est d’avoir connu l’amour », se confirme avec ce deuxième roman (« Eastwood, Mes femmes et moi ») toujours aux éditions Bernard Pascuito. Et la filiation avec Nick Hornby se ressent de nouveau, même si la passion pour la pop rock est ici remplacée par une passion cinématographique pour l’acteur et réalisateur Clint Eastwood. Le dilemme reste le même : peut-on tomber amoureux de quelqu’un ne partageant pas nos goûts et nos passions ? L’auteur fait le pari original de nous raconter ses déboires amoureux à travers sa relation au mythique cow-boy de la trilogie Leone…

Il raconte ainsi, par le menu, comment « Clint » a participé en quelque sorte à son éducation, à construire sa virilité, à l’accompagner tout au long de son enfance, adolescence jusqu’à sa vie d’homme, l’influence qu’il a exercée sur sa vie en tant que modèle et référence ultime.
Revers de la médaille : cet adulescent (« pour ce qui est de l’homme que je tente de devenir, il y a encore du boulot. je fais la collection des figurines d’Albator, j’écoute toujours du hard rock, ma mère me surnomme encore « ma biche », et faire des enfants me fait peur. C’est pas gagné. ») explique aussi comment cette passion un peu envahissante voire « castratrice », peut nuire à sa vie professionnelle et surtout amoureuse, comme s’évertue à lui démontrer sa psy.
En effet, l’élue de son cœur devra notamment réussir l’examen de passage Eastwoodien et c’est là que les choses se compliquent un peu… Jusqu’à ce qu’il rencontre Clémence, une fille qui ne fait pas qu’aimer Eastwood, elle « est » Eastwood ! (si, si c’est possible, Christophe Nicolle vous l’expliquera très bien)

Tout ceci reste un prétexte pour partager d’une façon unique, originale et décalée, l’œuvre de l’américain, sous une forme beaucoup plus vivante que ne le ferait un historien du cinéma ! Ce qui donne très envie de se (re)plonger dans sa filmographie : depuis « Le bon, la brute et le truand » jusqu’à « Un monde parfait’…, guidé par les impressions et les anecdotes cocasses de ce fan et expert. Son top 3 des films d’Eastood ? « Bird », « Le maître de guerre » et « Sur la route de Madison », avis aux amateurs !

Il décrypte tout : ses scènes préférées, les gestes, (« A chaque western, je frôle l’extase quand Clint pince le devant de son chapeau avec son pouce et le majeur et qu’il exerce un mouvement de va-et-vient, les autres doigts légèrement relevés. »), les attitudes qu’il a essayé de copier (comme de « serrer les dents et plisser les yeux en permanence » ou mordiller des bâtons de réglisse quand il était enfant avant d’avoir l’âge de fumer le cigare !), ses looks qu’il tente de porter avec plus ou moins de succès et même ses répliques favorites (comme celle dans « La Sanction » où Clint rétorque à la question « Mon supérieur veut vous voir ?, « Lequel ? Tellement de gens vous sont supérieurs.« ), ses analyses du jeu de l’acteur toujours dans la sobriété, ne surjouant pas ses émotions, etc. Le fantasme masculin sur la figure du « cow-boy » enfin expliqué aux filles !

Aucun détail ne lui échappe pas même le « slip » arboré par l’acteur (« à la 70e minute », s’il vous plait !) d’Un frisson dans la nuit et de révéler les petits inconvénients intimes des sous-vêtements masculins à travers un souvenir d’internat truculent. Vous comprendrez pourquoi il conclut : « Depuis, je porte toujours des caleçons, et même si j’ai toujours un pincement au cœur quand arrive la 70e minute d’Un frisson dans la nuit, je tiens bon.« 
Il évoque aussi la difficulté d’aimer, parfois, à la fois l’artiste et l’homme ( « J’ai failli mourir étouffé quand j’ai appris qu’il avait voté par deux fois pour Reagan« ) et de retracer également les dimensions politiques de ces films (à noter que Clint Eastwood a parfois été accusé de fascisme notamment pour ses rôles de flics aux méthodes expéditives).
Savoureuse aussi l’évocation du tournage de son court-métrage où il se dégotte le pire acteur qu’il soit à mille lieux d’un Clint (on a l’impression d’être dans « Ca tourne à Manhattan » !). Au final on comprend qu’aux origines de cette obsession, il cherche aussi surtout la figure, l’image de son père décédé (qui ressemblait beaucoup à Clint Eastwood d’après lui).

Sans complexes et sans honte (enfin un homme qui assume de pleurer !), il dit tout de sa vie avec Clint tout en jouant d’une auto-dérision permanente.
C’est avec une vraie délectation communicative qu’il partage cette passion. Très touchant même si parfois un peu maladroit, d’une grande justesse, il ne manque pas de faire (sou)rire et de rendre son narrateur très attachant.

Comme dans son premier roman, on retrouve cette forme rapide et légère de courts chapitres où se succèdent ses « petites histoires » rappelant un peu l’esprit d’un blog ou de petites chroniques (dans l’esprit d’un Diastème par exemple).
Christophe Nicolle n’est toujours pas un grand styliste littéraire (on trouve quelques lourdeurs, rattrapées heureusement par de bonnes formules quelques lignes après…) mais il a ce « je ne sais quoi » qui accroche le lecteur, donne envie de dévorer ses pages, de se sentir en empathie avec lui et d’avoir l’impression de quitter un ami quand la dernière page arrive… Enfin la force de ce roman est de réussir à intéresser même un lecteur qui ne serait pas un fan d’Eastwood. On se reconnaît de façon plus générale dans les manies/susceptibilités que l’on peut avoir pour son « idole » personnelle.

Extraits choisis :
« J’ai choisi un psychiatre parce qu’ils sont remboursés par la Sécurité sociale (les gens « aisés » consultent les psychothérapeutes et les analystes). Les politiques sont sans doute persuadés que les pauvres sont trop occupés à trouver de l’argent pour avoir le temps de souffrir de problèmes d’ordre psychologique, et que les rares qui en souffrent vraiment se suicident. Toutefois pour les rebelles comme moi, ils ont créé les psychiatres (il faut être un rebelle avec une bonne mutuelle quand même). »

Comment les films de Clint Eastwood infusent dans l’existence :
« Je ne pouvais que m’identifier à des personnages comme ceux de « l’Homme des hautes plaines », « Pale rider », « La Sanction », « Pleins pouvoirs », « Sur la route de Madison ». Ces personnages m’ont aidé à vivre ma solitude, à ne plus me sentir anormal, ils ont même conféré une sorte de stature noble à cet isolement qui me complexait parfois. Quand je prenais un café, seul, je pensais à Clint buvant le sien dans « L’Inspecteur Harry ». Quand je me rendais à une expo de peinture, seul, je pensais à Clint dans « Les Pleins Pouvoirs ». Quand je visitais les églises de Paris pour les photographier seul, je pensais à Clint dans « Sur la route de Madison ».
(…) Je consomme des chewing-gums sans modération depuis que j’ai vu l’inspecteur Harri mâchouiller les siens.
Je crois en l’amour depuis Sur la route de Madison.
Je porte une veste militaire depuis Le Maître de guerre. Je vais voir les prostituées depuis « La corde raide ».
Je n’ai plus honte de chanter sous la douche depuis La Kermesse de l’Ouest.
Je porte des lunettes de vue depuis Les Pleins Pouvoirs, même si je n’en ai pas vraiment besoin.
Par contre, je n’écoute toujours pas de country.
– ça, je ne peux pas.
 »

« Clint est souvent énervé dans ses films. Pour manifester sa colère, il serre les dents et ferme à moitié l’œil droit. J’ai essayé une fois, mais la personne que j’étais censé impressionner m’a demandé si j’avais des problèmes de constipation. »

« Tout comme on apprécie Brel vers la trentaine et Brassens vers la quarantaine, on idolâtre John Wayne durant l’enfance et Clint à l’adolescence. Contrairement à John Wayne, Eastwood était un cow-boy sale (physiquement et mentalement), immoral, cynique, violent, en somme, tout ce qu’on aime à 16 ans. Ensuite à l’âge adulte, on apprécie des acteurs comme Gary Cooper, James Stewart ou Glenn Ford qui délivrent une image profondément plus humaine du cow-boy. »

« Ma bible, mon coran ce sont les livres, les films, les tableaux ; ils m’aident à vivre, ils me font comprendre qu’on doit choisir sa vie si on ne veut pas la subir, et cela à travers ses relations, ses actes, et ses choix. L’art me rend moins faible, il m’apprend à être libre tout en respectant les autres. Et puis franchement à choisir, je préfère avoir Clint comme prophète que Mahommet ou Moïse. »

A propos de l’auteur :
Christophe Nicolle a 35 ans, l’âge de son héros, et il nous raconte ses morceaux de vie à coups de chapitres courts qui défilent sous nos yeux comme des planches photos. Entre Christophe et son double, beaucoup de points communs : l’humour désespéré, le sens de l’observation, le chômage et la certitude qu’en amour les meilleurs souvenirs ne sont pas à venir.

A lire aussi la chronique sur deux auteurs qui rendent aussi hommage à leurs idoles musicales : Christophe Paviot refait le portrait de Kurt Cobain et Jérôme Attal raconte sa vie avec les Beatles

11 Commentaires

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    • Gwenaël sur 19 avril 2008 à 22 h 27 min
    • Répondre

    Plutôt intéressant… Cela me fait penser que je devais lire son premier…

  1. Et accessoirement ça ne choque personne cette idée qu’il faille "devenir" un homme?
    Comme si en soi, sans modèle, le petit garçon n’en sera jamais un.

    enfin j’dis ça, j’dis rien…

    😉

    yann

    • Gwenaël sur 21 avril 2008 à 0 h 29 min
    • Répondre

    "être homme est facile, être un homme est difficile"… juste comme cela (trouvé du jour)

    mais oui, on ne grandit que guidé ; et juste comme cela, aussi, je pense au désir mimétique de Girard… (il est tard, restons confus)

  2. c’est ce qu’on appelle un "petit roman sympa" (et que les inrocks, de mémoire, appellent la tare du roman français mais je ne suis pas d’accord il y a "petit roman sympa" et "petit roman sympa" et celui-ci se place dans le haut de l’échelle, si, si!).
    je ne sais pas si son premier roman est sorti en poche ? je vais me renseigner, il faudrait que Guillaume Robert le prenne ds sa collection "nouvelle génération" c’est certain ! (message subliminal…)
    Bref tout ça pour vous demander quand même que pensez-vous de Clint Eastwood, faites vous parties des fans ?
    Je n’aime pas spécialement (j’ai qd même versé mes larmichettes comme tt le monde pr « sur la route de madison » et « un monde parfait », tout en ayant à chaque fois l’impression de me faire avoir par les ficelles hollywoodiennes…, je n’avais pas spécialement apprécié mystic river par contre, contrairement à l’encensement général) mais là j’ai décidé d’explorer plus en avant son oeuvre, surtout ses westerns et autres films noirs, on va voir…

    bon et puis sinon avez-vous eu vous aussi une "idole" ou un modèle qui vous a guidé à un moment de votre vie. Pour ma part cela reste Woody Allen (l’artiste pas l’homme) !

  3. Ben , puisqu’on en parle, j’ai un peu un soucis avec l’image du mec que renvoit eastwood "ouais je suis cool, j’ai un flingue, le regard un peu ailleurs, je ne suis pas d’ici…" qui me gonfle prodigieusement…

    Donc non je n’aime pas. Et je n’ai même pas pleuré "sur la route de madison" (je crois même que j’ai failli dormir)… Oui j’ai le coeur sec.

    Et sinon comme idole- vais je le dire?- j’adore le parcours de madonna.
    Vi…
    Physique banal, voix bancale… elle fête ses 25 ans de carrière; ou plutôt ses 25 ans de trust médiatique a son seul service; 25 ans qu’elle a compris aussi que l’image prévaut absolument sur tout.

    Quand je suis au fond du trou, je me repasse "in bed" ou son le reportage de sa tournée "re invent yourself"; un bonne cure de "tout pour ma gueule" qui apaise mes angoisses destructrices de "citoyen du monde"… enfin en général…

    ;)))

    yann

    ps Retenez bien ce message je le nierait toujours fermement par la suite ;)))

    • folantin sur 21 avril 2008 à 18 h 00 min
    • Répondre

    le mieux dans la route de madison, c’est le doublage français de clint. Je crois que c’est le même gars qui fait la voix de daffy duck.

    Sinon je comprends rien à ces histoires de "modèle", "parcours de vie" toussa. Je m’interroge par contre sur cette tendance prononcée de la littérature tranteunère à s’approprier des icones et références pop, de préférence dès la couverture.

    • Gwenaël sur 21 avril 2008 à 20 h 22 min
    • Répondre

    Comme acteur ? : le jean Paul Belmondo

  4. Folantin, je me souviens d’un vaillant trentenaire qui disait être la "bitch" (ce sont ses termes) d’un certain Régis… 😉
    Et sinon oui les icônes pop inspirent les auteurs, certains parlent même de "pop littérature"… Avis aux amateurs !

  5. Je viens de lire le deuxième livre de Christophe Nicolle. (J’avais adoré le premier). Et ce livre m’a rendu (entre autre) heureuse !!! Oui, heureuse, qu’il existe encore dans ce pays, des passionnés, des adultes ayant préservé l’enthousiasme de leur enfance, des gens qui s’émeuvent encore pour quelqu’un ou pour quelque chose, bref des gens vivants quoi ! Oui, aimer et admirer ça rend terriblement vivant, et qu’est-ce que c’est bon comme sensation ! Et le livre de C.Nicolle me redonne espoir en l’espèce humaine et ce malgré certains commentaires de "gens blasés".
    Quant à la filmographie d’Eastwood… Les gôuts et les couleurs…
    Sauf que si vous méconnaissez Eastwood, ce livre est un roman passionnant et un bijou d’émotion non réchauffée. Ce livre vous donne envie de courir chez tous les bons vidéos clubs de France et de Navarre et de (re) découvrir Eastwood sous toutes ses coutures !

    • Stéphanie sur 25 mai 2009 à 23 h 07 min
    • Répondre

    Bonjour Christophe, M’as-tu oubliée ? J’aimerai avoir ton coup de fil. Je vais acheter ton 2d livre et je te ferai part du mien.
    Bises

    • marion sur 2 juillet 2010 à 20 h 58 min
    • Répondre

    j’ai trouvé ce livre vachement marrant et subtil ; avec un coup de coeur pour quelques anedcotes (Katia, Dirty dancing, Fidel etc…)
    J’ai commandé les 2 autres romans de Christophe Nicolle… suis impatiente de les recevoir.

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