Chuck Palahniuk, entre chaos et rédemption : Portrait et Entretien avec l’auteur de Fight Club

On ne présente plus l’auteur du mythique Fight Club, référence culte de la nouvelle littérature américaine. Cet ancien mécanicien, au parcours étonnant, a su imposer son style déjanté-trash et des idées innovantes sur le système social où le dimension métaphysique affleure toujours sous le quotidien. Il démonte une à une les icônes de la modernité pour percer le but de nos existences… triviales. Si la critique adhère assez vite, le public suivra plus tard avec la sortie du film de David Fincher en 1999. Portrait:

Chuck Palahniuk est apparu sur la scène littéraire américaine en 1996 avec la publication de son premier roman Fight Club . Dans ce roman fondateur, Palahniuk décrit la déchéance d’un jeune cadre isolé dans un monde consumériste et creux, un monde aseptisé où la mort et la violence sont évacuées, niées. Il n’y a guère plus que dans les groupes de soutien pour incurables et dans ces clubs de combats clandestins où l’on se bat jusqu’au sang, que le narrateur parvienne réellement à se sentir vivant.

Admirez les monstres que nous fabriquons, semble nous dire l’auteur en brossant le portrait de Tyler Durden, cette tête brûlée née de l’imagination schizophrénique du narrateur qui le pousse à aller toujours plus loin. Car bientôt la violence des poings ne suffit plus, la révolte se veut plus massive, la tentation terroriste n’est pas loin…
Le livre, récompensé par la Pacific Northwest Booksellers Association, a très vite obtenu un succès scandaleux. Les uns crient à une apologie de la violence gratuite qui gangrène déjà le monde de culture, les autres applaudissent à cette critique désabusée d’une jeunesse somnambule pour qui la réalité n’est jamais présente que sur des catalogues de vente par correspondance et dans des spots publicitaires. En 1999 une adaptation cinématographique tonitruante par un cinéaste tendance avec la participation de jeunes loups de Hollywood finit d’achever la réputation sulfureuse de ce livre qui a très vite obtenuun succès mondial.

Contes de la folie ordinaire
Depuis Fight Club, Palahniuk a publié divers autres romans et semble poursuivre sereinement son chemin de critique tragicomique de la société américaine. Ses romans, telles des fables acides à l’imagination débridée, sont de parfaites machines de guerre prenant pour cible les obsessions de ses contemporains : la sexualité, la mort, le refus pathologique de la vieillesse mais aussi le culte de l’isolement, la télévision et les industries du spectacle ou encore la religion et toutes ses formes dérivées comme on peut en trouver aux États-Unis (télé-évangéliste, sectes, pratiques new-age)…Rien n’échappe au crible de cet écrivain américain. Ce serait pour autant une erreur de considérer Palahniuk uniquement comme un auteur américain. Ces livres sont autant de témoignages hallucinés d’un homme pris dans l’œil d’un cyclone qui ne cesse d’avancer sur notre globe. La folie qu’il décrit est celle de cette société individualiste spectaculaire, technologique et consumériste qui se dessine chaque jour un peu plus devant nos yeux.

Onde de Chuck
Physiquement l’homme peut surprendre, au premier abord : il est grand, athlétique. Il porte un pantalon de toile beige et une chemise à carreaux qui tire vers l’orange. Ses yeux bleus sont clairs, la poignée de main ferme. Il respire la bonne santé, on pourrait croire à un jeune universitaire en tournée en Europe. Rien à voir avec les héros déjantés qui peuplent son imaginaire. On s’attendait à un dur à cuire en débardeur avec des biceps en acier, un balaise au visage buriné, mais Palahniuk n’est pas un écrivain comme les autres.

Les Français sont toujours intrigués et curieux de connaître la vie de ces auteurs américains qu’ils sont souvent les premiers à consacrer. Est-ce là un signe de la mollesse de la scène littéraire française ? Ou, plus probablement, la survivance de fantasmes associés au mythe de l’Eldorado américain qui font que la vie est plus excitante et extraordinaire de l’autre côté de l’Atlantique ? Toujours est-il que nous adorons construire des légendes autour de ces écrivains du nouveau monde, pensez à la Beat Generation, à Bukowski ou encore à Jim Harrison…

Palahniuk a 31 ans quand il publie Fight Club : « Ma vie n’a commencé qu’à partir de mes trente ans, mes vingt ans ne furent qu’une parenthèse…Après le lycée je suis allé à l’université où j’ai décroché un diplôme de journalisme. J’adorais être journaliste, interviewer les personnes, découvrir, organiser, présenter les faits, comme un espion si on veut. Malheureusement à la sortie de l’université les seuls boulots qu’on me proposait étaient payés moins de cinq dollars de l’heure. J’avais contracté un emprunt pour faire mes études, les intérêts étaient monstrueux, ma vieille voiture n’arrêtait pas de tomber en panne…Bref je n’arrivais plus à joindre les deux bouts et je détestais la pauvreté. J’ai donc décidé de laisser tomber. J’ai dû tricher, parce qu’on se méfie des personnes diplômées, et je me suis trouvé un job de mécanicien automobile, spécialisé dans les moteurs diesel. Au début je pensais que je ferais ça pendant un an ou deux, histoire de gagner de l’argent et de déménager vers une autre ville où j’aurais trouvé un meilleur emploi…Mais je n’ai jamais démissionné, je suis resté mécanicien pendant treize ans…

Un univers de frustrés qui bouillonnent de l’intérieur…
Difficile à cette évocation de ne pas penser aux personnages des romans de Palahniuk : son univers romanesque n’est pas celui d’Ellis, nous n’évoluons pas parmi les riches blasés, la critique sociale ne se fait pas par le haut. Nous ne sommes pas non plus dans les univers glauques et hyperréalistes d’une certaine littérature noire, Palahniuk ne sombre jamais dans le misérabilisme social.

Il nous montre au contraire l’Amérique dans toute sa sublime médiocrité, ses héros ne sont pas des archétypes mais des individus que nous pourrions croiser à chaque coin de rue : des employés brisés et asséchés par leur vie professionnelle (Fight Club, Survivant), des endettés qui multiplient les petits boulots et jonglent avec les factures (Choke), des personnes qui ne croient plus en ce qu’ils font, comme le journaliste désabusé de Lullaby… Tous ces personnages insatisfaits de leur vie, ces frustrés atomisés qui bouillonnent à l’intérieur d’eux-mêmes, Palahniuk ne les connaît que trop bien : « Ma vie n’avait alors aucun intérêt, c’était toujours la même chose, je travaillais les mains dans le cambouis, je buvais beaucoup, je me battais pas mal…Totalement abrutissant… C’est là que j’ai commencé à écrire Fight Club. J’ai tous ces carnets chez moi, ils sont gras et crasseux. Les premières pages sont toutes recouvertes de notes techniques sur les voitures sur lesquelles je bossais, je devais me cacher. Mais si vous tournez quelques pages vous tombez sur la première version manuscrite de Fight Club…Chaque travail a ses temps morts et moi pendant ces temps morts j’écrivais. »

Suite de l’entretien 2/4

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