Mes illusions donnent sur la cour de Sacha Sperling : la jeunesse dorée racontée, pas si en toc…

Avec Mes illusions donnent sur la cour, il semble que le « flambeau » du créneau « jeunesse dorée désespérée » soit repris par Sacha Sperling, un auteur prometteur, coup de cœur de Frédéric Beigbeder qui voit en lui un énième « Bonjour tristesse ». La jeunesse dorée parisienne ou américaine est devenue ces dernières années un sujet en or (ha ha). De Bret Easton Ellis à Nick Mc Donell jusqu’à Gossip girl ou de Lolita Pille à Thibault de Montaigu pour les plus connus, les malheurs existentiels des pauvres enfants de riches (les « nappys » comme ils ont été surnommés à l’époque, contraction d’happy et no happy) font recette et passionnent les lecteurs. Mais le genre suscite désormais la méfiance, en particulier sur les clichés white trash qu’il peut véhiculer : fric, sexe et défonce sans oublier la désormais incontournable playlist rock qui rythme ses pages… En 2004, Gaspard Koenig (Octave avait 20 ans), aujourd’hui plutôt oublié, s’y était essayé. La rentrée littéraire dernière avait vu s’afficher Aude Walker avec un premier roman « Saloon » où la narratrice faisait face aux démons de sa richissime famille américaine. En dépit de sa couverture médiatique, sa prose pompeuse n’aura pas vraiment emballé…

« Nos corps emmêlés. Je repense à un reportage sur la guerre du Vietnam. Des tas de corps. Pourtant, nous n’avons mené aucune bataille. »

En dépit de ses ascendances célèbres (il est le fils des réalisateurs Diane Kurys et Alexandre Arcady) qui lui valent d’emblée les préjugés, le jeune auteur (âgé de 18 ans) démontre ici un vrai style littéraire et un réel talent à capter toute l’incertitude et le mal-être de l’adolescence.
Avec une certaine langueur sensuelle qui peut en effet rappeler celle du charmant petit monstre, il nous raconte l’année de basculement du narrateur portant son prénom et âgé de 14 ans. « Vous l’avez sans doute oublié, mais, comme moi, vous avez un jour pris conscience de votre ennui, et à cet instant, il vous est devenu insupportable. Comme moi, vous avez un jour regardé le ciel, à l’aube du crépuscule, en vous demandant pourquoi les étoiles n’arrivaient pas. Comme moi, vous avez compris que votre vie allait commencer sans que vous n’y puissiez rien. Parce que, comme moi, vous avez eu quatorze ans. »

Élève d’un collège huppé, il fera son éducation sentimentale, non pas dans les boums en dansant des slows en rougissant comme le raconte Frédéric Beigbeder dans son « roman français », mais dans les soirées troubles où l’entraîne son meilleur ami ambivalent, Augustin. Sperling creuse ici le sillon de l’amitié fascination qui dérive en relation amoureuse… auto-destructrice. A noter que l’homo (ou bi-) sexualité adolescente semble devenir « un classique » ces derniers temps chez les jeunes auteurs (« New wave » d’Ariel Kenig ou « N’oubliez pas de vivre » de Thibault de Saint Pol, côté film on pensera à « My summer of love »).

«  Tes plaisirs sont des trêves, faciles et rapides. Tu as tout et pourtant tu te retrouves peu à peu le coeur vide et la tête pleine d’images violentes qui seules peuvent te rappeler que tu es en vie. »

Traînant leur spleen branché à Disneyland, Marrakech ou l’île Maurice (pour la touche dorée), devant les émissions de téléréalité abrutissantes qu’ils ingurgitent cyniquement, livrés à eux-mêmes par des parents surbookés et séchant les cours, le jeune auteur ausculte la génération « Diabolo menthe » (le film culte de sa mère, Diane Kurys qui a aussi réalisé le fameux « Sagan ») version XXIe siècle. Une génération qui a remplacé le breuvage sucré par un cocktail plus corsé à base de stilnox, vodka ou coke… On verse alors dans les fameuses déviances et autres excès auxquels nous ont déjà habitués bon nombre d’auteurs. Une transgression sans doute un peu trop déjà vue pour réellement choquer de nos jours. Le plus intéressant réside sans doute dans ce qu’elle cache et que Sperling exprime avec justesse. Car si les moyens sont différents et plus extrémistes, les finalités sont les mêmes : fuire ce monde médiocre auquel on ne se sent pas adapté et qui ne nous comprend pas. Rompre la solitude (qu’il dépeint presque comme un montre vivant : « La solitude se matérialise peu à peu. Elle a un visage, elle te regarde droit dans l’estomac« ) et surtout l’ennui (des cours, des élèves ternes et moutonniers, de ses parents…) aimer et trouver un sens à son existence dans un monde qui n’en propose pas…
Avec la musique, des solos de guitare de Pink Floyd à Massive Attack, comme « rempart ultime » pour se protéger des intrusions et des contraintes externes. Des thèmes qui restent universels… quels que soient l’époque et le milieu.

L’auteur dépeint également une famille hors norme puisque son héros est le fruit d’une relation achevée (son père et sa mère n’étaient plus en couple lorsque sa mère a demandé à son ex d’être le géniteur, donnée autobiographique). Ses relations avec sa mère qu’il aime depuis qu’il a cessé de la considérer comme une mère et son père (et sa « demi-famille ») qu’il rejette malgré ses efforts « pour recoller les morceaux » sont à la fois déroutants et émouvants dans leur incommunicabilité désespérée et malgré tout l’amour qui les sous-tend. Une sorte d’histoire d’amour impossible. Il jette aussi un regard sur la culture juive avec quelques piques sur la synagogue qu’il doit fréquenter.
C’est aussi un amour impossible qu’il dépeint avec Augustin, qui malgré son caractère archétypal (le jeune séducteur sans cœur qui enchaîne les conquêtes froidement et transgresse toutes les limites, conventions sociales) reste un personnage assez fort et intrigant. A la fois kamikaze et mystérieux, il se sert des autres et parviendra à quasiment asservir le jeune et fragile Sacha : « Augustin, il faut l’aimer très fort, l’aimer à en devenir fou, autrement il faut le tuer. (…) Il se nourrit des émotions des autres. Il n’a jamais fait de distinction entre le bien et le mal. » Il aborde aussi les relations amoureuses avec les filles, de jeunes desaxées plutôt paumées qui sont traitées comme des prostituées par les garçons de leur âge élevés aux films pornos. La cruauté et le mépris qu’ils leur infligent glace le sang. Paradoxalement, cette violence psychologique cohabite en permanence avec des attitudes enfantines, dormir pelotonné l’un contre l’autre, passer de la fanta au shot de vodka… Ce mélange toujours intéressant de la perversité, de la cruauté et de la candeur. Le propre d’enfants grandis trop vite, sans avoir eu le temps d’apprivoiser cette sexualité débridée d’adultes dans laquelle ils s’abîment, sans repères. La perte trop précoce de l’innocence que le narrateur évoque à demi-mots notamment lors de la scène de la partie à trois avec sa jeune camarade de classe.

Il livre, au passage, une peinture à l’ironie cruelle des quartiers huppés parisiens (ici Saint Germain des prés) : « Devant les grilles de l’établissement, d’un côté, les mères du VIe avec leurs cabas Hermès marron clair, leurs grosses lunettes Chanel, leurs jeans Zadig et Voltaire et leurs blousons Comptoir des Cotonniers, tenant d’une main le Marie-Claire tout juste édité, et de l’autre leur enfant qui a apporté ses ballerines car aujourd’hui il y a aura cours de psychomotricité (la psychomotricité est une discipline que les enfants de Lorraine doivent pratiquer de la maternelle au CE2, afin de mieux évoluer dans l’espace). De l’autre côté, une horde de Philippines, de Marocaines, de Brésiliennes, d’Antillaises habillées avec les anciens vêtements de leurs patronnes, reliques de la période pré-liposuccion. Les deux catégories de femmes ne communiquent pas. »

Oscillant entre sale gosse de riche, tête à claque blasée et ado romantique fragile et un peu paumé, sa voix fait mouche et happe le lecteur. Avec son écriture visuelle, presque graphique, Sperling sait capter en quelques phrases brèves mais imagées avec précision, l’ambiance d’un wagon de train au retour de vacances ou encore d’une plage de Deauville sous la pluie jusqu’à une soirée décadente de l’avenue Kléber… Ses dialogues secs font preuve aussi d’une grande justesse. Une maîtrise stylistique assez impressionnante au regard du jeune âge de l’auteur.
Le roman use de quelques procédés narratifs originaux (même si déjà vu néanmoins dans le roman « Douze » de Mc Donell) comme ses intermèdes en italique, entre réminiscences d’enfance, délire hallucinogène, rêve d’apocalyspe ou prose poétique (plus ou moins réussie)… La mort hante subtilement ses pages avec des références constantes au sang comme dans cet épisode d’un accident de moto qu’il relate : « Le sang est noir… quand il y a du goudron… sur les routes… le sang devient noir » Je dépasse la tour Montparnasse. Je cours toujours. Je sens le sol se dérober. Je me sens tomber. Le sang devient noir quand il coule sur l’asphalte. » Il sait instaurer une atmosphère oppressante dans un Paris à la fois éblouissant mais aussi infernal. Un autre passage en italique le traduit plus particulièrement : « Des voitures qui rouleraient si vite qu’elles emporteraient toute la poussière qui se trouverait sur leur passage. Des voitures sans conducteur, peut-être même sans volant. (…) La civilisation des voitures qu’on ne contrôlerait plus. Il n’y aurait bientôt plus d’humains, plus de maisons (…). Plus rien que le bruit de la vitesse. Plus rien que de la fumée noire et de la poussière bleue. » ou encore le chocolat d’un esquimau qui lui fait penser à du sang séché…

« Nos vies sont brumeuses et le jeu, c’est de les garder telles quelles. »

A la façon d’un Holden Caufield, en plus trash : « Plus tard dans la soirée, j’irai seul au bar de l’hôtel. Je voudrais que quelqu’un me rencontre. Je fumerais des cigarettes avec des airs mystérieux. Je voudrais qu’on vienne me chercher. Je veux toujours qu’on vienne me chercher. Dans ma tête, il y a toujours quelqu’un qui vient me sortir de mon isolement. Personne ne viendra. Il n’y a jamais personne dans les bars d’hôtel. » ou encore cet aveu : « Je n’arrive jamais à regarder quelqu’un dans les yeux ». Faisant ouvertement référence à son auteur fétiche, Bret Easton Ellis* et son roman Moins que zéro*, l’auteur écrit que s’aimer, c’est atteindre ensemble « le point où tout disparaît ».

Empruntant son titre au morceau « L’alcool » du premier album de Serge Gainsbourg, « Mes illusions donnent sur la cour », est un premier roman touchant, à la poésie noire et percutante, en dépit de quelques tics d’écriture (surtout au début et à la fin) et longueurs (scène répétitives).

Pour moi, Ellis a déclenché une petite révolution dans la littérature. Dans Moins que zéro, il ne parle de rien, ne raconte rien, et on a envie de pleurer du début à la fin ! En plus, Ellis a réussi à capter une ville, une époque. Chez Ellis, ce qui pourrait être insupportable, c’est qu’on ne s’attache pas à ses personnages. Tandis que Sacha, à la fin on l’aime, on a de la peine pour lui… Mon roman est moins inédit, il attrape le lecteur par des moyens plus connus. »(citation interview Fluctuat.net)

A lire aussi :
Succès d’un premier roman : « Mes illusions donnent sur la cour » de Sacha Sperling (extraits interview, avril 2010)
Les teen-novels de la rentrée littéraire 2008 : « Encore un jour sans massacre » de T.Dirick, « Journal d’un dégonflé » de J. Kinney, « Guerre à Harvard » de N. Mc Donell, « Corniche Kennedy » de M.de Kerangal, Ravalec…
Le dossier
« Ados terribles » : les nouveaux livres de la « Lost generation » (Vodka-Cola, Polococktail, Serpents et piercings…)
et aussi notre sélection : Littérature et jeunesse dorée : « le preppy novel »

13 Commentaires

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  1. "quelque soit l’époque et son milieu".

    ou bien

    "quelle que soit l’époque (ou son milieu)"

    ou bien

    "Quels que soient l’époque ou son milieu…"

    Ah vi, j’ai bossé le Bescherelle tout l’été (pas de vacances). Enfin ceci dit : bonne rentrée alexandra pour cette nouvelle saison du buzz !!!

    a+ et toujours amicalement

    yann

    • laurence.biava sur 31 août 2009 à 19 h 27 min
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    J’y crois pas. Je ne crois pas trop à cette voix là. ça sent le gars à qui on a dit de dire ou d’écrire ça. Désolé, un jeune de 18 ans aujourd’hui en as trictement rien à foutre que les petits marmots de quelque classe que ce soit aient des cours de psychomotricité. Ce n’es tpas osn problème, cela ne l’intéresse pas ! J ene voix pas comment Sacha Sperling peut même me faire croire qu’il a envie de s’intéresser à cela. ! C’est pour moi une hérésie ! Par contre, le ton de la poésie mélancolique, oui j’aime bien.

  2. Cette histoire de psychomotricité se tient tout à fait pourtant, pour qui a lu Retour au collège de Riad Sattouf. Quand on se souvient des pages sur le cours de sport avec la prof qui dit à Riad "c’est fou, il n’y a que dans les collèges de riches qu’on voit ça, ces mômes qui sont incapables de coordonner leurs mouvements et de bouger correctement!"

  3. Non mais c’est quoi cette "nouvelle génération littéraire" de mes deux ? Va falloir sérieusement arrêter de se branler sur un bouquin qui a du être réecrit dix fois par un mec de chez Fayard, dans lequel il n’y a aucune idée, aucun style, rien du tout. Qui plus est, qui en a quelque chose à foutre de la vie de gosse de riche de ce gamin ? C’est ça la littérature maintenant ? C’est encore plus gerbant que Beigbeder, à la limite. C’est obscène. Assez.

  4. Hum.
    (en 2009-2010, je suis constructif)

    • Ogareff sur 3 septembre 2009 à 2 h 00 min
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    Mais c’est quoi cette photo avec les Nike, là ? C’est juste ridicule ou c’est complètement nase ? Ah ouais, du second degré ? ah j’avais pas capté, chuis con, des fois !…

    • laurence.biava sur 4 septembre 2009 à 8 h 28 min
    • Répondre

    je l’ai vu hier soir à la Grande Librairie. l’ai trovué légèrement arrogant au début, mieux ensuite, mais non, je ne suis pas tellement convaincue. Bon.

    • Ibicus sur 4 septembre 2009 à 13 h 50 min
    • Répondre

    Les psychomotriciens travaillent aussi avec des adultes psychotiques, ou en gériatrie pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Je dis ça, je dis rien…

    • bt sur 18 septembre 2009 à 6 h 29 min
    • Répondre

    Lisez sans prégugés et laissez-vous étonner par ce petit jeune plein de ressources…

    • Bloody-Jane sur 25 septembre 2009 à 19 h 12 min
    • Répondre

    Je l’ai lu. Je n’ai pas aimé.
    Joli style d’écriture, certes.
    Mais aussi un joli copier/collé de Hell, de Lolita Pille.

    • Nyonoshii sur 31 décembre 2009 à 21 h 28 min
    • Répondre

    J’ai été agréablement surprise par ce livre, et pourtant j’étais bourrée de préjugés sur la "nouvelle génération" constituée de gosses de riches désabusés. Des maladresses, et le sujet "défonce,sexe et rock" archi-revu, certes, mais un bouquin qui se dévore et qui suscite un intérêt certain. Bonne pioche!

    • Kuumqwat sur 9 janvier 2010 à 23 h 50 min
    • Répondre

    Illisible . Des succession de phrases de 3 mots (j’exagère à peine) c’est très rapidement, voire tout de suite soulant .
    Beaucoup de choses inutiles pour moi (très bien il a que du coca light, et alors ?) dès la première page …

    Un air de déja vu ? oui , ce nouveau style d’écriture il y a peu inovateur, maintenant affreusement banal, est malheuresement devenue une plaie pour la littérature .

  5. En cette rentrée littéraire de septembre 2011 qui approche, Sacha Sperling revient sur le devant de la scène littéraire avec la sortie poche de son premier opus et la sortie d’un 2e roman au titre inspiré par Philippe Djian :
    "Les cœurs en skaï mauve", qui paraîtra chez Fayard le 17 août prochain. Dans ce nouveau texte, l’auteur quitte les beaux quartiers de Paris pour nous entraîner dans les contrées sauvages d’une région indéterminée (la Normandie ou les grands espaces américains…), selon le site Culture Café. Un thème demeure : l’envie de fuir, de s’échapper ainsi que la difficulté d’aimer sans se détruire…

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