Les teen-novels de la rentrée littéraire : « Encore un jour sans massacre » de T.Dirick, « Journal d’un dégonflé » de J. Kinney, « Guerre à Harvard » de N. Mc Donell, « Corniche Kennedy » de M.de Kerangal, Ravalec…

Après les phénomènes fin 2007, « Boris Bergmann » (qui publiait, à 15 ans, chez Scali, « Viens là que je te tue ma belle » soit le journal romancé d’un ado faisant son éducation à travers la découverte du rock, prix de Flore du lycéen) et du blogueur « Brad-Pitt Deuchfalh » (qui racontait ses déboires de collégien sur son blog avant de devenir un livre édité chez M6 Editions, élu d’ailleurs livre de l’été), qui ne nous avait pas enthousiasmés mais qui ont apparemment su rencontrer leur lectorat, au moins pour le deuxième, la rentrée littéraire réserve encore quelques récits/romans dans cette même veine mais aussi de façon plus générale sur l’adolescence ou encore le monde des campus… Un genre où il reste difficile d’éviter les clichés et où le niveau littéraire est inégal…

Deux petits livres « Encore un jour sans massacre » de Théo Diricq et « Journal d’un dégonflé » de Jeff Kinney racontent chacun à leur façon, sous la forme de vrai-faux journal, respectivement le quotidien d’un « lycéen misanthrope » et celui d’un collégien un peu complexé (rappelant les anti-héros d’un Riad Sattouf).
« Encore un jour sans massacre », écrit par un étudiant en droit à l’âge de 17 ans, au titre plutôt alléchant sur un air de « Le school shooting n’aura pas lieu », met en scène Artus, ado se voulant porter un regard désabusé et cynique sur son entourage et son époque en nous relatant, le temps d’une année scolaire, les petites mésaventures/anecdotes de son quotidien des salles de classe à sa chambre où il parvient à séduire la jolie Lola, tout en tentant de commenter la vie politique assez maladroitement…
Si l’idée de détourner la désormais « classique » tuerie lycéenne était bonne, le style de l’ensemble reste assez pauvre et la comparaison de ses joutes verbales avec Woody Allen comme le mentionne la 4e de couv’, passablement exagérée même si certains passages font esquisser un sourire :
« Demain il faudra retourner au charbon. Couloirs, professeurs, adolescents… J’ai pas mal réfléchi à l’idée de prendre une arme et d’aller faire une grande tuerie, un peu comme aux Etats-Unis. Sauf que moi, je ne me suiciderai pas. Je veux me voir aux infos. Quitte à être une légende, autant en être une vivante. »

Sa première fois : « Je ne sais même pas si je l’ai regardée, je n’ai aucun souvenir d’elle. je ne sais même plus à quoi elle ressemble nue, alors que c’était hier et que j’avais rêvé de ce moment depuis notre première rencontre. Peut-être bien qu’elle avait détesté. Tout ça pour ça. Mon rêve en fait ce serait d’être marié avec elle depuis 10 ans, que le sexe soit une routine, pas un enjeu qui paralyse toute émotion. Le pire c’est qu’il va falloir recommencer. »

1e rupture : « Tu vas me dire que je ne pense qu’à mon histoire avec Lola et t’auras bien raison. Il n’y a rien de plus infamant que de penser à l’état de son couple au lieu de souffrir pour ceux qui n’ont rien à manger, comme le Christ nous l’a demandé. Mais je ne peux rien faire pour ces gens de toute façon. Ma compassion n’est pas comestible. Remarque, pour mon couple non je ne peux pas faire grand chose. »

De son côté « Journal d’un dégonflé » se rapproche plus de « La vie rocambolesque et insignifiante de Brad-Pitt Deuchfalh » en prenant le parti d’un ouvrage illustré, également proposé au rayon jeunesse. Entre persécution à la cour de récré et élection au conseil de classe, il livre l’éternel parcours du combattant de cet âge ingrat sans grande originalité…

Sur le sujet du malaise de l’adolescence au lycée, on préférera lire l’autrement plus poignant « Appel du pied » de la jeune japonaise Wataya Risa âgée de 19 ans, prix Akutagawa, récemment sorti en poche aux éditions Philippe Picquier. L'(auto ?)portrait sensible et intimiste de l’adolescence et des années lycée vu du côté des laissés pour compte, « les exclus » de la classe, les « ijime » selon le terme japonais qui désigne les élèves mis à l’écart ou/et victimes de brimades dans une classe. Ecrit pendant sa deuxième année de fac (à la très prestigieuse Université Waseda), elle décrit la solitude, la difficulté de s’intégrer, la souffrance qui en résulte mais explore aussi les thèmes de l’amitié, de l’individualisme ou encore l’incommunicabilité…

A noter également en cette rentrée, la ré-édition du roman « 15 ans et demi » de Vincent Ravalec adapté au cinéma en mai dernier (dans le veine d’un Teen spirit).
« Seul face à Eglantine, quinze ans et demi, un père de bonne volonté tente de lutter contre, en vrac : David Guetta, Les dangers de passer son BSR, H & M, Les fêtes alcoolisées, Les lapins apprivoisés, Les garçons, Fun Radio, Les garçons (encore), Les piercings, Un conseil de classe calamiteux, Internet, Les cheveux rouges, Quoi encore ? Bref, la fête des Pères, ce n’est pas pour demain. Un récit hilarant, à recommander d’urgence à tous les parents persuadés d’être sans défaut. Et à toutes les filles pressées de leur rappeler le contraire. Au fait, l’adolescence, ça dure longtemps ? » On est ici loin du style mordant d’ « Un pur moment de rock’n roll » ou encore de « Cantique de la racaille » avec cet ouvrage qui accumule les clichés sur l’adulte un peu perdu face aux codes et au langage des adolescents, à coup de « kiffer », de « piercing » et autre « boum » (aux relents eighties un peu dépassés).
Cela reste néanmoins gentillet et pourra faire sourire les lecteurs très bon public. Il paraît que tout le monde s’y retrouve… Le précédent sur le même registre, « Les filles sont bêtes, les garçons sont idiots » était déjà du même niveau…

Remarqué pour son style poétique (« Ni fleurs ni couronnes »), sa rage rock’n’roll (« Dans les rapides »), et membre du très pointu et intellectuel collectif Inculte, Maylis de Kerangal est une jeune auteur en vogue dont le style à la fois violent, acéré et charnel pourrait rappeler la famille des Olivier Adam et Arnaud Cathrine.
En cette rentrée littéraire, elle publie « Corniche Kennedy » un roman en forme d’allégorie, « un conte cruel et émouvant entre ciel et mer » prenant pour cadre les calanques de Marseille, où du haut d’une corniche, une bande d’adolescents, du petit caïd à la petite bourgeoise, surnommés par les riverains « les petits cons de la corniche », se jettent : « Et quand il se précipitent de là-haut, c’est la même crue qui les traverse, une crue de l’espace et du temps, une amplification de la lumière, une saisie de la joie« .
Là-haut, dans leur repaire, « ça discute sec, ça rigole, ça s’esclaffe et ça chantonne, ça mange de frites mayonnaise, des beignets, ça boit du Coca, ça commente les magazines, ça se crème le dos, ça se paluche, ça fume, ça prend ses aises, ça se croit chez soi. »
Ce décor très théâtral et personnage à part entière, joue le rôle de révélateur des rapports et des confrontations, entre désir et frustration, de ces jeunes personnages (qui devront également, pour un peu de piment à l’intrigue, faire face aux forces de l’ordre venues « nettoyer » la corniche ou encore à une affaire de drogue…). La falaise sauvage, ses aspérités et les plongeons fous cultivent les symboles d’un âge où l’on veut tout tenter, défier la vie, la peur et les éléments et prendre tous les risques…
Une esthétique qui a pu être comparée à celle du réalisateur Larry Clark pour un roman qui privilégie volontiers l’exercice de style.

« Polichinelle », premier roman de Pierric Bailly, dépeint également, le temps d’un été dans le Jura, les premiers émois d’une bande de jeunes et l’incompréhension d’adultes souvent bien moins responsables que leurs enfants, dans une ambiance rappelant celle du film « My summer of love ».
Tentant d’échapper à l’ennui et la morosité ambiante de leur coin perdu et étriqué, ils rêvent de voyages à Hollywood ou au Mexique en bullant près de la rivière, s’abrutissant de clips, se saoulant, flirtant ou se bagarrant jusqu’à ce que le tragique les rattrape…
Portrait rare d’une jeunesse provinciale et rurale saluée pour sa verve à la fois violente, riche, inventive et truculente : « On tente le diable, notre seule chance. On a un gros cul, un gros nez, on les écrabouille, on rebondit, on les réduit un à un à l’état de tomates farcies, clafoutis aux cerises, gros dégueulis de barbares qui pissent la framboise ». L’auteur expliquait à Télérama qu' »il a voulu retrouver la tension qui existe dans ces petits groupes de lycéens, le temps d’un été. Il a cherché à transcrire une langue rebelle qui ne revendique rien, à se l’approprier. Il explique qu’il a écrit ce livre à voix haute, qu’il ne s’agit pas d’un langage parlé, mais d’une musique des mots, proche du rap. »

Plus proche du campus-novel (comparé à « Moi, Charlotte Simmons » de Tom Wolfe) Nick Mc Donell relate, lui, le quotidien éthylique des étudiants d’Harvard en parallèle avec la guerre d’Irak et continue à creuser le sillon du sous Bret Easton Ellis. « A travers ce prisme géopolitique, l’auteur raconte la vie sur le campus de l’une des universités les plus prestigieuses des Etats-Unis. Comment réconcilier l’insouciance de la jeunesse et le drame qui se joue au Proche-Orient ? Les étudiants se succèdent avec leurs drames personnels, leur vision du monde et de leur avenir. », nous résume l’éditeur. On vous en reparle plus en détails prochainement.

A lire en complément le dossier : « Ados terribles : les nouveaux romans de la « Lost generation »

Illustration chapo extraite du film « Thirteen » de Catherine Hardwicke

2 Commentaires

  1. "Après les phénomènes fin 2007, "Boris Bergmann" (qui publiait, à 17 ans, chez Scali, "Viens là que je te tue ma belle" soit le journal romancé d’un ado faisant son éducation à travers la découverte du rock, prix de Flore du lycéen)"

    Dis donc, il était pas censé avoir quinze ans le ptit Boris quand il a été publié l’an dernier? On m’aurait menti?

    En tout cas, cette année, ils ont un chouette clone de Lolita Pille:

    http://www.scali.net/laureate.ht...

    Les premiers extraits sont flippants de ressemblance avec le prologue de Hell.

    “Je suis égoïste, narcissique et dédaigneuse. Comme tous les assoiffés de gloire du troisième millénaire, en quête de paillettes et de rédemption, je fais de l’Art nombriliste. Un art chewing-gum, qui se masturbe en se regardant créer.” “Faire de moi-même un personnage de roman flatte mon narcissisme et caresse mon ego : j’existe alors dans la réalité mais aussi dans la fiction, funambule aux pas incertains flânant le long d’un horizon blême.” “Nous ne croyons pas en nos rêves, mais nous avons foi en l’avenir.”

  2. Merci beaucoup Dahlia de cette info et de ce lien !
    Tu as bigrement raison, c’est exactement pompé sur le style/posture de Hell… (en moins réussi). c’est fou un plagiat comme ça !

    Pour Bergmann, merci c’est corrigé.

    J’ajoute deux autres références à ce petit tour d’horizon de teen-novels ou roman sur le thème de l’adolescence de la rentrée littéraire 2008 :

    New Wave d’Ariel Kenig qui depuis le début de son oeuvre s’est toujours attaché à dépeindre cet âge difficile en particulier par le prisme de l’amitié et de la fascination comme dans Camping Atlantique, paru récemment en poche « J’ai lu/Nouvelle génération ».
    New Wave dont on reparlera, aborde l’amitié de deux lycéens que tout oppose sur fond de rock.

    A signaler aussi en cette rentrée littéraire cet autre roman : "Pourquoi pas le silence" de Blanche de Richemont

    Présentation de l’éditeur Robert Laffont :
    Qu’est-ce qu’aimer ? Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que devenir adulte ? Autant de questions infinies qui se présentent à Paul, quinze ans, et auxquelles il aimerait trouver des réponses. Des questions se bousculent, mais aucune réponse n’apparaît satisfaisante, ni suffisante, dans sa volonté d’absolu ; une volonté contrariée par tout ce qu’il découvre des attentes de son entourage, de ses propres impasses, et ce sentiment, contre lequel il lutte, de « non-adhérence » au monde. Il nage à contre-courant et à trop vouloir paraître et sourire, le courant l’emporte. Sa famille le sent : elle ne sait comment l’aider. Jusqu’au bout, ils lui tendront une main, qu’au dernier moment il ne parviendra plus à attraper.

    Écrit d’une plume sensible, un roman qui ne pèse jamais, malgré l’ombre profilée à la fin du suicide du narrateur. Ce qui frappe dans l’écriture de Blanche de Richemont, outre le fait qu’elle recrée une ambiance que chacun a pu traverser à un moment ou à un autre de sa vie, c’est qu’elle est dénuée de pathos, toujours vive et rapide. La signification du livre n’apparaît qu’à la fin, de manière rétrospective, pour lui donner un nouvel éclairage : celui du « soleil noir de la mélancolie ».

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.