Interview Bénédicte Martin (« Quelqu’un quelque part est foutu ») : « J’ai été animée par une rage qui efface la joliesse de mes premiers écrits patinés par le marketeur Beigbeder… »

Interview de Bénédicte Martin, écrivain qui revient après une longue absence, aux éditions Stéphane Million avec un nouvel opus : « Quelqu’un quelque part est foutu ». Après avoir embrasé la scène littéraire au début des années 2000, avec son célèbre Warm-up (voir chronique), condensé de sensualité, d’insouciance effrontée et de féminité mutine, puis « Perspectives de paradis », en 2006, qui nous invitait au voyage, tous deux chez Flammarion, benedicte-martin-roman-stephane-million.jpg Si la féminité et la séduction sont toujours au coeur de son oeuvre, l’ambiance se fait aussi plus sombre voire désespérée… Son style s’affirme aussi. Elle nous explique son évolution, depuis ses débuts avec Frédéric Beigbeder qui l’a découverte, et revient sur son parcours, ses influences ou encore son rapport à Internet et projet… :

Que devenez-vous et pourquoi avoir attendu si longtemps pour publier un nouveau livre ?
Je me suis un peu oubliée dans un confort de vie… J’ai eu un fils… J’ai eu une séparation… J’ai eu des deuils… Mais je n’ai jamais cessé d’écrire, notamment pour la presse : Paris Match, L’Express’Styles, VSD, Be, L’Officiel de la couture et de la mode. J’ai fait des dossiers de presse pour le cinéma. Et puis, j’ai co-écrit avec Radu Mihaileanu aux editions Glénat, le livre sur le film éponyme (Compétition officielle du Festival de Cannes 2011) : La Source des Femmes. Un beau livre développant tous les thèmes abordés par le film sur le statut des femmes, l’Islam, l’Amour. Je collabore à la Revue Bordel depuis sa création et j’ai écrit un manifeste féministe dans la revue politique d’Arnaud Viviant : Charles. Et puis j’écris dans mon coin, non-stop, des nouvelles, des poésies, du théatre, un roman en particulier (…) et que je développe à mon rythme.

Comment s’est élaboré son écriture et quels ont été vos inspirations et l’univers que vous explorez ici ?
Je ne citerai pas des moindres, j’ai trouvé mes inspirations chez Jacques Roubaud, les Belges Henri Michaux et William Cliff, Sylvia Plath bien évidemment, Bukowski pour le coté « sale » que j’aime en littérature, Lautréamont dans « Les chants de Maldoror » qui à la première phrase annonce la couleur: « Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison. »

J’ai creusé dans mes entrailles, je me suis faite crapule et méchante quelquefois, mélancolique à d’autres, incomprise, à chercher le manque de tendresse, la désespérance, à vivre en éternelle fatigue… J’ai gardé une boule dans la gorge du début à la fin de l’écriture. J’ai été animée par une rage que je draine en moi depuis longtemps et qui commence à effacer la joliesse de mes premiers écrits patinés par le marketeur qu’est Beigbeder. C’est pourquoi aussi, j’ai mis en exergue Sepultura (que les lecteurs de plus de 35 ans n’y comprendront rien!): « Roots, bloody roots », parce qu’on vient tous de ça: du sang.

Qu’en est-il du titre « Quelqu’un quelque part est foutu » ?
Le titre est un vers de Sylvia Plath. Tout d’abord je le trouve d’une simplicité sublime et ensuite parce je trouve que c’est une manière de faire révérence à ses auteurs phares que de prendre une de leur phrase pour titre. Je pense à « Bonjour tristesse » de Sagan qui est à la base un vers de Paul Eluard… Mais il y a beaucoup d’exemples ainsi! Lorsque j’ai lu cette phrase dans « Mort et Cie », elle a résonné en moi, tout comme je pense qu’elle résonne chez nombre d’entre nous. On se sent tous foutus à vrai dire. J’ai voulu faire un livre triste mais résilient malgré tout.

Depuis Warm-up, comment avez-vous évolué ? Le fait d’être devenue Maman a-t-il influencé votre travail ?
Je crois que depuis Warm Up, mon écriture s’est durçie, radicalisée. Mon style reste le même, quelque chose d’assez fleuri, mais le ton est plus « fané ». Je suis aussi plus violente dans les thèmes. Je pense que cela est dû à mon age. Je n’ai plus 20 ans et la vie m’est passée dessus. La naissance de mon fils n’a rien changé concrètement. Je ne m’interdis rien au niveau de l’écriture. Je l’élève pour en faire une personne curieuse et pourvue d’esprit critique. Il lira mes livres quand il en aura l’age. Avant d’être une mère, et lui un fils, nous sommes justes des hommes. A la limite, l’unique chose qui a changé dans le fait d’être devenue mère, est l’urgence à écrire.

En dépit d’une couverture chatoyante, la tonalité semble beaucoup plus sombre après la légèreté et la gaité des premiers ?
La couverture est à l’image des femmes d’aujourd’hui, des bonbons (maquillées, coiffées, glossées) qui sont des bombes à l’intérieur. Des bombes de tristesse, de doute, de pleurs, d’angoisse. Le rose et le noir.

Vous publiez pour la première fois aux éditions Stéphane Million, pourquoi ce choix et pourquoi avoir quitté Flammarion ?
Mon histoire était finie avec Flammarion. Pour ce recueil, j’ai choisi les Editions Stéphane Million pour plusieurs raisons : nos dix ans de collaboration, notre amitié, et le courage qu’il a eu à publier en pleine rentrée littéraire, un recueil de poésie ! A contre-courant de tous les romans ! De plus, j’apprécie son accompagnement dans le processus d’écriture, très respectueux, très sensible. J’aime l’attention avec laquelle il traite chacun de ses ouvrages, il se déplace lui-même dans les librairies, chez les journalistes. Il a un réseau tout aussi étoffé que les mastodontes de l’édition. Il connaît personnellement chaque pion de l’édition. Néanmoins, je travaille sur un large projet avec une grande maison du 6éme (…) pour la rentrée prochaine…

Comme s’est déroulée la collaboration avec Stéphane Million et son accompagnement en tant qu’éditeur dans l’écriture ainsi que choix de la couverture du livre très pop ?
La couverture a été faite en collaboration avec son graphiste Erwan Denis, Stéphane et moi. Je voulais quelque chose à la Almodovar. Du sang, des anémones, des couleurs saturées. Je voulais du violet, des rayures… benedicte-martin-roman-stephane-million2.JPG Le livre est qualifié de « recueil lyrique » car en effet votre écriture se fait plus poétique que jamais. Vous vous sentez plus poète que romancière ?
Oui, profondément poéte ! Et je regrette que notre époque ne fasse plus la part belle à ses poètes ! La littérature française contemporaine semble focaliser sur le roman alors que nombres d’auteurs classiques et de référence de notre culture ont été des poètes, des novelistes, des essayistes. Je pense à Rabelais, Montaigne, Rimbaud, Apollinaire, Baudelaire, Pierre Loti, Michaux, Bataille, Camus, Paul Eluard, Aragon, Prévert, Le Clézio… Les Anglo-saxons n’attendent pas forcément LE roman qui fera d’un écrivain, un Vrai écrivain. Henry Miller, Truman Capote, Henry James, Bukowski, Oscar Wilde, Fitzgerald en sont des exemples. Quant à moi, j’ai un tel amour des mots, qu’instinctivement, naturellement, je me suis dirigée vers ceux qui sont comme moi. Eluard a été le détonateur, Jacques Roubaud qu’un ami m’a fait découvrir, l’étincelle.

Vous ne cachez pas votre admiration pour des écrivains tels qu’Anaïs Nin ou Sylvia Plath, que représentent-elles à vos yeux ?
Oui, deux grandes dames ! Avec des destins très différents mais une approche commune très tactile, organique de l’existence. Je déplore que l’on fasse si peu cas des femmes écrivains. Je me suis juste rendue à l’évidence un jour devant ma bibliothèque qu’elle comportait plus d’ouvrages d’auteurs femmes que chez les autres. Un hasard ? Je ne crois pas. Une sensibilité partagée pour des thèmes. Mais je ne crois pas que c’est juste parce que je suis une femme. Patrick Besson en lit autant que moi !

Virginia Woolf et son ouvrage « Une chambre à soi » est essentielle. Le combat de Clara Malraux est remarquable. L’obscénité d’Anais Nin est importante. L’outrecuidance de Marguerite Duras est encourageante. Les cœurs déchirés d’Anna de Noailles, Marceline Desbordes-Valmore, Maria Akhmatova m’ont calmés. La rage d’Anna Akhmatova m’est contagieuse. La désespérance de Sylvia Plath et de Mireille Havet m a été une révélation. Le combat de Frida Kahlo ou d’Alejandra Pizarnik dans leurs journaux intimes est une leçon.

En cette rentrée littéraire, quel regard portez-vous sur la « production » contemporaine ?
La production actuelle est vivace, peut-être un peu frileuse concernant les supports (hormis l’émergence des Mooks).

Quels sont les livres que vous avez lu ou avez l’intention de lire éventuellement ?
Je lis après le feu. Je suis actuellement trop influencée par les critiques et nominations de prix. Je pense vers Noel en lire une bonne vingtaine, principalement des français.

De façon générale, quels sont les jeunes auteurs de votre génération que vous appréciez et que vous lisez ?
Peut-on encore dire que nous sommes des jeunes auteurs ? Florian Zeller, Nicolas Rey, David Foenkinos, Nicolas d’Estienne d’Orves, Anna Rozen… On est tous avec des enfants à présent. Eux, je les lis à chaque fois pour la qualité, l’amitié, la température du milieu. Sinon, j’aime beaucoup Brigitte Giraud et les « vieux » Angot. Je lis une bonne partie de la production annuelle néanmoins. Sinon, quand je flane sur Amazon, ça va d’une biographie de Sarah Bernarhd ou de Violette Morris, d’un essai sur Louis deux de Bavière, d’un livre étonnant sur la mort volontaire au Japon à des Henry Troyat, des Pef, des bd de Tardi, Larcenet ou Berberian, ou des éditions rares de Lautréamont… Sinon, sur les conseils de mon père, je m’oriente vers Aldous Huxley, Allan Watts….

Enfin, vous venez d’ouvrir un compte Twitter et êtes active sur Facebook depuis quelques années : comment envisagez-vous ces nouveaux outils de communication, parfois diabolisés, en tant qu’auteur et dans le rapport avec vos lecteurs ?
Je vois peu mes lecteurs. Ils m’écrivent. Et Facebook est une excellente manière d’être en contact avec eux. Avant, on m’écrivait des lettres avec des papiers à en-tête, je les ai toutes gardées dans un classeur. Les gens m’étaient plus de rondeur dans leur message. A présent, c’est plus réactif, ce qui n’est pas déplaisant. Je ne diabolise absolument pas ses nouveaux outils de communication. Il faut savoir s’en servir, c’est tout. Car, on peut à coup sur, tomber dans les travers que dénonçaient Debord dans La société du spectacle : comme la mise en scène de soi jusqu’à la vacuité de l’exhibition.
Non, moi, je tente de déclencher des réactions, des émotions, de partager. Tout en gardant également en ligne de mire que Twitter et Facebook sont avant tout la technologie de l’information et de la communication. J’y suis mon attachée de presse, ma photographe officielle… Twitter, je viens de m’y mettre, je découvre, et même si je n’y suis pas encore très à l’aise, cela me fait penser aux salons littéraires, aux cercles, aux cafés intellectuels. On y est pour ne rien louper du bon mots, pour disserter de l’époque, pour faire mouche avec quelques caractères. C’est très mondain, très français !

[A lire aussi]
L’analyse critique de Warm up, son premier livre, recueil de nouvelles incendiaires:
Warm-up de Bénédicte Martin: Chattes sur toit brûlant (sortie poche)

Analyse critique de l’essai « La femme » par Bénédicte Martin :
De la Femme, Du Féminisme, De Bénédicte Martin, de Nabilla, d’Eve et Pandora…

Et aussi, toujours disponible… :

1 Commentaire

  1. Impressionnante de beauté et d’intelligence.

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