De la Femme, Du Féminisme, De Bénédicte Martin, de Nabilla, d’Eve et Pandora…

En mars 2014, Bénédicte Martin publiait « La femme » son 4e livre, dont la couverture faisait une nouvelle fois scandale (censurée par Apple car jugée « inappropriée » sur sa plateforme numérique) 11 ans après son recueil Warm up publié en 2003 dont la couverture avait été jugée tout aussi « choquante ». Objet du courroux ? Le corps féminin, encore et toujours, éternelle entité problématique, qui ne doit pas se montrer ou « provoquer ».
Un thème qui fait écho à quelques-uns des 50 chapitres de son livre où elle revendique haut et fort le droit à la féminité et à ses apparats. En novembre dernier et depuis plusieurs mois déjà, une jeune femme nommée Nabilla, attise la haine et les commentaires sexistes en tout genre. Son crime ? Outre avoir été accusée -enquête en cours- d’avoir poignardé son compagnon qui, lui, était sous l’emprise de la cocaïne lors d’une dispute et peut-être en self-défense (dans tous les cas un acte passionnel), est aussi et surtout celui de montrer (un peu trop) son corps (un peu trop) plantureux pour être respecté. Le lynchage médiatique et publique des femmes (cf:Tristane Banon en 2011 lors de l’affaire DSK pour n’en citer qu’une), qui ne se fondent pas dans le conformisme puritain judéo-chrétien patriarcal encore si tenace, est une pratique nauséabonde courante dans notre pays…

Plan de l’article :
DU COUTEAU ET DES FEMMES
LA CULTURE DE LA HONTE
VIERGE OU SALOPE
ANALYSE DE SURFACE ET GENERALISATION…
FEMINISME: CE GROS MOT QUI EFFRAIE
FEMME TROP « BRUYANTE »
LA THEORIE DU GENRE: « ALLER SE FAIRE INJECTER DU MALE »
DISCOURS BOURGEOIS CONSERVATEUR ET DISSONNANT: L’EGALITE… OUI MAIS PAS TROP
CONCLUSION

Du couteau et des femmes

L’affaire Nabilla succède à la sortie du livre de Bénédicte Martin. Et je ne peux m’empecher de rapprocher la « starlette » de télérealité comme les journalistes se plaisent à la qualifier (à noter que le terme n’existe qu’au féminin d’ailleurs) à la couverture qui aura fait tant couler d’encre.
Nabilla, la femme-couteau et… la femme lacérée d’insultes.
Cette vision de femme surréaliste, aussi frappante que réussie, convoque de nombreuses symboliques : mi-femme sirène mi-femme poignard, femme fatale assurément dans tous les sens du terme, amazone prete à se défendre, à se battre, s’il le faut peut-etre ?, ou le couteau que les femmes retournent souvent contre elles-memes au sens propre comme au figuré. Mais aussi l’arme blanche, le sang, le sang des femmes qui coule et celui qu’elles aimeraient parfois faire couler, au nom de la justice qu’on ne leur accorde pas… On pense aussi à toutes ces femmes qui à bout, parce que battues, manipulées ou abusées, et parce qu’elles n’ont pas su faire autrement, qu’elles n’avaient pas les mots, les moyens, l’éducation sont devenues des criminelles pour sauver leur peau (voir ici ou la).
La douleur et la colère.
L’image du couteau, de la lame est d’autant plus saisissante qu’elle tranche (sans mauvais jeu de mot) avec la douceur et l’angélisme du visage de la modèle et bien sur sa poitrine opulente et maternelle.
Bénédicte Martin recourt d’ailleurs de nombreuses fois à cette image du couteau, comme arme de défense de la femme qui ne dispose bien sur pas de la meme force physique qu’un homme.
« Une femme amoureuse peut etre un clair matin la rose entre les levres et le lendemain un poignard entre les dents. »
« Je me défends à petits coups de canif. »
« Je te crucifierai à ma table avec fourchette, couteau et cuillère. »
« Au nom du couteau que j’ai mis sous mon oreiller… »
« Je jouerai du couteau à en crever toute chair. »
« [Les sardines raides et brillantes] comme des couteaux que je me planterais bien dans le coeur.
 »
Elle va jusqu’a dire qu’elle « écrit cette femme au couteau« .

Bénédicte Martin évoque aussi dans son livre le cataloguage dont elle fut l’objet à la sortie de Warm-up, ou elle est alors réduite à une « nymphomane », « érotomane » ou autre fille facile. Devant sans cesse se défendre et se justifier sur l’imaginaire de ses textes et sur « l’obscene malentendu » comme elle l’appelle, elle rime:

« On me fait le procès de la p#tain
Alors que je n’essaie que d’être un écrivain
. »

La culture de la honte

En avril 2014, Patrick Sébastien, présentateur TV, assimilait Nabilla à une « branche voisine de la prostitution » tandis que les chroniqueuses de l’émission (« Le Grand huit » sur D8) lui faisait remarquer que Nabilla ne vendait pas de prestations intimes mais utilisait simplement son image comme beaucoup d’autres artistes le font.
Seulement voilà le célèbre sacro-saint syllogisme a parlé: tu es une femme et tu as l’audace de porter une jupe courte ou un decolleté DONC tu es une pute, une salope et tant d’autres sympathiques associations d’idée, histoire de les rappeler à « l’ordre ». Logique implacable qui continue de s’abattre sur les femmes comme un couperet y compris dans un pays dit démocratique et libre.
Des lois archaico-souterraines tacites, insidieuses continuent de prévaloir et de vouloir contraindre les femmes à cacher ce corps-que-l’on-ne-saurait-voir, de cette séduction insupportable parce qu’elle implique tellement de choses, à commencer par une forme de pouvoir (cf: les différents débats sur la sexualité dans les civilisations antiques et premières sociétés chrétiennes; la piece Lysistrata d’Aristophane l’illustre bien aussi, ou encore plus tard l’influences des favorites des rois de France…), à se faire « modeste » (cf: les codes de modestie vestimentaire).
Et ces derniers temps j’ai l’impression que cela va meme en s’empirant quand on voit l’essor des sites de « porno vengeur » d’origine américaine (hommes éconduits qui rendent publiques les photos ou vidéos privées intimes de leurs ex copines) ou récemment le piratage de photos privées d’actrices anglo-saxonnes dénudées. Tout cela dans le but d’humilier, « déshonorer » car une femme c’est bien connu ne peut etre que chaste et emmitouflée pour etre respectée (cf: les chapitres sur la virginité et « des salopes et des chiennes » dans « La femme » qui sont bien vus, voir ci-dessous).
Il y a aussi le « harcèlement de rue », plus banal mais loin d’etre trivial, dont la nouvelle appellation témoigne du malaise ressenti par les femmes lorsqu’elles osent sortir sans la « tenue de camouflage », masquer le corps, masquer les courbes et la peau pour pouvoir enfin marcher tranquille, « librement ». Le documentaire « Femmes de la rue » de la belge Sofie Peeters en 2012, tourné a Bruxelles, a lancé un premier pavé dans la mare, suivi d’autres documentaires à Paris ou New York. De facon générale, toutes ces agressions verbales parfois accompagnées de menaces physiques ont été nommées « slut shaming » aux USA, littéralement « faire honte aux salopes », en d’autres termes stigmatiser une femme à cause de ses vêtements ou sa sexualité réelle ou supposée. Et auquel les américaines, encore elles, ripostent avec des « slutwalks » (« marche des salope »), manifestations visant à affirmer le droit des femmes de s’habiller comme bon leur semble.

De Pandore à Eve en passant par Lilith, les mythes ont toujours façonné une femme a la séduction dangereuse.

De Pandore à Eve en passant par Lilith, les mythes ont toujours façonné une femme à la séduction dangereuse.

Vierge ou Sal#pe

La honte est utilisée comme arme de répression contre la liberté corporelle de la femme historiquement sous controle (la sexualité étant bien sur un des moyens premiers de controle sociétal comme l’a justement demontré le philosophe Michel Foucault).
Le ressort psychologique est le meme qui a été utilisé depuis des millénaires pour soumettre et asservir les femmes : la culture de la honte (dynamique honneur-honte), née dans les cultures anciennes méditerraennes, également pillier sous-tendant l’Ancien Testament et irriguant la bible dans son entier. Tout commence avec Eve, la première femme biblique de la Genese, créé par l’homme sous couvert de voix divine, pour représenter ce que les chrétiens ont decidé de nommer le péché originel, honte éternelle sur les femmes. Les Grecs ont eux inventé « Pandore »,la déesse qui peche, non pas en croquant une pomme, mais en ouvrant la boite interdite, renfermant tous les maux du monde et donc, de meme, fautive, coupable. « On est toutes la fourbe Pandore » écrit B.Martin qui décrit avec une belle verve (chap. « Des accusations »), cette position maudite de la femme (et redore, au passage, le blason de la harpie, digne vengeresse au nom de la justice divine nous rappelle-t-elle !):
« Si tout va mal,
Ici bas,
C’est à cause de nous, les femmes qui sommes le
piège profond.
 »

La honte est un paramètre qui ne s’applique traditionnellent qu’aux femmes et qui concerne leur « pureté » physique (en d’autres termes leur virginité considerée alors comme leur plus « haute vertu »). Seule une femme peut jeter la honte, l’opprobre sur sa famille par son comportement intime ou à connotation « indécente » (l’homme ne subissant en revanche aucun stigmate pour sa sexualité, y compris le droit a l’adultere).
Jugement, considération, condamnation d’un autre temps, d’un autre age et pourtant toujours aussi vivace sous de nouvelles formes. Seule différence: la lapidation n’est pas, sous nos latitudes, physique mais psychique.

Le mythe de la virginité qu’évoque B.Martin (chap. « De la profanation du temple« …) l’illustre bien: « Les hommes revent de salopes, mais veulent des vierges » déclare-t-elle pour souligner le paradoxe. Elle l’explique par le besoin de conquete et d’exploration de l’homme, auquel il faudrait aussi rajouter les raisons historiques et patrimoniales probablement.

simone de beauvoir benedicte martin

Dans son chapitre -torride- « Des salopes et des chiennes« , elle clame, une fois de plus, ce droit des femmes à leur corps et à ces plaisirs, des « lanières de chair » selon l’expression qu’elle emprunte a Jean Giraudoux, sans etre pour autant devaluées. Son exemple du scandale suscité par la photo nue (volée encore une fois) de Simone de Beauvoir prise par Art Shay et parue dans « Le Nouvel Observateur » en 2008 est particulièrement parlant en demontrant la difficulté de l’opinion publique d’accepter qu’une femme intellectuelle puisse aussi avoir un corps attirant et potentiellement s’en servir. Cela nous renvoie a la traditionnelle dichotomie corps (censé incarner par la femme) et esprit (censé appartenir a l’homme). Une femme à la fois corps ET esprit gene donc (voir aussi a ce sujet l’artice « Blondes… MAIS écrivains : De Marilyn Monroe (« Fragments ») à Nelly Arcan (« A ciel ouvert »).

De facon générale, le droit des femmes à s’habiller comme bon leur semble, de se mettre en valeur sans etre insultée, taxée de « vulgaire », ou faire outrage, cela peut paraitre futile mais ca ne l’est pas. C’est meme fondamental pour toute la symbolique sociale et politique que cela implique.
Bénédicte Martin, également victime de ce lynchage lié a sa plastique, en parle assez longuement, tres joliment et poétiquement d’ailleurs (sans doute les chapitres les plus pertinents), de ce droit aux parures, aux robes et aux jupes que certains voudraient interdire ou alors utiliser pour dévaloriser.
Eloge des jupes corolles « qui sculptent des tailles de guepe« , de la jupe crayon « qui fait les jambes comme deux aiguilles d’or gainées de bas« , de la jupe comme « pétale d’une femme » et du buste « étamine ».
Mais aussi du « sens de l’artifice », du « bric-a-brac de couleurs sur nos belles gueules », de la « femme fardée, enguirlandée, parée, ramagée de toutes somptuosites », qui « scintille comme un oeuf de Faberge« …

"Une femme a tout a fait le droit d'agglomérer Toute espèce de maquillage sur les centimètres  carrés De son corps, parce que ça lui plaît" (Bénédicte Martin)

« Une femme a tout à fait le droit d’agglomérer
Toute espèce de maquillage sur les centimètres
carrés
De son corps, parce que ca lui plaît » (Bénédicte Martin)

« Je porte des colliers brillants et sonores,
Je peins mes ongles,
Je joue des fesses,
Je blushe ma vie,
Je farde mon metier d’ecrivain
Au plus loin
Pour qu’une femme dévêtue ou nue
Sur une quelconque couverture de livre
N’effraie plus le critique.
 »

Analyse de surface et Généralisation…

En revanche, lorsque l’auteur aborde des problemes de société plus engagés et complexes, dont elle ne maitrise pas toutes les données et qui quitte sa sphère strictement personnelle, son discours (qui se veut « universel ») peut laisser plus dubitatif voire agacer franchement…
Le viol et la violence conjugale par exemple qu’elle se contente d’effleurer d’une analyse de surface un peu stérile sur le mode « c’est mal ».
Il est décevant qu’elle n’ait pas touché à ces sujets cruciaux avec plus de précision notammment pour en démonter les mécanismes psychologiques pervers, comme par exemple les accusations insupportables qui sont faites aux victimes telles que « pourquoi elle ne s’est pas defendue« , « pourquoi elle n’a pas porté plainte immédiatement »
ou encore bien sur l’odieux reproche de « s’habiller provoquante et donc de l’avoir cherché » (la tendance éternelle de placer la responsabilite des comportements irrespectueux sur le corps féminin au lieu de responsabiliser les réels coupables de leurs actes).
Et dans les cas de violence conjugale, « pourquoi est-elle restée », « pourquoi elle n’a pas porté plainte bis ».
Nous avons encore entendu toutes ces voix soupconneuses il y a peu dans diverses affaires médiatiques retentissantes qui révelent au grand jour leur persistance. On se rappellera au passage le troussage de domestique de Jean Francois Kahn.
J’attendais Bénédicte Martin sur ces problématiques qui me semblent fondamentales.

Féminisme : ce gros mot qui effraie

Son rejet du féminisme (autre que celui, un peu léger, de se mettre des boucles d’oreille comme elle l’illustre en citant Forence Aubenas…) me fait tout autant tiquer d’autant qu’elle n’est pas cohérente dans son discours.
Le mot semble lui faire peur et elle s’acharne a le discréditer à coup de citations relativement stupides comme celle de Colette qui aurait dit « Les suffragettes ? Elles méritent le fouet et le harem » (1910). Je ne crois pas que Colette sorte grandie de cette déclaration…
Anais Nin fera preuve d’un peu plus de subtilite (en denoncant simplement l’extrémisme), meme si sur le fond ce n’est guere mieux, en disant: « Les féministes font preuve d’une inhumanité de révolutionnaire, le genre a guillotiner toute personnes aux ongles propres. »

Une des propagandes diffusées dans les journaux entre 1880 et 1900 en Grande Bretagne. Le but était de ridiculiser et diaboliser les femmes se battant pour le droit de vote. Ici le fait d'être célibataire est présenté conne la pire tare, menant à une femme laide et aigrie et le fond du fond : la suffragette.

Une des propagandes diffusées dans les journaux entre 1880 et 1900 en Grande Bretagne. Le but était de ridiculiser et diaboliser les femmes se battant pour le droit de vote.
Ici le fait d’être célibataire est présenté conne la pire tare, menant à une femme laide et aigrie et le fond du fond : la suffragette.

Mais d’un autre coté dans son chapitre « De l’argent », elle rappelle les étapes ayant permis aux femmes de pouvoir jouir de leurs propres deniers et proprietés au lieu d’etre dépendantes de leur mari et « incapables juridiques » (droits qui ne sont pas arrivés tout seuls malheureusement, elle oublie de le mentionner…). Idem lorsqu’elle se félicite de l’existence de la contraception. Grace a qui les femmes peuvent-elles bénéficier de ces traitements (qui rappelons-le étaient illégaux, encore une fois pour des questions de controle de sexualite de la femme essentiellement) ? Si ce n’est pas aux luttes des féministes, des activistes, des femmes qui descendaient dans la rue, pretes a prendre tous les risques, je me demande bien a qui…

« Femme trop bruyante »…

Bénédicte Martin déplore « le féminisme bruyant » et qu’il est dommage que « ces femmes-là aient cru qu’il fallait élever la voix pour se faire entendre« . Un discours qui rappelle les opposants de Martin Luther King qui lui reprochaient de faire du « grabuge » dans les rues (cf: sa letre depuis la prison de Birmingham en 1963 ), on sait que le civil rights movement (et ses non-violent direct actions) aux US est étroitement lié au mouvement féministe et l’a beaucoup inspiré.
Il faut rappeler à Bénédicte Martin qu’il est bien gentil de cracher sur les féministes mais en attendant sans toutes ces femmes qui se sont battues à corps et à cris, parce que oui, malheureusement il faut un petit peu élever le ton parfois quand les oreilles restent fermées, pour tous ces droits dont nous profitons aujourd’hui comme si cela était normal, et qu’il aura fallu arracher.
Presque un siècle de combat, en passant par la case prison pour certaines, sans relâche pour obtenir par exemple simplement le droit de vote (ratifié en 1920 aux Etats Unis, il faudra attendre 1944 en France). Cent ans. Rien que ça.
Il est nécessaire d’y réfléchir et de se retourner sur l’histoire des droits des femmes et la violence auxquelles les féministes -les suffragettes entre autres- ont été confrontées, avant de les mépriser, dénigrer et les condamner de quelques phrases assassines faciles ou c’est etre bien ingrate me semble-t-il.
Bien évidemment, le petit confort occidental (meme si loin d’etre encore idéal on l’a vu plus haut) dont nous bénéficions, les trois quart des femmes du monde n’en jouissent pas, donc non je ne crois pas que le féminisme soit de trop dans ce monde.
En bonus, petite vidéo de l’activiste américaine youtubeuse Laci Green qui résume ma pensée particulierement a partir de 3.52 mn):

Ce rejet du féminisme est assez courant, on voit à quel point le mot (qui recouvre des idéologies diverses) écorche les bouches qui refusent de l’accréditer et encore moins de s’y associer, souvent au prétexte qu’il serait synonyme de « haine des hommes », ce qu’il n’est bien sur pas (des hommes sont d’ailleurs féministes). Une réaction sans doute liée au manque de solidarité entre les femmes qui vivent parmi les hommes avant tout. Simone de Beauvoir l’expliquait, a juste titre, dans l’introduction du Deuxième Sexe, que « [les femmes] n’ont pas de passé, d’histoire, de religion qui leur soit propre; et elles n’ont pas comme les prolétaires une solidarité de travail et d’intérêts; il n’y a pas même entre elles cette promiscuité spatiale qui fait des Noirs d’Amériques, des Juifs des ghettos, des ouvriers de Saint-Denis ou des usines Renault une communauté. Elles vivent dispersées parmi les hommes, rattachées par l’habitat, le travail, les intérêts économiques, la condition sociale à certains hommes – père ou mari – plus étroitement qu’aux autres femmes. »
B. Martin consacre aussi un chapitre a ce sujet et évoque par exemple la médisance feminine.
Le fond de son texte n’est pas tres clair ; elle deplore surtout l’attitude peu clémente des femmes a son égard. Dommage qu’ici encore la reflexion ne soit pas un peu plus poussée car le theme est tres intéressant (en particulier la participation des femmes a leur propre oppression collective).
Sa diatribe contre les lois (qui ne l’ont pas avantagée financierement lors de son divorce, cf ci-dessous) est peu crédible en revanche, en particulier apres qu’elle défende des lois plus répressives pour le viol ou la violence conjugale (elle va jusqu’a proner le retablissement de la peine de mort pour le premier ou bien carrement la justice « justiciere » du meurtre personnelle en prison).


LA THEORIE DU GENRE: « ALLER SE FAIRE INJECTER DU MALE »
Cerise sur le gateau, sa « réflexion » sur la tant decriée « théorie du genre ». Se gargarisant de défendre un « monde genré » (pourquoi ne pas retourner a la doctrine de la couverture tant qu’on y est ?), elle livre un amalgame de pseudo justification médicalo-hormonale a base d’oestrogenes et de progesterones pour expliquer que bah oui « les hommes ne peuvent pas broder avec leurs gros doigts » ou encore facon Eric Zemmour qui « crient à la fin du male avec effroi » ou son conseil aux hommes de son quartier « d’aller se faire injecter du male« .
On est pas loin des cliniques d’antan pour « soigner l’homosexualité ».
Tellement de raccourcis, de psycho de comptoir et de non sens, à la limite de l’homophobie (même si elle se déclare par ailleurs bisexuelle) parfois dans ce chapitre qu’il aurait peut-être mieux fallu ne pas en parler du tout. Heureusement, hommes et femmes sont un peu plus complexes et multifacettes que ce portrait rigide et sectaire dressé ici…

Je passe sur ses citations de la Bible, livre sexiste par excellence et dans lequel on trouve de quoi justifier à peu pres tout et son contraire (esclavagisme, etc.).


DISCOURS BOURGEOIS CONSERVATEUR ET DISSONNANT: L’EGALITE… OUI MAIS PAS TROP
Au fil des chapitres se dessine une vision finalement tres conservatrice des femmes et des rapports homme-femme, qu’on aurait pas forcément soupconnée chez l’auteur.
Cela se ressent particulierement lorsqu’elle évoque, a plusieurs reprises, avec une aigreur peu dissimulée, son divorce ou plutot son « dépacsage » si on lit bien entre les lignes et le manque a gagner financier qui en a resulté. En d’autres mots la sacro saint pension alimentaire qui apparemment n’a pas été assez juteuse a son gout.
Cette complainte récurrente du manque d’argent (avec en prime son double discours sur les lois qu’elle rejette quand ca ne l’arrange pas mais réclame quand meme quand cela va dans son sens) est assez dérangeante au vue de son statut social (qui reste privilegié par rapport a la grande masse de la population, malgré ses lamentations), de ses chapitres sur la frivolité, sa défense du shopping, sa vie a Saint Germain des Prés etc. Cela pourrait presque devenir comique lorsqu’elle se plaint aussi du fait de devoir se lever a 7h du matin pour conduire son fils a l’ecole (n’est-ce pas le quotidien de la plupart des gens, enfant ou pas, qui partent au bureau ou se casser le dos pour nettoyer des bureaux ou des grandes surfaces, puis rentrer épuisé(e)s s’occuper de familles parfois nombreuses ?), ou de devoir renoncer a s’acheter « un parfum » pour payer des lecons de karaté a son enfant…
On est quand meme loin d’un quotidien a la Zola, meme si son ex vit dans un 300 m2 et elle dans un 30 comme elle le regrette amerement (certains vivent dans encore plus petit et pas a Paris ni a Saint Germain des prés encore une fois…).

Tout ceci sous-tend sa these contre l’égalite hommes-femmes (« Se branler avec le mot égalité, cette soif délirante de parité »), en écho a l’activiste américiane conservatrice catholique Phyllis Schlafly qui en 1976 avait fait campagne pour s’opposer au passage de l’ERA (Equal Rights Amendment) au prétexte, notamment, que les femmes ne bénéficieraient plus de la tutelle financiere masculine en cas de divorce notamment (et autres justifications sur les roles genrés des hommes et des femmes devant etre respectés, en particulier le fait que l’homme doit subvenir aux besoins de la femme).
C’est exactement l’impression qui ressort des écrits de Benedicte Martin, cette idée qu’un homme doit dégainer son portefeuille pour lui apparaitre aimable comme dans son texte « De l’addition » (fort bien ouvragé et au ton humoristique percutant, au demeurant): « Beurk aux hommes qui oublient leur savoir vivre au prétexte que mes ancetres féministes ont demandé l’égalite des droits. Alors nous voici nous jeunes femmes, acculées à l’égalité de l’addition ? » Le tout accompagné d’une version tres mercantile, à l’ancienne, du mariage car nous dit-elle
« il suffirait d’une bague au doigt pour qu’elle se calme » (on imagine que le nombre de carats aura quand meme son importance…). Sur le meme theme, il est intéressant de lire le très decrié témoignage de la romancière anglaise Rachel Cusk, Aftermath, qui décrit son « après-mariage » et notamment le fait qu’elle ait du payer une pension alimentaire à son mari qui était homme au foyer.


—–
Pour finir sur une note plus positive, comme à l’habitude, son style est tres travaillé et d’une belle créativité, servie par une imagerie riche. Intéressante aussi et tres vivante, son habileté a conjuguer les registres de langue, jonglant avec bonheur entre langue vernaculaire voire jurons, lyrique ou mystique.
Parmi les textes les plus réussis tant sur le fond que sur la forme, citons la complainte de la double journée de travail de la femme dans « De la femme de maison » et l’un des derniers chapitres sur son fils en forme de magnifique cantique de désespoir heureux, ou elle explique pourquoi avoir souhaité donner la vie dans ce monde apocalyptique, « Je t’offre le feu de joie de ce qu’il reste sur terre, Dans cette nuit définitive qui subrepticement s’avance (…) Mon fils danse sur le feu.”

L’organisation de son livre, qui reste ambitieux et intéressant, par entrée thématique est aussi une autre bonne idee, ce qui permet de sauter d’un theme a l’autre dans l’ordre qui plait, de butiner, de piocher et revenir a son gré. Enfin elle émaille ses propos de citations de nombreux auteurs dont des plumes féminines plus méconnues qui donnent envie d’en savoir davantage, en particulier Marceline Desbordes-Valmore, Mireille Havet ou Alejandra Pizarnik.

Le probleme majeur réside dans l’exercice délicat de meler littérature/poésie et analyse pertinente de problématiques complexes a la fois sociologique, historique et politique voire philosophique, ainsi que la tentation, parfois, de faire de son expérience personnelle un cas universel meme si elle s’en défend dans son avant-propos. Un écueil qu’avait évité Virginie Despentes avec « King King Théorie » (2006) en n’exprimant rien d’autre que son vecu sans volonte d’englober toutes les femmes, ce qui n’est évidemment pas possible. Plutot que « la femme », « une femme »… [Alexandra Galakof]