Fight Club de Chuck Palahniuk : guérilla de cols blancs anti-yuppie, anti-capitaliste, anti-ikea…

Fight Club adapté du livre de Chuck Palahniuk publié en 1996 (d’abord sous forme de nouvelle, le chapitre 6, à l’âge de 34 ans), puis adapté en 1999 par David Fincher, est devenu culte pour un certain nombre de spectateurs/lecteurs de la génération X ou Y. Le livre qui l’a inspiré très fidèlement reste pourtant moins connu. Son auteur, américain (prononcez son nom « paul-ah-nik »), invente ici un nouveau genre à mi chemin entre la science fiction, la fable philosophique, la farce délirante, le roman noir et l’anticipation sociale. Mais aussi roman d’amour, de fraternité, d’apprentissage… D’une richesse et d’une inventivité hors norme, il donne à voir les impasses de nos sociétés occidentales en imaginant les conséquences extrêmes du « système ». Chaque phrase de ce premier roman, à la fois manifeste libertaire et porte-voix d’une génération, est désormais devenue culte. Chacun peut y trouver un écho et l’interpréter à sa façon. Car c’est aussi cela la force de ce livre : les différents niveaux de lecture et de perceptions qu’il comprend (et qui changent à chaque relecture). Nihiliste, faschiste, nazi, anarchiste, nauséabond, dangereux… : tout a été dit sur ce brûlot. Chuck Palahniuk est « un barge amoral », « un dérangé », « un maître du chaos » a-t-on aussi souvent entendu et s’il était tout simplement extra-lucide ?

Oh Tyler, s’il te plaît, délivre-moi. Délivre-moi du mobilier suédois…

Comment raconter l’histoire de Fight Club ?

Fight Club c’est une histoire dans l’histoire, une tentacule foisonnante, d’apparence brouillonne, sans queue ni tête, et pourtant incroyablement et miraculeusement architecturée du début à la fin.

On peut l’aborder sous de multiples angles et facettes (regardez les résumés retranscrits ici et là et vous n’aurez jamais la même version).

Fight club c’est l’histoire d’un insomniaque, d’un dépressif, parano, hypocondriaque…, qui court de groupe de soutien en groupe de soutien pour cancéreux, séropositifs ou déments… histoire de se frotter à la « vraie douleur », « avoir une expérience vraie de la mort », comme le lui a conseillé son médecin.

Tu as une classe entière de jeunes hommes et femmes forts et solides, et ils veulent donner leur vie pour quelque chose. La publicité les fait tous courir après des voitures ou des vêtements dont ils n’ont pas besoin. Des générations entières travaillent dans des métiers qu’ils haïssent, uniquement pour qu’ils puissent acheter ce dont ils n’ont pas vraiment besoin. Nous n’avons pas de grande guerre dans notre génération, ni de grande dépression, mais si, pourtant, nous avons bien une grande guerre de l’esprit. Nous avons une grande révolution contre la culture. La grande dépression c’est nos existences. Nous avons une grande dépression spirituelle.

C’est l’histoire d’un type qui hait son job, qui se dégoute, en chemise et cravate à faire passer les diapos et fonctionner le rétroprojecteur pour servir ses petites manoeuvres mesquines au nom du dieu profit (il décide de retirer ou non du marché les véhicules défectueux en fonction du coût occasionné au détriment des risques d’accidents et de mort).
C’est l’histoire d’un type, qui étouffe dans sa vie minuscule, morne, étriquée d’acheteur de canapé, de tables basse, de services de couverts ou d’horloge en fer galvanisé…

Quand on ne sait pas ce qu’on veut, on finit par se retrouver avec des tas de trucs qu’on ne veut pas.

C’est l’histoire d’un type anesthésié qui veut se sentir « vivre » et se libérer de l’aliénation sociale et professionnelle qu’il subit au quotidien.
C’est aussi l’histoire de rencontres, d’un amour et d’une amitié violentes et schyzophréniques : celle du narrateur avec la vénéneuse et névrotique Marla aux « cheveux noirs et lèvres pulpeuses ourlées, des lèvres canapé cuir sombre italien » et surtout celle avec Tyler Durden qui deviendra son mentor, son gourou mystique, son double infernal…

« Un jour, je serai mort sans cicatrice aucune, et il y aurait toujours un appart et une voiture vraiment chouettes. » Fight Club, c’est l’histoire d’une implosion personnelle qui finira en explosion à grande échelle, au sens propre comme au figuré, à travers l’invention de clubs d’un nouveau genre : les Clubs de la cogne (Fight club en VO).

Dans un sous sol, des hommes, employé de banque, avocat ou comptable, se « pillonnent », se défigurent et brisent leurs os, sous les régles drastiques de Tyler dont la première absolue et mythique est : « La première régle du Fight cub c’est qu’on ne parle pas du fight club. »

Peut-être que l’amélioration de soi n’est pas la réponse. Peut être que la réponse c’est l’auto-destruction.Autant de coups physiques pour enrayer la trouille de combattre, la peur de dire non à son patron, de quitter son job ou sa femme, de relativiser et trouver une nouvelle lucidité… «  Après une soirée dans un Fight club, tout ce qui est du monde de la vraie vie se trouve atténué, en sourdine. Plus rien ne vous fout en rogne. Votre parole fait loi, et s’il en est qui enfreignent cette loi ou vous remettent en question, même ça, ça ne vous fout pas en rogne. »

Se faire virer, c’est la meilleure chose qui pourrait nous arriver, tous autant que nous sommes. De cette manière, nous cesserions de remuer du vent et nous ferions quelques chose de nos vies. » Derrière cette philosophie aussi provocatrice que jubilatoire, Palahniuk dénonce cette prison dorée, cette injonction matérialiste et financière, dans laquelle nous nous enfermons et nous aliénons volontairement, alors que nous crevons de retrouver notre liberté. « Ce n’est qu’après avoir tout perdu, dit Tyler, qu’on est libre de faire ce que l’on veut. » La violence, le retour au primitif et au physique, devient donc libérateur en ce sens, en brisant les chaînes et limites que notre intellect nous impose. Retour à une forme d’essentiel passant par l’auto-destruction. Simone de Beauvoir, étrangement et de façon fort intéressante, évoque, cette pulsion de violence libératoire propre aux hommes et à laquelle les femmes n’ont pas accès, dans Le deuxième sexe.

L’histoire correspond aussi à une transposition allégorique (et un exutoire) des frustrations -notamment professionnelles- de l’auteur. En effet, à l’époque de son écriture il avait été contraint de prendre un travail alimentaire de mécanicien car ne pouvant vivre de son diplôme et activité de journaliste qui lui rapportait moins de cinq dollars l’heure (voir ci-dessous).

Lire Fight Club c’est donc entrer dans une nouvelle dimension. Palahniuk « explose » tous les schémas. Les schémas de pensée en premier lieu bien sûr en explorant tous les tabous et transgressant les interdits moraux et sociaux (touchant aussi bien à la religion qu’au sexe ou encore à la mort) mais également les schémas narratifs. Impossible de savoir à l’avance ce qui va se dérouler et pourtant l’auteur va nous emmener précisément là où il l’a décidé. Même si le récit semble destructuré, il est en réalité incroyablement construit. Ces phrases parfois hachées qui jouent de la répétition se calent sur les pensées dérangées et les obsessions mentales du narrateur, renforcent d’autant le propos et fascinent le lecteur.

Il y a aussi ses exposés techniques, ultra-précis, sur la fabrication d’une bombe piégée ou du napalm, récités sur un ton didactique-ironique comme des prières pour le salut de l’humanité… Sans oublier ses inventions saugrenues et réjouissantes comme la fabrication industrielle de savon (pour nettoyer les névroses du monde ?) à base de cellulite de cuisses liposucées de riches américaines, vendue à des boutiques de luxe puis devenant ensuite des explosifs… Inventions qui teintent d’un burlesque délirant, inattendu, la noirceur des actes et des personnages. On se surprend même à rire (ce qui était moins le cas du film) !

Bref, Fight Club se lit et se relit toujours avec autant d’admiration, de plaisir et ne cesse pas de nous faire réfléchir sur notre société et nos choix… Comme le dit Tyler : « A toi d’imaginer et de comprendre« … [Alexandra Galakof]

Deux ou trois choses que l’on sait de Fight Club et de Chuck Palahniuk :
Palahniuk a 31 ans quand il publie Fight Club : « Ma vie n’a commencé qu’à partir de mes trente ans, mes vingt ans ne furent qu’une parenthèse… Après le lycée je suis allé à l’université où j’ai décroché un diplôme de journalisme. J’adorais être journaliste, interviewer les personnes, découvrir, organiser, présenter les faits, comme un espion si on veut. Malheureusement à la sortie de l’université les seuls boulots qu’on me proposait étaient payés moins de cinq dollars de l’heure. J’ai donc décidé de laisser tomber et me suis trouvé un job de mécanicien automobile. Ma vie n’avait alors aucun intérêt, c’était toujours la même chose, je travaillais les mains dans le cambouis, je buvais beaucoup, je me battais pas mal…Totalement abrutissant… C’est là que j’ai commencé à écrire Fight Club. J’ai tous ces carnets chez moi, ils sont gras et crasseux. Les premières pages sont toutes recouvertes de notes techniques sur les voitures sur lesquelles je bossais, je devais me cacher. Mais si vous tournez quelques pages vous tombez sur la première version manuscrite de Fight Club…Chaque travail a ses temps morts et moi pendant ces temps morts j’écrivais. »
Il faudra attendre l’adaptation cinématographique (pour certains ‘trop clippesque et graphique’…) du livre Fight Club pour que décollent les ventes du roman à la fois autobiographique et parodique : l’auteur l’avait « pondu » comme une farce après que les éditeurs eurent refusé Monstres Invisibles, son réel premier manuscrit qui sera publié par la suite. « Je voulais montrer des héros disons… marginaux… qui ne ressemblent pas que l’on voit habituellement dans les films hollywoodiens. Des mecs qui ne veulent pas sauver le monde — mais plutôt le détruire… », dit-il dans un entretien du Monde d’Emilie Grangeray.

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