Le « cauchemar climatisé » du bureau vu par les trentenaires : « Bonjour paresse » de Corinne Maier, « Eloge du miséreux » Mabrouck Rachedi, « Morts de peur : la vie de bureau », « Travail, mode d’emploi »…

La « valeur travail » était au coeur de la campagne présidentielle avec le fameux slogan « Travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, elle s’avère aussi au coeur de l’inspiration des auteurs ces derniers mois et même le sujet de philo du bac de la série ES (économique et social) de 2007 s’y est intéressé avec la délicate question : « Que gagnons-nous à travailler ? ».
Une question qui taraude justement la génération des trentenaires entrés (difficilement, crise économique oblige) dans la vie active et vite désenchantés par les conditions de travail et les promesses non tenues par le mirage de l’Entreprise. Il paraît même que « 11% des cadres en CDI sont considérés comme fous », d’après le psychiatre Patrick Laugeon !
Trois nouveaux auteurs ont décidé de s’attaquer à ces désillusions avec plus ou moins de brio…

Chef de file du mouvement, l’économiste Corinne Maier a lancé le premier pavé dans la mare avec son « Bonjour paresse« , grand succès d’édition, paru en en 2004 et vendu à plus de 220 000 exemplaires. Elle osait briser, pour la première fois, de nombreux tabous sur le travail en (grande) entreprise avec un humour cynique qui n’a pas manqué de déranger tout en séduisant par son aplomb (voir article).

Dans son sillage (et sous sa houlette puisqu’elle est devenue, depuis, directrice d’une nouvelle collection « La concierge est dans l’escalier », chez son éditeur Michalon), Mabrouck Rachedi ancien analyste financier multidiplômé (et auteur d’un premier roman « Le poids d’une âme »), publie un essai en forme de pamphlet sur les affres du monde du travail et la vie « dorée » des miséreux au pays de la protection sociale : « Eloge du miséreux ».
Sa théorie ? « Il n’y a pas que le pain dans la vie il y a aussi les roses. » Une vision bien poétique de la vie qui vise à résister à la société du travail et de la consommation et à démontrer que le chomage n’est pas un fléau bien au contraire. Jusqu’ici tout va bien mais cette noble mission s’effectue, non pas en choisissant de travailler moins par exemple (Corinne Maier avait ainsi choisi de travailler à mi-temps) ou de s’adonner à des activités plus humanistes, mais en profitant purement et simplement du système de solidarité sociale. Et devenir ainsi un miséreux heureux de l’être, une sorte de nouvelle race de « privilégié » proche de l’aristocrate dit-il (le fameux « clochard de luxe » en somme). L’auteur raconte donc, par le menu, son expérience de RMIste volontaire faisant tout pour le rester : bidonnage de son CV, fausse lettre de motivation, embobinage de conseiller ANPE, entretien de recrutement ubuesque et autres astuces de radinerie (« chasse au gratuit ») permettant de joindre les deux bouts malgré tout. Bref « un manuel de survie » pour le parfait parasite de la société qui serait un cousin du crevard de Thierry Théolier (qu’il cite d’ailleurs dans l’ouvrage). Il tente aussi de définir une nouvelle lutte des classes en marche (en éludant bon nombre de facteurs en jeu) : « La masse des chomeurs forment une armée de réserve industrielle qui permet de faire pression à la baisse sur les salaires. D’autre part, les bas salaires tirent à la baisse les allocations en vertu du principe que le travail doit rapporter plus que l’inactivité. ce double antagonisme crée des frictions entre plus pauvres qui se rejettent mutuellement la responsabilité de leur précarité« .

Morceaux choisis :
« Avec l’assistante sociale, tout ce qui est vrai avec le conseiller ANPE est encore plus vrai. Habillez-vous encore plus mal car vous devez paraître plus pauvre. Soyez encore plus modeste car vous êtes dans une situation plus modeste. Paraissez avoir mille fois plus de projets car vous en avez mille fois moins. »

La drague du miséreux : « Afin d’éviter des dépenses en chambre d’hôtel le miséreux (retourné civre chez ses parents) « sortira de préférence avec des femmes possédant leur appartement. A ses yeux une femme intelligente, belle, drôle et sans logement vaut moins qu’une femme idiote, laide et ennuyeuse avec logement. Dans cette société de l’apparence où les magazines féminins imposent les canons de beauté, le miséreux fait figure de bol d’air frais. »

« La question est de savoir quelle distance à la vérité le miséreux s’autorisera. A cette jeune fille avenante, il pourra, au plus loin, affirmer qu’il est trader dans une société de bourse anglo-saxonne, au plus près, révéler qu’il a pris quelque distance avec le monde-si-oppressant-du-travail-mais-qu’il-est-sur-un-projet-top secret. S’il a le sens de la fantaisie il s’avouera rentier, ce qui, dans un sens, n’est pas faux. »

« Gagner plus, c’est travailler, hors de question.
Dépenser moins, c’est s’imposer une discipline sans faille, un ascétisme financier absolu ; c’est devenir une barre de fer.
 »

« Etre miséreux c’est être en marge de la société. Etre heureux, cela devrait être réservé aux honnêtes travailleurs. Alors imaginez, être miséreux et heureux, c’est carrément inadmissible ! »

« Une seconde d’inattention et c’est peut-être la catastrophe – le travail – au coin du bois. »

« Le miséreux se passe de montre, les programmes télévisés sont ses cadrans solaires. (…) A côté de lui, les auteurs du « Zapping » de Canal Plus sont des amateurs. »

Dialogue avec un recruteur :
« – Pourquoi avez-vous répondu à notre annonce ?
– Parce que je m’ennuyais / parce que le conseiller ANPE me l’a ordonné / parce que c’était à la page sport de mon journal préféré.
– Quelles sont vos prétentions de salaire ?
– Un million d’euros en petites coupures non marquées déposées sur un compte off shore aux Caïmans chaque mois.
– Quel est votre plus grand défaut ? Votre plus grande qualité ?
– Ma plus grande qualité : ma puissance de travail. Mon plus grand défaut : ma mythomanie ».

« N’avez-vous pas peur de vous ennuyer à ce poste ?
– J’aurais plutôt peur de m’intéresser à ce poste, ce serait la déchéance !
 »

Certes, l’auteur se veut avant tout provocateur mais son humour peut rester sur l’estomac en particulier pour les petites mains qui triment du matin au soir pour une bouchée de pain et qui cotisent justement pour permettre à l’Etat de verser ses RMIs et autres aides à ceux qui ne peuvent vraiment pas faire autrement. De plus son raisonnement en faveur de la qualité de vie et du temps libre débouche lui-même sur une impasse idéologique : il prône « une société qui se mettrait au service de l’individu au lieu de l’inverse » mais la société est justement composé (d’une somme) d’individus qui, s’ils adoptaient tous ce mode de vie, n’auraient tout simplement personne pour les « servir »…

Dans la lignée de Sophie Talneau, auteur de (« On vous rappellera : Une Bac + 5 dans la jungle du recrutement », best-seller désormais disponible en poche et également auteur depuis février 2007 de « La working girl : petite chronique de la vie de bureau« ), la trentenaire Géraldine Sivade (né en 1970) dresse dans « Travail Mode d’emploi », un compte-rendu chronologique des ses différentes expériences « du travail » depuis l’âge de 15 ans : depuis ses petits jobs d’étudiante (serveuse en cafétéria, caissière d’une supérette, vendeuse de viennoiseries) jusqu’au « vrai premier poste » en l’occurence un poste de lectrice à l’université de Fribourg. En France, aux Etats Unis et en Allemagne. C’est donc une succession de descriptifs de ces (nombreux !) postes, petites annonces, entretiens de recrutement, démissions/licenciements et de tranches de vie professionnelles qu’elle livre dans ce court essai qui se veut polémique (collection « Agit’ prop » de L’Altiplano).
Elle y dénonce notamment les mesquineries et ingratitudes des patrons, les collègues revêches, les heures sup’ non payées, le manque de respect qui entraînent une chute sèvère de sa « cote de motivation »… En fil rouge de sa trajectoire en dents de scie, c’est la précarité dont elle souffre qui revient régulièrement. Si son discours et ses arguments n’ont rien de nouveau, ce récit peut néanmoins être intéressant en tant que témoignage sur les désillusions professionnelles de sa génération. Son humour cynique peut aussi à l’occasion faire sourire même si la forme choisie reste assez indigeste…

Morceaux choisis :
« Vous sollicitez l’aide du petit manager pour ouvrir un nouveau pack de glace. Il vous fait remarquer, avec beaucoup de justesse, que « ça ne sert à rien de faire des études si on n’arrive pas à ouvrir un pack de glace. »

« Vous daignez bien traiter sa demande (non pas parce que le client est roi mais parce que votre chef est encore là !) »

« Lui se penche d’un air dédaigneux, sur votre CV et vous demande ce que vous avez fait de septembre à juillet, le trou béant dans votre CV que vous n’avez pas pu combler.
– J’écrivais un livre (ne vous déplaise).
Il vous toise, son regard condescendant a tout l’air de vous dire :
– Vous écriviez, j’en suis fort aise, eh bien dansez, maintenant !
 »

« La question n’est pas de savoir si vous pouvez travailler dans des conditions de stress, mais si vous aimez travailler dans des conditions de stress. »

« Après 7 ans de parcours professionnel, vous êtes presque retourné à la case départ (mais vous ne passez pas par la case départ, vous ne recevez pas 20 000 francs. »

« Ni pauvres ni riches. Ni heureux ni malheureux. Ni soumis ni révoltés. Ni vils ni nobles. Ni pro ni anticapitalistes. Nous voilà, les salariés, les cadres (trentenaires, ndlr), vaste armée démobilisée et sceptique attendant, sinon le Grand Soir, au moins le soir. », ainsi parle Teodor Limann (nom d’emprunt), polytechnicien de 32 ans et déjà une brillante carrière derrière lui, entre cabinets de consultants prestigieux et directions financières de grands groupes. Et joint une voix supplémentaire aux cahiers de doléances des cadres trentenaires désenchantés, « bataillons de diplômés surentraînés, prêts à tout pour échapper au costume-cravate et n’être jamais directeurs de riens » : « La lenteur et l’ennui sont l’essence même de la vie-de-bureau. En franchissant chaque matin le portillon du hall d’entrée, chaque salarié pénètre dans un autre espace où le temps est dilué, les heures engourdies, les événements et les émotions atténuées. » Malheureusement, Corinne Maier, encore elle, a déjà tracé son sillon sur ce thème et il marche ici sur les même plates-bandes, sans y apporter de nouvelles fleurs…

Il re-développe donc bon nombre des mêmes idées dans un esprit se voulant « décapant et humoristique » : le marketing de soi qui prime sur les compétences, l’hypocrisie des cadres surbookés dans les grandes entreprises, les tics sémantiques et autre jargon corporate (synergie, optimiser… ), les abréviations ridicules et autre appellations par ses initiales. « Certains pensent par bullet point, énumèrent, enchaînent et subidvisent comme si leur espace mental fonctionnait sous Powerpoint. » Il pointe aussi la dimension intangible du travail du cadre, la difficulté à identifier et à reconnaître sa contribution. Si sa thèse sur la notion de « sacrifice » est intéressante, certains de ses raisonnements apparaissent vraiment simplistes comme ceux sur la concurrence.

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4 Commentaires

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  1. J’ai lu "Bonjour paresse" de Corinne Maier: un peu d’humour et beaucoup d’ennui (lorsqu’on arrive en page 50, on a déjà lu 1000 fois que travailler ne sert à rien.)

    "On vous rappellera" est moyen. Surtout que l’auteur/naratrice est visiblement un peu nunuche. Sortir d’école de commerce et ne pas connaître le Système Toyota…

    J’ai lu aussi un livre sur l’ANPE (dont j’ai oublié le titre) signé Fabienne Brutus (conseillère ANPE.) Très instructifs, mais un peu trop orienté politiquement.

  2. On va revenir sur le cas "Bonjour paresse", qui incite plus à s’investir dans d’autres formes de travail qu’une véritabble paresse finalement.

    Je n’ai pas lu, pour ma part le Talner mais j’avais l’intention de le découvrir par curiosité tout de même…

  3. Bonsoir la compagnie,

    je ne suis pas tout à fait d accord avec les critiques du livre de Teodor limann "morts dee peur". Ce livre m a fait rire, il est frais, très bien écrit, par un auteur que je présume modeste. Ce midi, je suis passée à la fnac de la défense, il se vend comme des petits pains auprès des jeunes cadres comme des pingouins en mal de banquise. Je vous trouve un peu dur avec ce jeune auteur polytechnicien qui m a plutot l air sympa et franc.

  4. Bonjour j ai vu un article dans france soir sur le lui, et après l’avoir lu, je vous conseille vivement le dernier opus de "Tonvoisin", une petite merveille comme chacune de ses productions décalées et qui vient de paraitre chez Privé (michel lafon) "travailler moins gagner plus" c’est l’auteur mysterieux du best seller "travailler avec des cons" et "vivre avec des cons"qui peut aussi drôlement aider dans certains contextes
    Son blog est par la, son nouveau livre est juste incontournable et delicieux
    http://www.travailler-moins-gagn...

    La bise

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