Blondes… MAIS écrivains : De Marilyn Monroe (« Fragments ») à Nelly Arcan (« A ciel ouvert »)

Contre toute attente, l’auteur phare de la rentrée littéraire 2010 aura peut-être été celle dont on ne soupçonnait même pas qu’elle sache tenir un stylo : Marilyn Monroe ! On s’est arrachés ses « Fragments » de poésie, de lettres et autres bribes intimes posthumes. Et tout le monde de s’étonner, de s’exclamer : « La plus belle femme du monde était aussi intelligente« .
L’incompatibilité d’un quelconque talent ou au moins sensibilité intellectuel(le), littéraire et de la beauté, du sex-appeal (surtout féminin): un préjugé toujours bien ancré dans les mentalités, même 50 ans plus tard… Pourtant une idiote n’aurait pas pu avoir la carrière de Marilyn, quelle que soit sa plastique. Autre blonde, autre suicide -au même âge : 36 ans-, celui de Nelly Arcan , l’an dernier, en septembre 2009. Elle n’était pas actrice mais bien écrivain même si elle aura dû batailler pour en obtenir la reconnaissance. Trop belle, trop photogénique… Le poids écrasant du physique était justement au centre de son œuvre qu’elle n’a eu de cesse de décrire avec virtuosité, n’ayant jamais de mots assez forts pour condamner cette « cage » ou cette « burqa de chair » dans laquelle elle périssait, mais qu’elle cultivait aussi paradoxalement. Tentons de rapprocher ces deux icônes blondes, d’autant que la seconde évoquait la première dans son avant-dernier roman « A ciel ouvert » :

« C’était ça le grand plaisir de l’existence : être adulée »

Dans son roman A ciel ouvert, un triangle amoureux et urbain à Montréal, un drame en 3 actes, Nelly Arcan met en scène un véritable duel de femmes pour la conquête d’un homme. Mais assez vite, on réalise que cette lutte dépasse son enjeu apparent. Ces femmes luttent en réalité avant tout pour qu’à la question éternelle « Miroir, miroir, dis moi qui est la plus belle ? », ce soit leur nom qui soit répondu… Et pour rester la plus belle c’est une véritable guerre qu’elles se livrent entre elles mais surtout à leur propre corps. « Elles étaient belles de cette volonté féroce de l’être« , décrit Arcan à leur sujet. Une beauté construite dans les privations, (…) la torsion du corps soumis à la musculation, à la sudation à la violence de la chirurgie, (…), abandons d’elles-mêmes mises en pièce par la technique médicale, par son talent de refonte.« 
Une beauté fabriquée dans l’effort et la souffrance et conforme à certains critères (des lèvres enflées « en fruit de magazine » et les seins « d’une rondeur fermer, hauts accrochés ») établis par les hommes. Plus précisément par « l’érection des hommes, pôle absolu de toute société humaine » va jusqu’à écrire Arcan. C’est une beauté de bimbo tout entière soumise au désir de l’homme que cherchent à atteindre ces femmes et dont se moque, avec un humour glacial Arcan à travers par exemple les répliques de ses héroïnes sur leur plastique retouchée (« Tu as l’air bien. Tu ne manques pas d’argent à ce que je vois« ).

L’écrivain excelle à décrire et analyser cette beauté artificielle : cet « acharnement esthétique qui recouvre le corps d’un voile de contraintes tissé par des dépenses extraordinaires d’argent et de temps, d’espoirs et de désillusions toujours surmontés par de nouveaux produits, de nouvelles technologies, retouches interventions qui se déposaient sur le corps en couches superposées, jusqu’à l’occulter. C’était un voile à la fois transparent et mensonger qui niait une vérité physique qu’il prétendait exposer à tout vent, qui mettait à la place de la vraie peau une peau sans failles, étanche, inaltérable, une cage. » On est aussi saisi par sa description de la salle de gym transfigurée en orgie de corps, faite de « solitudes affairées » dans ses jeux de miroirs et de mouvements mécaniques. Un roman aussi effrayant que fascinant… L’auteur pousse sa logique d’obsession du corps jusqu’à la fascination pour la chair mutilée, boursouflée, modifiée par le bistouri, s’incarnant dans les fantasmes du photographe Charles. Ce désir névrotique pourra aussi rappeler celui du trouble Vaughan, héros de Crash (J.Ballard) qui se masturbait devant des corps accidentés.

« (…) elle comprenait que le sexe était au centre des êtres, le cœur de toutes les ambition« 

Ces femmes ne vivent que dans l’espoir d’exister aux yeux des hommes, d’être remarquée par eux, aimée et même « adulée » comme le confessera l’une des deux, Julie, alors qu’elle s’entraîne frénétiquement dans sa salle de gym en écoutant « Meneater »…
L’analogie avec Marilyn, précurseur de cette beauté de pin-up soigneusement construite pour plaire aux hommes, surgit assez spontanément à l’esprit en lisant les réflexions de ces héroïnes. Et lorsque la blonde platine Julie se désole encore de voir repousser ses racines foncées et donc de voir « son aura sexuel » dimuné, on pense encore à la star des hommes préfèrent les blondes qui selon la légende guérissait ses coups de blues avec des teintures être encore plus blondes… Anecdote symbolique s’il en est…


Nelly Arcan dans son appartement de Montréal en septembre 2009, peu de temps avant son suicide (photo de G.Simoneau)

Les héroïnes (doubles) de Nelly Arcan comme dignes descendantes de l’actrice, dans ses excès poussés encore ici à l’extrême grâce aux progrès de la chirurgie esthétique. L’auteur y a aussi songé puisqu’elle la cite à plusieurs reprises dans ses pages : « c’était comme le désir de mort de Marilyn Monroe (…) N’être rien et la peur qui vient de cette possibilité, c’était ça l’insupportable, au delà de n’être plus baisable (…) : n’être rien était pire qu’être mort se disait Julie, à travers Marilyn. »
A un autre moment une phrase de Marilyn ne cesse de hanter l’esprit de Julie : « Aimer quelqu’un c’est lui donner le pouvoir de vous tuer« .
Rose, Julie et Marilyn partagent ce même rapport violent à leur image qui les mène naturellement à la folie, à l’idée de mort…
Nelly Arcan pointe d’ailleurs avec justesse un des travers de notre société sur le suicide des jeunes-femmes belles : « Pour les hommes, comme pour les femmes d’ailleurs, la beauté des femmes était incompatible avec l’échec, la folie, le malheur ; il était inconcevable que les belles femmes puissent mourir jeunes ou qu’elles se suicident, simplement parce qu’elles étaient belles ; il leur était intolérable qu’elles se détruisent, intolérable que leur beauté soit endommagée par elles-mêmes, enfin que cette beauté ne soit pas une ressource naturelle, un bien public protégé par des lois. Dans cette perspective très répandue, seules les femmes ordinaires ou laides pouvaient échouer, se suicider ou être assassinnées, avaient droit au désespoir parce que leur déchéance devenait compréhensible (…) : tout ce qui dérogeait à la beauté, chez les femmes, même juste un peu, tombait dans un no man’s land. »

Il faut aussi remarquer certains passages du livre, imprégnés d’une aura baudelairienne. On pense aux vers du rêve de pierre qui hait le mouvement déplaçant les lignes ou encore à La charogne (en particulier lors de la scène où Charles le photographe contemple horrifié la photo d’une adolescente, perçoit à travers sa « beauté étanche et lisse », sa pourriture, au bord de la désagrégation).

Ce qui frappe dans ce réquisitoire aussi bien contre les femmes (des « chiennes ») que des hommes (les tortionnaires finalement) c’est qu’Arcan, à l’instar de son personnage Julie (scénariste), était une femme de lettres, une intellectuelle diplômée en sciences humaines et en littérature, mais qu’elle ne parvenait pas, malgré cette richesse intérieure, à s’affranchir de l’apparence extérieure. Elle y restait cantonnée, volontairement enfermée alors qu’elle disposait de bien d’autres ressources pour s’exprimer exister et être remarquée (comme elle y aspirait tant).

Contrairement justement à une Marilyn qui a toujours souffert de son manque d’éducation et qui n’a eu de cesse de se cultiver et d’apprendre. Dans ses « Fragments », c’est d’ailleurs ce qui prédomine, cette volonté de s’en sortir, d’être « sauvée » par son travail, son attachement à son professeur d’art dramatique Lee Strasberg, ses projets professionnels (comme la création d’une maison de production indépendante)… La question de son physique est très peu abordée dans sa prose, hormis un beau passage où elle n’ose croiser le reflet de son miroir, de peur d’y voir la tristesse de ses yeux (elle y compare ses vaisseaux à des rivières et ses cheveux à des serpents). La cause de son désespoir est davantage de ne pas être à la hauteur -intellectuelle- des proches qu’elle admire, à commencer par son époux, Arthur Miller, que de s’inquiéter de sa silhouette ou de son maquillage.
Dans ce livre, amplement commenté (on trouvera dans le magazine Transfuge de ce mois-ci, les analyses d’une pléiade d’auteurs dont François Bégaudeau, Philippe Forest, Yannick Haenel, Maylis de Kerangal, Yann Moix…), elle fait preuve de quelques fulgurances poétiques en particulier ses « haïkus » sur ses promenades nocturnes dans la ville où elle compare les immeubles à des squelettes ou encore son poème sur les ponts qui la rattachent à la vie malgré elle. On est néanmoins loin d’une Sylvia Plath (à laquelle on pense toutefois, en particulier lors de son séjour psychiatrique), et l’intérêt littéraire reste limité. L’ouvrage ravira néanmoins les fétichistes de l’actrice mythique… [Alexandra Galakof]

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6 Commentaires

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    • Ivan sur 8 novembre 2010 à 19 h 10 min
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    Petit détail : Marilyn était une fausse blonde (en gros, une brune qui se teignait)…

  1. oui, comme Nelly Arcan du reste (voir l’extrait que je cite sur son héroïne et ses racines brunes qui repoussent…) !
    C’est bien ce qui m’intéressait dans ce parallèle, cette idée de la beauté construite, fabriquée (cf:extrait du roman de N.Arcan) dont Marilyn a peut-être été l’une des premières ambassadrices/ »specimens » puisque elle avait aussi eu recours à la chirurgie esthétique…

  2. Elles sont toutes deux bouleversantes, toutes les deux ont connu un passé de prostitution, et toutes les deux ont peut être été abusées dans leur enfance. Ce qui explique aussi cette blessure, cette profondeur, qui nous touchent tant. Un bel article le Buzz.

  3. @Alexandra, les photos de MM à 16 ans ne me paraissent pas différentes de celles ou elle apparaît plus adulte. La coloration et le maquillage, la perte naturelle des petites joues d’adolescente, raison suffisante selon moi. Je ne crois pas trop aux thèses de la chirurgie esthétique du nez de Marilyn, de son menton. Il ne faut pas oublier que les premières opérations du nez en 1940 se voyaient beaucoup, étaient assez loupées dans l’ensemble. Quant au menton, cela aurait été un risque énorme de déformation du visage.
    http://www.students.stedwards.ed...

  4. Merci.
    Par contre je ne connais pas les détails techniques, c’est plus l’aspect symbolique et littéraire qui m’intéressait ici… 🙂

    • Marie-Antoinette sur 17 novembre 2010 à 4 h 43 min
    • Répondre

    JE NE CROIS PAS QUE CES DEUX BLONDES PEUVENT SE COMPARER. Marilyn nous éblouissait par un charisme exeptionnel, elle fût détruite par la machine à faire des stars donc des profits. Je la mettrais dans la catégorie d’ Elvis Presley, détruit par le star system américain, Nelly est tout le contraire, elle est observatrice de notre époque et s’ est détruit par elle-même en essayant d’ aider les autres, J’aime la construction du livre de Fragments, ils sont vrais tout comme Marilyn voulait être. ses expériences sont plausibles et son secret à peine dévoilé. Merci pour cette discrétion. Bravo

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