Amour, prozac et autres curiosités de Lucia Etxebarria: Madrilènes au bord de la crise de nerf

« Amour, prozac et autres curiosités » de Lucia Etxebarria, l’univers de l’impétueuse écrivain espagnole est souvent résumé par l’adage « Sexe, drogue and rock’n roll ». Il est vrai que l’auteur, post-movida, née en 1966, journaliste, scénariste, biographe de Kurt Cobain et de Courtney Love et distinguée par les prestigieux prix Nadal et Planeta, possède une liberté de ton qui détonne. A la fois déjantées et extralucides, ces héroïnes trentenaires naviguent (et se noient parfois) dans les milieux branchés, aisés ou interlopes de Madrid, non sans rappeler l’univers d’Almodovar, à qui elle est souvent comparée. Alors que la romancière publie son cinquième opus « Un miracle en équilibre », « Amour, prozac et autres curiosités » (1997) reste le plus réussi, sorte de version pop-furieuse de Bridget Jones…

« La vie devrait être comme une éphéméride. Tous les jours on devrait pouvoir en arracher une page pour en commencer une autre en blanc. Mais la vie est comme une couche géologique. Tout s’accumule, tout compte. Toute chose a une influence. Et l’averse d’aujourd’hui peut annoncer le tremblement de terre de demain.« 

Ce roman à trois voix met en scène trois soeurs aux personnalités -en apparence- radicalement opposées. Un prétexte romanesque classique qu’elle parvient à transcender pour livrer trois superbes portraits de la féminité moderne, sur fond d’Espagne branchée et électrique. Christina, la petite dernière, belle et rebelle, a délaissé sa brillante carrière dans la communication pour un job de barmaid où elle enchaîne trips d’ecstasy et sexe intense. Rosa, l’aînée, bardée de diplômes, travaille douze heures par jour et s’abrutit de chiffres pour mieux oublier son désert affectif (« Les prophètes de malheur disent qu’à 30 ans, il est plus facile qu’une bombe vous tombe dessus plutôt qu’un homme.« ), enfin Ana, desesperate housewife, étouffe dans sa maison façon « Elle décoration » et sa vie de couple naphtalinée…

Incapables de se comprendre ni même de communiquer, chacune se mure dans ses lubies et tente de mener sa barque sans sombrer. Mais la tempête guette… Les chapitres rapides et rythmés, sous la forme originale d’un abécédaire, dévoilent leurs tensions, les non-dits, les jalousies refoulées, les frustrations, les regrets et les complexes jusqu’à l’explosion finale. Une véritable corrida des sentiments et du désir où l’on s’identifie au fur et à mesure à ces trois attachantes trentenaires, dépourvues de tout manichéisme. Leur éducation sentimentale se dessine petit à petit sur fond du puritanisme catholique de leur enfance.

Loin de toute mièvrerie, l’écriture directe et nerveuse de l’auteur se fait tour à tour violente, tumultueuse ou désesperante comme Ana qui résume « La vie en général est comme la queue au supermarché : lente, pas pratique et pleine de gens insupportables » ou Rosa, emmitouflée dans son luxueux manteau en chameau, observant des junkies dans la rue : « Ici dorment ceux qui n’ont pas eu le courage de se lever, enveloppés dans un amas de couvertures sales, blottis les uns contre les autres, les os transis d’humidité. Il ne se soucient pas de l’avenir, de l’eau chaude, des draps propres ou de la télévision. (…) Et je me dis Rosa, je crois que ce qu’ils font de leur vie n’est pas pire que ce que tu as fait de la tienne.« 

Et parfois crue : « C’était la première fois que je baisais depuis un mois, la première fois depuis la catastrophe. Je me sentais seule, désespérément seule, affamée de tendresse, avide de câlins et de caresses, avec l’ardeur vorace et animale d’un piranha. Est-donc si étrange ? Nous avons tous besoin que quelqu’un nous prenne dans ses bras de temps en temps. Je n’attendais pas grand chose, d’accord, mais je n’étais pas préparée à une telle déception. Tout d’abord elle était minuscule…« 
Sans jamais se départir de son humour aussi pimenté qu’un gaspacho !

A travers une construction originale et parfaitement maîtrisée (abécédaire et alternance des troix voix), Lucia Etxebarria s’échappe des stéréotypes pour restituer une fresque contrastée des désirs et des paradoxes d’une génération féminine qui tente de trouver son équilibre, d’aimer, de travailler en restant libre, de ne pas trahir ses idéaux. A noter que le film, adapté du roman par le réalisateur Miguel Santesmases, est sorti en 2000 en Espagne et 2002 en France avec notamment à l’affiche Guillaume Depardieu.

Dans son quatrième roman « Aime-moi, por favor ! » (2005), la senora, fervente féministe (et ex-femme battue), s’aventure vers des histoires plus engagées au travers de 15 nouvelles, quinze polaroïds sur la condition féminine au XXIe siècle. Ici, elle poursuit ce qu’elle fait de mieux : raconter des vies. Comme on appose des empreintes digitales : pour ce qu’elles ont de commun et d’unique.
Particularité : ces récits sont tous fondés sur des histoires vraies que l’écrivain a recueillies au cours d’enquêtes de Madrid à San Sebastian…
A travers les destinées d’une prostituée, d’une victime d’inceste, d’un viol, d’une mère-célibataire, d’une actrice névrosée, elle dissout, sans jamais verser dans le pathos, nos dernières illusions d’amour-conte de fée, et combat le culte de la dépendance amoureuse. « Mes personnages sont des héroïnes du quotidien. Confrontées à des situations extrêmes, elles essaient de sortir de leur condition pour ne plus être cantonnées à une posture de victimes. » résume t’elle.

La nouvelle Cinquante pas est particulièrement émouvante : elle retrace le quotidien d’une prostituée qui passe des heures à faire 50 pas dans un sens puis 50 pas dans l’autre, sur le trottoir « pour éviter de se faire prendre par la Police et « rester dans son secteur » où elle peut demander 25€ et non 10 ou 5 comme d’autres filles « d’autres secteurs »… Et qui porte au doigt une bague laissée par un client sur un chevet d’hôtel. Ou encore dans Mal accompagnée où Natalia, avocate aisée, décide brusquement de quitter son mari quand elle se rend compte qu’ « elle ne vit pas la vie qu’elle désirait vivre, elle ne veut pas faire partie de cette race de femmes, qui comme sa mère, n’ont jamais connu la magnitude exacte de l’amour et du plaisir, elle ne veut pas continuer de participer à cette stupidité qui sacrifie des vies et des destins à des conventions absurdes, passant de l’amour à la tendresse, de la tendresse à la pitié, de la pitié au ressentiment.« 
Tandis que Lola, actrice vieillissante qui n’a jamais su faire « la différence entre amour et désir » réalise qu’elle « n’était personne sans les autres, personne par elle-même. »

Récemment, en mars 2006, elle récidive avec un nouveau roman Un miracle en équilibre et décape la maternité avec son humour au vitriol habituel. Le ptich ? Qu’arrive t’il à une trentenaire, ancienne rebelle gothique aimant les paroles des tangos et la mystique de l’ivresse, lorsqu’elle devient mère ? Comment vit-elle ce que les matrones espagnoles appellent un « état de bonne espérance » ? Qu’est-ce que faire un enfant, s’interroge Etxebarria, dans un monde où « la taille des seins féminins est inversement proportionnelle au quotient intellectuel des hommes que l’on attire grâce à eux » ? Après Eliette Abécassis (auteur d' »Un heureux évènement »), le discours perd, toutefois, un peu de sa fraîcheur, même si le style est indiscutablement incomparable.

Voir aussi la chronique de Cosmofobia
+ un article avec extrait de son dernier ouvrage « Je ne souffrirai plus par amour »

Retour au dossier « Les nouvelles amazones littéraires… Place aux filles »

Lucia Etxebarria possède un site où elle tient en journal (idéal pour réviser son espagnol !). Une longue interview (dans la rubrique Quien es Lucia Etxebarria ?) explore les coulisses de la création d' »Amour, prozac et autres curiosités ».

4 Commentaires

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    • La Roja sur 17 juillet 2006 à 9 h 03 min
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    Lucia est une top écrivain même si ces romans se suivent et se ressemblent un peu trop à mon gout.
    Elle a vraiment quelque chose en plus, nos écrivaines françaises devraient en prendre de la graine!
    Ces personnages sont plus profonds qu’il n’y parait et surtout très émouvants. On ne s’esclaffe pas à chaque page mais on s’attache à chacune d’entre elles, on les plaint et on se reconnait un peu aussi dans chacune. Au depart, j’avais peur des clichés mais en fait non, elle parvient à les rendre toute crédibles même dans leurs excès. Je suis pour : il faut vraiment la decouvrir. Pas de déception à l’arrivée !

    • Décevant sur 11 août 2006 à 11 h 42 min
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    J’ai eu envie de me faire mon opinion sur ce best seller espagnol qui ne m’a pas convaincu en réalité… Je ne me suis pas attachée aux protagonistes dont les zones d’ombre les rendent insaisissables. C’est un flot de paroles, de souvenirs, de pensées qui déferle sur le lecteur sans que jamais rien ne se passe vraiment. Le style est pourtant varié et bien différent d’une soeur à l’autre mais il manque définitivement de l’action (même pas de clash entre les soeurs qu’on attend pourtant). Seul le dernier chapitre est réellement réussi, ce qui fait qu’on finit sur une note positive ttout de meme.

    • maya sur 22 février 2008 à 20 h 42 min
    • Répondre

    une top écrivain j’ai adoré

  1. Un livre dans lequel on se plonge volontier et dans lequel on se reconnnaît toujours dans l’une des protagonistes. Une écrivain que j’aime beaucoup et je lis volontier ces autres livres que je conseil "Je ne souffrirai plus par amour".

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