Dossier « Ados terribles » : les romans de la nouvelle « génération perdue »

Bad trips, errances urbaines, désillusions, passions amoureuses, ruptures familiales, désoeuvrement, fuite éthylique, paradis artificiels, crises, complexes, mal de vivre… : le « teen novel » (ou « roman d’adolescent » en français), comme le surnomme les américains, est devenu un genre à part entière. Il nous plonge au coeur des tourments et émois à la fois violents, émouvants et emprunts de tendresse de cet âge fragile et fascinant.

Signe particulier du « blé en herbe » version XXIe siècle : plus que jamais en manque de repères et désenchanté, il bouillonne, refuse les compromis et les régles sociales, exhalant parfois un parfum subversif ou sulfureux. Les bluettes romantiques et la légéreté façon « Grease » ont définitivement trépassé… La perte de l’innocence a un goût de souffre, de sang et de trash. Mais derrière la noirceur et le désespoir affleurent toujours une infinie tendresse et une quête de sens, de vie lumineuse. Une « génération perdue » certes, mais qui cherche son chemin…avec obstination et idéalisme.

A mi chemin entre le journal intime et le témoignage à bout de souffle, entre Trainspotting et Larry Clark, Kurt Cobain et Radiohead, ils se lisent comme des cris du coeur, des fièvres ou des uppercuts… De leur côté, les trentenaires ont la nostalgie de leur adolescence, de ses instants de grâce et de liberté absolue. Après Nicolas Rey (« Un début prometteur »), Christian Authier (« Enterrement de vie de garçon », « Les liens défaits… ») ou Virigine Despentes (« Teen spirit », « Bye-bye Blondie »…), Florian Zeller, le grand attendu de la rentrée littéraire 2006, livre dans son roman « Julien Parme », le récit d’un ado de 14 ans, incompris de ses parents qui décide de partir « pour vivre les nuits de l’adulte qu’il n’est pas encore ». Le thème et le ton employé rappellent inévitablement le « Holden Caulfield » de Salinger, qui décidément inspire toujours et plus que jamais les jeunes auteurs comme en témoigne notre sélection. Avec plus ou moins d’originalité…
Ce dossier est plus particulièrement dédié à nos plus jeunes lecteurs qui apparemment, sont plus nombreux que prévu (et c’est tant mieux !). Bonne lecture !

[ SOMMAIRE ]

Ames sensibles s'abstenir !

On pourrait craindre la caricature ou la provoc’ facile mais ces brûlots, d’une nouvelle génération d’auteurs, vertigineusement jeunes, se révèlent sensibles et subtils, révélant les peurs et espoirs d’une génération en manque de repères, cédant parfois à l’extrême…

Vodka-Cola, par Irina Denejkina
Qualifiée par la presse de « porte-parole de la génération post-Perestroïka » et de « chef de file de la littérature Pop en Russie », la jeune fille possède, sans conteste, une voix entêtante et un art pour croquer l’ambiguité des relations et des sentiments… Et les rendre universels… Lire

Polococktail party, par Dorota Maslowska
On approche ce livre avec beaucoup d’a-prioris… Ce brûlot réserve en réalité une bonne surprise et rappelle le chef d’oeuvre de Salinger « L’attrape coeurs » dans une version anti-ruskoff et hallucinogène. Sous la forme originale d’un monologue intérieur, Maslowska alterne avec une étonnante dextérité les moments de désespoir, de rage et de candeur de son narrateur… Et parvient à se glisser avec une remarquable justesse dans la peau d’un jeune banlieusard du littoral de la Baltique. Un exercie de haute voltige relevé haut la main ! … Lire

Serpents et piercings, par Hitomi Kanehara : Fuir le mal psychique par la douleur physique – COUP DE COEUR
Digne héritière de son aîné Ryû Murakami (qui la plébiscite), la jeune romancière Hitomi Kanehara est devenue en l’espace de trois romans, une star littéraire au Japon, et la nouvelle chef de file de la culture nippone underground. Agée seulement de 20 ans, son premier roman, Serpents et piercings (écrit à 19 ans), lui a valu le prix Subaru, puis, plus tard dans l’année, le plus prestigieux prix littéraire japonais, le prix Akutagawa (équivalent du prix Goncourt) ! Elle explore dans ce roman trouble les rapports entre plaisir et douleur, et toute la symbolique qui sous-tend ses actes de barbarie que s’infligent une certaine jeunesse tokyoïte… Lire

Twelve, par Nick McDonnell : Génération « Upper East side » en perdition…
La critique s’est empressée d’en faire un auteur tendance, le comparant à Brett Easton Ellis. Même si le sujet n’est pas novateur, si l’on aime les romans un peu crus qui décrivent les dérives de la jeunesse américaine dorée qui deale pour gagner plus, qui prend de la « Douze » (drogue de synthèse) dans des fêtes orgiaques où les filles sont sexys et audacieuses, on ne sera pas déçu à la lecture de Douze… Lire

« Sang et stupre au lycée » de Kathy Acker, le conte cauchemardesque et punk d’une adolescente damnée
Loin d’être un livre sur l’obscénité ou la pornographie, Kathy Acker décrit plutôt, dans cet ovni littéraire et graphique, livre culte dans la lignée du Festin nu de Burroughs, le désarroi, la détresse de la jeunesse face à un avenir sinistre et l’abandon affectif. C’est avant tout une quête extrémiste d’amour, de bonheur et de sens.
D’une pureté poétique et hallucinée… Lire

Les trentenaires se souviennent de leur adolescence :

« Enterrement de vie de garçon », par Christian Authier
« Tel le ciment, la jeunesse sèche vite et les empreintes accidentelles qu’elle aura reçues deviendront des cicatrices ». On n’échappe jamais à sa jeunesse. « On ne guérit pas de son passé », nous dit Christian Authier, journaliste et critique toulousain pour le Figaro dans son premier roman paru en 2004. Certains tentent d’avancer vite, de ne pas se retourner et d’autres, comme son narrateur (son double ?), ne parviennent pas à s’en détacher, à « enterrer leur vie de garçon ». Un joli jeu de mot qui préfigure toute la subtilité qui règne dans ses pages…. Lire

« Un début prometteur », par Nicolas Rey
Nicolas Rey a toujours cultivé au fil de ses romans une tendre nostalgie pour son adolescence. Il dit d’ailleurs : « Je suis resté scotché à 14-15 ans. Comme si c’était le seul âge qui vaille la peine. », ou encore « L’adolescence c’est un coup de feu qui résonne longtemps. Adulte, on comprend que cela ne sert à rien de foncer dans le mur alors on s’y adosse, on fume une cigarette et on voit venir. » … Lire

« Julien Parme », par Florian Zeller
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« La maison rectangulaire », par Héléna Villovitch
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Les pionniers

Les romans culte de l’adolescence en perdition :
L’attrape-coeurs de J.D Salinger : A quoi tient la magie d’Holden Caulfield ?
Mais quel est le secret de ce mystérieux livre culte, vendu à plus de 60 millions d’exemplaires et qui a ouvert la voie à toute une nouvelle littérature ? Une « grande histoire », un « souffle historique », une « vision du monde », un « engagement politique »… ? Non, « juste » l’histoire d’un gamin…Un gamin un peu paumé et déprimé à quelques jours de Noël, un ado de 16 ans qui vient de se faire virer pour la énième fois de son collège et qui décide de fuguer parce qu’il en a marre de tout ça et d’eux surtout… Lire
Le dossier Rachel, par Martin Amis : « Chute libre vers la virilité »
Premier roman de l’enfant terrible des lettres anglaises, il retrace l’entrée dans l’âge adulte d’un héros de vingt ans admis à Oxford à la fin des années 1960. Au centre de l’oeuvre, le récit d’une initiation sexuelle et amoureuse… Lire

Teen-blogs : Les blogs littéraires (et pas boutonneux) des ados du web
Les adolescents écrivent, griffonnent tantôt avec rage, tantôt avec douceur, mélancolie ou bonheur. Internet est leur nouveau terrain de jeu, leur nouveau tableau noir qu’ils criblent et tagguent de leurs révoltes, de leur ennui existentiel, de leur rage contre leurs profs, parents ou leurs premiers chagrins d’amour… Au menu : spontanéité désarmante, anecdotes désopilantes, fougue et beaucoup d’auto-dérision !
Voici un blog dont on parle beaucoup :

La vie rocambolesques de Brad-Pitt Deuchfalh : Débuté à l’âge de 15 ans, en 2005, ce blog a rapidement conquis de nombreux lecteurs par son ton à la fois frais et cynique (avec un petit côté « Titeuf »). Victime de son succès, le doute a commencé à planer sur l’âge véritable du blogueur (également suspecté d’être l’auteur d’un faux blog sur Amélie Nothomb). Il n’en reste que ces notes où il se lamente sur sa maigreur (son frère le surnomme « Skelettor ») ou encore sur son « dépucelage de la langue » sont assez savoureuses et dénote d’un vrai style littéraire.

DOSSIER A SUIVRE …
N’hésitez pas à partager vos références !

Toute notre sélection de romans d’adolescence « nouvelle génération » :

Photo intro dossier : Lise Sarfati, La vie nouvelle (The new life)<br

16 Commentaires

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  1. Je suis littéralement et littérairement impressionné par ce dossier bien dans le ton de ce blog. Il y a derrière ça un boulot énorme dont je vous félicite.

    J’aimerais être plus pertinent dans mon commentaire mais il faudrait d’abord que je lise quelqu’uns des livres présentés. Plus tard, peut-être.

    • Léa sur 29 juillet 2006 à 16 h 24 min
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    je me suis etonnee de ne voir aucune française dans les jeunes auteures..

    • la roulotte sur 30 juillet 2006 à 16 h 10 min
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    J’en proposerai bien 1, moi de roman français sur l’adolescence. La fugue de Valérie Sigward !
    C’estt un petit livre délicat et sensible sur le malaise d’un ado face au suicide de son frère. Sur l’impossible compréhension d’un geste irréversible. Il rappelle un peu le style et le thème du livre La messe anniversaire d’Olivier Adam. C’est très beau, avec une écriture sur le fil du rasoir mais jamais larmoyante.

    J’ai trouvé une belle critique sur le site de Télérama qui le résume bien :

    S’il fallait encore prouver que c’est l’écriture qui fait le roman et non l’originalité du sujet, on pourrait prendre La Fugue de Valérie Sigward pour exemple. L’argument se résume en quelques phrases. Un adolescent dont l’aîné s’est suicidé un an plus tôt ne peut plus vivre avec ses parents, qui, pense-t-il, ne le voient plus. Partir pour exister, pour rompre la douleur des silences. Cogner quand on a mal, insulter quand on aime et qu’on a peur de ne pas être aimé, contrarier son désir pour ne pas en éprouver le manque… Terrible sujet qui aborde l’interrogation sur le suicide d’un être proche. Qu’avons-nous fait, ou pas fait, pour qu’il en soit arrivé là, se demandent les parents ? Comment avons-nous pu passer à côté de son désespoir ? Pourquoi est-il parti sans laisser le moindre signe, la moindre explication ? Comment peut-on vivre après cette déchirure ? Et pourtant ce livre grave n’est jamais morbide ni totalement noir.
    Les adultes sont ailleurs, bouclés dans leur tristesse. Ce n’est jamais à travers leur regard qu’est vu le drame. La Fugue est une histoire d’adolescents entre eux qui cherchent à tâtons la sortie du tunnel où ils ont été entraînés. La révolte est leur forme de langage. Théo, le petit frère, celui qui reste, ne veut plus qu’une chose : fuir, mais il fait tout pour retarder son départ. Marie, la petite amie, trop jeune pour être veuve, cherche à se persuader que, comme l’écrivait Giraudoux, « un seul être vous manque et tout est repeuplé ». Zeb le copain, le rigolo de service qui fait le clown parce que rien n’est plus près du rire que les larmes, joue sa partition d’ado crado qui ne pige rien mais qui comprend tout… Et nous sommes bouleversés par la justesse de leur voix, leur langage criant de vérité. La violence, la brusquerie, la maladresse, le désarroi, l’ironie, tout est là dans cette langue pauvre d’une jeunesse éprouvée. Ce sont des gosses perdus dans la vie qui parlent et hurlent. Ils ont mal et ils gueulent, s’engueulent, se serrent. Leur nuit est trop longue, trop obscure. La Fugue est à la fois un roman noir, huis clos à l’écriture sèche comme celle des meilleurs polars, et une pièce de théâtre dans la plus pure tradition classique, une tragédie éternelle qui répond à la règle des trois unités : de lieu, de temps, d’action. Au terme de cette nuit folle, tout peut basculer. Si Théo fugue, c’est la mort qui aura gagné. Si Théo reste, il y aura une aube, et une lumière… Comme chez Corneille ou Racine, le langage est souverain, les mots sont des armes ou des baumes apaisants. D’eux seuls dépend le sort des personnages. Parler, c’est vivre, c’est créer du lien dans les relations ténues, c’est se libérer du poids trop lourd du silence de l’absent, celui qui a choisi de sombrer dans le néant. Certes la langue de Théo, Marie, Zeb n’est plus celle du Grand Siècle, la tragédie ne s’écrit plus dans les mêmes termes, mais elle dit les mêmes choses : « Laisse faire le temps, ta vaillance… »

  2. Léa, il était question de mettre Anne Sophie Brasme à l’origine (Respire), sans grande conviction, mais quelques jeunes auteurs français devraient rejoindre la liste : à suivre donc…

    Merci la roulotte de cette référence !

    • orlando sur 3 août 2006 à 18 h 04 min
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    Je dois avoir dépassé l’age limite de consommation… Il faut sans doute avoir moins de 18 ans pour apprécier toute la subtilité de ces nouveaux romans…
    Je préfère relire Le blé en herbe.

  3. Orlando, il est vrai que lire ces romans lorsqu’on est ado a sans doute un impact plus fort lié au phénomène d’identification. Ca marche aussi très bien si on a gardé son âme d’ado ou si l’on aime cultiver
    la nostalgie… Relire Colette est aussi une bonne idée !

  4. Moi, je conseille "Hell" de Lolita Pille. Même si par endroit, ce livre est baclé.

    Sinon, il reste l’oeuvre de Valérie Valère.

  5. Concernant "Brad-Pitt Deuchfalh", aux dernières infos, il aurait des propositions de la part d’un éditeur (d’après ses propres sources, voir sur son blog).
    Coup de pub ? Coup de bluff ?
    Peut-être, et peut-être pas.
    Moi, si j’étais éditeur, cela ferait longtemps que j’aurais essayé de le contacter.

    • caroline sur 30 août 2006 à 0 h 13 min
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    Bregman, si brad sort un bouquin, moi aussi je l’achete !!

    • paulyne sur 19 février 2007 à 9 h 34 min
    • Répondre

    Merci pour toutes ces idées de lectures !! Je suis justement en train de lire "Vodka-Cola" d’Irina Denejkina, et ça fait longtemps que j’ai envie lire "Serpents et piercings"de Hitomi Kanehara
    une idée de roman en + ?
    LES BONBONS CHINOIS de MIAN MIAN!
    allez-y les yeux fermés!!! Des anecdotes y côtoient des réflexions philosophiques,c’est un roman excellent sur les dérives d’une Chine des années 80, le livre a été d’ailleurs interdit dans le pays considéré comme trop violent je pense… ou peut être trop proche de la réalité??

  6. Chère Paulyne,
    Merci de ton avis.
    Mian Mian fait aussi partie de nos favoris : buzz.litteraire.free.fr/d…
    Tu as raison, il aurait sa place dans ce dossier !

    • paulyne sur 2 mars 2007 à 22 h 33 min
    • Répondre

    Merci pour le lien ! J’ai pu lire votre article très intéressant. Au passage pour les intéressés cette année devrait sortir le nouveau bouquin de Mian Mian : "Panda Sex"

    • Bruno sur 19 mars 2008 à 17 h 35 min
    • Répondre

    J’étais tombé sur le blog de cette jeune personne. Je ne sais pas pourquoi mais je pense que vous pourriez le lire et voir s’il rentre dans cette catégorie. Ado terrible.
    just-a-tetard.skyrock.com
    qui depuis a changé d’adresse.
    melancholiae.skyrock.com

    • nalexounette sur 10 novembre 2008 à 20 h 27 min
    • Répondre

    je vais suivre tout les bons conseil en rajoutant junk de melvin burgess (pas sur pour l’orthographe ) en tout cas ce livre est poignant carrément génial et puis bye bye blondie est très bien ainsi que hell et bubble gum.
    C’est vrai il n’y a pas beaucoup d’auteurs francais quoi que …
    bonne lecture a tous

    • aalois sur 16 avril 2009 à 13 h 31 min
    • Répondre

    Je vous signale la publication récente d’un bon bouquin dédié spécialement aux ados. A lire avec gourmandise…
    « Peter Mayr Strasse » (éditions Portaparole), le premier livre de Denis Costa narre sans fausse pudeur le parcours amoureux de Tommy, un tout jeune homme à l’étonnante sensibilité aussi féminine que masculine qui poursuit des études universitaires à Bolzano, capitale du Haut-Adige, province alpine du Nord de l’Italie où se marient non sans antagonisme, les cultures latine et germanique.

    Ce n’est ni un journal de bord, comme celui d’un capitaine de navire, ni le recueil de considérations personnelles tenues sur un agenda qui serait précisément daté.
    On pense tout à coup au roman « Le Grand Meaulnes » d’Alain Fournier qui a écrit à la première personne, tout comme le témoignage intime de Denis Costa. On retrouve d’ailleurs le terme confession utilisé par Augustin Meaulnes lui-même : « Ce manuscrit que j’avais commencé comme un journal secret et qui est devenu ma confession… ». Une relecture de ce roman écrit en 1913, permet de mieux analyser par contraste, les confessions de Tommy. Le témoignage du jeune homme ne navigue pas entre rêve et réalité, comme celui de François, racontant à la première personne ses aventures et celles de son grand copain Augustin Meaulnes. Ce témoignage n’est pas non plus immergé dans le fantastique de Harry Potter. Tommy est bien ancré dans le présent et il immortalise sur papier des moments de sa vie probablement intenses, des séquences de souvenirs qui le transportent aussi loin que possible dans sa prime adolescence, où, enfermé dans un pensionnat, il fut confronté à la sexualité de ses camarades aussi désarmés que lui, puis quelques années plus tard il évoque son séjour à Djibouti, ce confetti de la Corne de l’Afrique, qui intrigue jusqu’à l’un de ses professeurs d’université.
    Tommy, majeur, mais à peine, livre au lecteur des incertitudes et ses hésitations, comme le petit sorcier, mais les siennes sont délibérément et joyeusement impudiques.
    L’auteur a choisi de faire naître son héros narrateur, l’année symbolique de la chute du mur de Berlin. 1989. Tel le Grand Meaulnes vu par les yeux de François, Tommy est auréolé de prestige aux yeux de ses camarades de fac, du prestige de « french lover » dont on ne se doutait pas de la popularité auprès des jeunes filles italiennes (le charme exotique marche à tous les coups), en plus d’être le plus jeune inscrit, puisque la scolarité secondaire française se termine plus tôt que dans les autres états européens. Venir de Paris ajoute semble-t-il, à l’intérêt qu’on lui porte.

    Malgré tous ces atouts et le fait qu’il soit on ne peut plus « vacciné » au sens littéral du terme, comme il le souligne avec une touche d’humour, pour ne citer que cette anecdote et laisser le lecteur découvrir les nombreuses autres qui émaillent le récit, Tommy n’est pas spécialement sûr de lui intérieurement et il se moque de lui-même en se décrivant un peu « fier à bras » dans les propos qu’il tient dans la docte assemblée que constitue une université. Avec lucidité, il confesse au début de son témoignage qu’il ne s’est pas détaché du giron maternel et on l’imagine, bébé nourri au sein, même s’il n’en parle pas. En revanche, il plaisante sur le « lambrusco amabile » qui coulerait dans ses veines, même si beaucoup le préfèrent « secco ».

    Est-ce pour cela qu’il pose sur la vie un regard bienveillant, qu’il accepte des filles rencontrées ce qu’elles veulent bien lui offrir dans une relation intime sans rechercher forcément son plaisir personnel ? Il confie, comme pour s’en libérer sans doute, son obsession d’avoir un pénis trop peu avantageux, ce dont ne semble pas s’être plaint Jessica, sa première partenaire et initiatrice, un après-midi sous le soleil torride de Djibouti. Qu’on soit lecteur ou lectrice, cela fait un grand bien de lire les problèmes intimes dont on parle rarement, même entre copains et de s’en sentir complices, que l’on partage ou non les avatars de Tommy, ou que l’on pense aux siens propres.

    Au fil de la lecture, on rencontre un ton nouveau, dépouillé des filtres imposés par les modes ou les pudeurs de la littérature française. On trouve des accents ou une verve digne de Rabelais par moments, dans la description de « l’Origine du monde » pour reprendre le nom du tableau de Courbet, mais désignée dans cet ouvrage par le mot « cramouille ». Ce mot inattendu, placé en début de phrase, surprend et nous fait rire. A cette partie du corps féminin, exposée en gros plan dans les films pornographiques, que Tommy contemple avec curiosité sur les nombreuses chaînes satellitaires italiennes, se superpose le souvenir de l’intimité de Jessica qu’il ne reconnaît pas.

    On ne décèle pas dans les séquences de vie de Tommy de grandes emphases romantiques, mais en revanche, un humour constant qui pourrait quand même s’apparenter à la « chasse au bonheur » de Stendhal, revue et corrigée par le contexte du vingt-et-unième siècle, c’est-à-dire tempérée et désacralisée par le caractère universel des connaissances accumulées par Tommy, malgré son jeune âge. Dans une ère de communication électronique tout azimut, Tommy joue le rôle du « parigot » quand il sent que c’est ce qu’on attend de lui, du « français », pour la même raison, mais par ses origines transalpines, ses aspirations au bonheur et au consensus, il se pose aussi en Européen attentif. Il s’interroge sur le mal-être dans les banlieues métissées qui flambent, regrette le jacobinisme qui étouffe les régions françaises et se montre inquiet de l’intérêt manifesté par son ami Klaus en faveur de l’extrême droite en Haut-Adige et de ses prises de position tranchées.

    Le parcours initiatique amoureux constitue le fil rouge de ce passionnant récit. Le sexe a toujours fait courir le monde, seulement aujourd’hui, on appelle un chat, un chat, et le narrateur ne s’en prive pas. Les lecteurs de ce livre seront en tout cas à l’abri du mépris ressenti avec effroi lorsqu’on lit certains écrits du Marquis de Sade. Mais au-delà de son parcours amoureux, c’est une authentique recherche de lui-même que mène ce jeune homme, un français ordinaire, mais patiné de culture italienne que lui a transmis sa mère.
    Ce témoignage intime constitue un défoulement salutaire qui repose des horreurs étalées dans nos médias et de la morosité ambiante. Il nous transporte à Bolzano, l’une des villes les plus attachantes de l’Italie du nord, enserrée dans un écrin de montagnes et une nature préservée.
    On apprécie d’être emporté par le langage contemporain et riche à la fois, jamais relâché ni vulgaire et par une tendresse sous-jacente sans cesse présente.

    • Lise sur 17 janvier 2010 à 19 h 55 min
    • Répondre

    Merci pour cet article, vraiment intéressant. C’est vrai que ce courant littéraire se "banalise" de plus en plus sur pas mal de blog de 16 jusqu’à 20 ans.
    J’en ai déniché un il y a quelques mois & j’ai adoré lire ces pages: Vodka-Orchidee.skyblog.com

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