Dossier Rachel de Martin Amis : l’oeuvre de jeunesse d’un précurseur de la nouvelle fiction anglaise

Martin Amis, monstre sacré de la scène littéraire internationale, né en 1949, fait partie de ces précurseurs de la « nouvelle fiction anglaise ». Qu’est ce donc que cette « nouvelle fiction anglaise » ? Pour faire simple, disons qu’il s’agit d’une sorte de nouveau réalisme social qui dépeint sans fausse pudeur la vie contemporaine, les états d’âmes du narrateur et de son entourage. Il est souvent alimenté par leurs frasques sexuelles plutôt chaotiques voire frénétiques.


Amis est souvent comparé à Will Self mais en plus soft bien qu’il ait été considéré en son temps particulièrement scandaleux. En 2003, ses écrits persistent à procurer un malaise tout au long de leur lecture. Principalement lié à sa vision irrémédiablement pessimiste des relations sociales, familiales et amoureuses.

Ce sont deux livres principalement qui ont révélé son talent particulier. Tout d’abord, Le Dossier Rachel (The Rachel Papers), son premier roman publié en 1973. Il relate une période charnière de la vie d’un adolescent à la veille de sa vingtième année (« son entrée dans l’âge adulte » ou comme il le nomme la « chute libre vers la virilité »). Et oui les « Tanguys » n’existaient pas encore !

Charles Highway nous entraîne dans ses souvenirs alors qu’il classe ses papiers, le tout dans un récit très chronométré puisqu’il s’écoule entre 7h du matin jusqu’à environ minuit. La notion du temps étant très cher à Amis. Pourtant ce découpage ne tarde pas à devenir flou au fur et à mesure des flash backs et du déroulement de l’histoire.
On plonge alors dans l’univers d’un ado anglais passablement névrosé. Son grand plaisir ? Noter tout ce qui lui arrive. Mais plus qu’un journal intime, il consigne toutes ses expériences dans des dossiers et des études ! Ainsi ses interactions avec autrui, relations amoureuses incluses, sont minutieusement calibrées et préparées au préalable. Il en arrive ainsi à faire des recherches spécifiques, à noter des répliques ou des commentaires à l’avance des ses rendez-vous afin de briller en société ou séduire ses conquêtes… Sa vie n’est qu’une succession de tactiques et de stratégies pour parvenir à ses fins, semble t’il.

Lorsqu’il rencontre cette fameuse Rachel, lors d’une soirée estudiantine, il n’a de cesse de transformer cette rencontre en nouvelle conquête. Il déploie alors son arsenal de dragueur habile, ne laissant aucune place à l’improvisation, selon les théories qu’il a lui même élaborées dans son guide « Conquests and Techniques : A Synthesis ». Et ce qui devait arriver…
Pourtant Rachel, à la différence de ses autres conquêtes éveillera en lui un peu plus qu’une ardeur sexuelle. Et c’est finalement son parcours initiatique amoureux qui nous est ici révélé.

Tout le monde s’est accordé à trouver le style d’Amis drôle et brillant. Il est vrai que la dérision et le cynisme tiennent une grande place dans son œuvre. Les descriptions de parties de jambe en l’air qui tiennent plus d’assauts sexuels qu’autre chose sont pour le moins caustiques. Jamais avare de détails, Amis nous gratifie de « elle a caressé mes parties génitales en forme de limace » ou « le con de Rachel était un des plus plaisants qu’il m’ait été donné de découvrir : ni du genre paille de fer au bain marie, ni déchets de poisson en sachet ni poche de gilet imprégné de graisse… »
Rien ne nous est épargné. Ses coïts largement détaillés s’étalent sur plusieurs pages où le héros nous fait le compte rendu de chacun de ses actes, comment il « travaille » chacune des zones érogènes, la rotation de ses mouvements…etc (« arrête de l’embrasser sur la bouche, travaille plutôt ses oreilles ». Comme une recette de cuisine ou une leçon bien apprise. Et bien sûr, c’est une victoire à chaque fois : « Je sens ses ongles. Je l’entends hennir ».

Non content de multiplier les maîtresses, le narrateur s’imagine également être un amant hors-pair… Du moins telle est la vision que nous en donne Amis. Peut être devrait on signaler au monsieur qu’une femme n’est pas comme une navette spatiale à piloter, qu’il ne suffit pas d’appuyer sur le bon bouton pour l’emmener au septième ciel mais bon…

En parallèle, le héros distille des informations sur ses relations familiales : sa sœur aînée qui l’héberge pendant ses études à Oxford (sur laquelle il s’est branlé « comme une pile électrique » en pensant à elle le noël dernier…), son mari (qui la bat frénétiquement), sa mère qui carbure au valium et son père, fièvreux coureur de jupons.

Le roman s’achève sur sa rupture avec Rachel effectuée au travers d’une lettre froide et sèche. Lors de sa dernière entrevue avec elle, il « attend impatiemment qu’elle se mette à pleurer ».
Un vague sentiment de malaise le prendra tout de même. Montre en main : de 18h50 à 18h55. Puis « il se sentit très bien ». Ultime cynisme du héros parfaitement détestable. « Un petit crétin snob », peut être à l’image de son auteur à l’époque, comme le reconnaît Martin Amis dans son dernier ouvrage autobiographique « Expérience » (voir article). « Arrogant d’un côté, plaintif de l’autre. »

Quand on referme le livre, que peut on en penser de ce roman ? Encore aujourd’hui, il apparaît effectivement comme non conventionnel et transgressant bon nombre de codes sociaux. Il met à nu l’état d’esprit d’un adolescent de cette époque. Ce qui surprend c’est la force des détails employée par l’auteur, sans grande subtilité parfois. Rien ne nous est épargné. Il semble vouloir toujours creuser davantage dans le grotesque, l’anatomique voire le scatologique. A l’image d’une génération construite sur les ruines d’une révolution culturelle, Charles Highway incarne un jeune adulte déjà désabusé et affranchi de toute morale. Une sorte de confession d’un enfant du siècle à l’heure de la libération sexuelle et de la perte de repères, qui n’a sans doute rien perdu de son actualité.

Retour au dossier : Ados terribles : les nouveaux romans de la « Lost génération »

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