« Un début prometteur » de Nicolas Rey : Portrait de l’artiste en adolescent… (adaptation ciné)


Il aura fallu attendre 12 ans pour voir enfin porté sur grand écranle troisième roman de Nicolas Rey, »Un début prometteur », initialement publié en 2003 et sorti au cinéma le 30 septembre 2015. A cette époque le jeune auteur, cinéphile passionné qui cite régulièrement son film culte « Un monde sans Pitié » (d’Eric Rochant), avouait déjà rêver de transposer son univers sur pellicule… Ce sera finalement sa compagne Emma Luchini qui s’y collera (en l’associant au scénario), en réactualisant quelque peu sa structure mais en conservant les préoccupations de l’auteur: le premier amour, les désillusions de la jeunesse, ses renoncements, mais également ses espoirs. A son sujet elle commente : « J’ai adoré l’idée de ces deux frères se croisant à deux stades totalement opposés de leur existence. (…) C’est l’opposition entre forces sombres et forces lumineuses qui m’a attirée dans cette histoire. C’est aussi la vision des trois hommes face à l’amour. »

« T’es amoureux parce que c’est ton état naturel d’être amoureux, parce que tu n’as trouvé que cette formule pour te faire un peu moins chier. » Comme d’habitude, les hommes sont fatigués, accablés, noyés dans leur déchéance.

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Comme d’habitude les femmes sont leurs canots de secours, qui tentent envers et contre tout de ramener à la surface leurs épaves trop lourdes. Comme d’habitude, on ne s’endort pas sans lexomil ou valium comme « toutes les personnes qui ont un passé ». Et puis aussi beaucoup de fuite éthylique, de « corps qui s’enfoncent », de remords aussi et de lâcheté bien sûr. Bienvenue dans le troisième roman de Nicolas Rey !

Fidèle à son univers. Un peu comme dans un film de Cassavettes ou de Woody Allen : on reconnaît un terrain familier.

Sauf qu’ici nous n’avons pas un mais trois « Nicolas Rey » disséminés dans trois générations d’hommes, chacun en proie aux affres de leur âge. Le premier, le narrateur est un ado de 16 ans, Henry, qui fréquente le CES de sa « morne » cité de Vernon, comme on se rendrait à Fleury Mérogis : « Seize ans et déjà la force de se pendre ».

Martin, son grand frère, légume dévitalisé, « monté » à Paris, revenu s’échouer dans le giron familial après avoir détruit son couple et « montrer ses chemises dans tout Paris » et accessoirement sur une chaîne du câble où il était présentateur. Enfin le doyen : le père, dentiste. Le « pater doloroso » qui inaugure une variante inédite « des figures masculines reyennes puisqu’il n’a pas trompé sa femme mais au contraire été abandonné par elle.

Mais dans ce décor plutôt sinistre, Henry ne renonce quand même pas à l’essentiel : les filles. Les femmes même. Dans son lycée, il connaît toutes les filles : « Les garçons ne m’intéressent pas », confie t’il.

Seize ans et déjà une vie sentimentalo-sexuelle très compliquée. Evidemment Henry ne se contente pas d’un flirt mais de plusieurs : Christine, Hortense, Hélène… Plus intéressé par les stratégies de séduction qu’il imagine que par la conquête elle même… Silhouettes féminines qui défilent devant ses paupières jamais satisfaites et alimentent ses fantasmes éphémères. Sans oublier ses amantes rêvées dans sa salle de bain comme Chiaria Mastroianni qui le demande en mariage sous sa douche. « On peut vivre l’amour avec un nombre de gens incalculables dans une salle de bains. » Mais cela ne comble pas encore sa libido dévorante. Et c’est sur sa prof de français qu’il finit par jeter son dévolu. Cette aventure passionnée, ne l’isolera pas de la tourmente de ses aînés. Qui déjà lui font prendre conscience que l’amour est « un sale western où l’espoir perd à la fin ».

Le roman offre également une vision du monde adolescent, ce sursis, où il est encore possible d’espérer pour quelque temps. Les projets que l’on fait dans la salle de bain avec une bonne musique, l’idéalisation de Paris (les cinémas d’art et d’essai, « ces soirées où l’on pense que les hommes baisent des femmes en même temps qu’elles donnent le sein à leur enfant »), mais aussi le temps du car, des copines qui vont à l’aumônerie, des mobs sur le parking, des cigarettes, de la cantine… Nicolas Rey en décrit l’ambivalence : à la fois l’âge des « possibles » et en même temps l’âge des blocages, coincé par les contraintes et les autorités diverses (parentales, école…).

Dans ce portrait masculin à trois voix à la fois désanchanté et violent, on regrettera juste les envolées parfois manichéennes (la vision diabolisée d’un Paris speedé et superficiel, les louanges attribuées aux cancres du fond de la classe opposé aux premiers rangs forcément nuisibles…).

Un début prometteur c’est un peu la fusion entre Treize minutes, premier roman de Nicolas rey, critique et analyse avec extraits et Mémoire courte. L’histoire d’un ado qui refuse et qui espère et d’adultes qui renoncent après une lutte vaine. C’est remuer une fois encore le shaker des sentiments pour aboutir à la même conclusion. Rebattre les cartes du jeu en sens inverse, croiser les données, brouiller les pistes. Mais rien n’y fait : il n’y a pas de happy end chez Nicolas Rey. Seulement des éclairs fugaces qui illuminent brutalement un ciel ombrageux.

DU LIVRE AU FILM…

Une histoire originale modifiée
Pour le scénario de son film, Emma Luchini a modifié quelques lignes du roman de Nicolas Rey. La réalisatrice avance : « J’ai ajouté la rencontre avec une femme de 35 ans, Mathilde, joueuse de poker, instable, elle aussi marquée par la vie, mais avec une force vitale incroyable. (…) Je tenais à un personnage féminin qui fasse le pont entre les frères, qui symbolise leurs deux problématiques vis-à-vis des sentiments à deux moment de leur vie. » Emma Luchini a aussi changé le nom du petit frère qui, dans le livre de Nicolas Rey, s’appelle Henry et non Gabriel.

Les deux frères, dans Un début prometteur, sont ancrés dans un monde réel, mais leur rencontre avec Mathilde va tout chambouler et les emmener vers un monde plus enchanté. Emma Luchini confie : « J’avais envie d’illustrer ces moments dans la vie où, au milieu d’un événement banal, la rencontre d’une personne peut nous faire basculer dans quelque chose d’un peu magique. (…) Le film parle avant tout de ça : d’âge, d’illusion, d’enchantement, de désenchantement. »

Martin, un personnage généreux
Le personnage de Martin est en quelque sorte déçu par la vie et il préfère donc s’intéresser à celle de son petit frère et à celle des autres. Manu Payet explique : « Martin pense plus aux autres qu’à lui-même. En fait, il sait tout sur tout sauf vivre ! Le genre de type qui en vingt minutes vous donne des tas de pistes pour votre propre existence mais qui ne se les applique pas à lui. »

L’un des thèmes principaux abordés dans Un début prometteur est le droit d’être heureux. Manu Payet confie : « Et tout cela, c’est ce que Gabriel va apporter à Martin. Le jeune frère a besoin de donner à son aîné une nouvelle envie de vivre, une raison d’exister. Tout cela va presque se faire par hasard, malgré eux avec l’irruption dans leur quotidien de cette femme sorti de nulle part… »

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