Treize minutes de Nicolas Rey : « Certains respectent les églises. Moi, c’est devant l’éphémère que je m’agenouille. »

Premier roman de Nicolas Rey, oserait on déjà dire oeuvre de jeunesse ?, Treize minutes est la tranche de vie vertigineuse d’un jeune homme épris d’absolu. Jusqueboutiste dans ses sentiments qu’il s’agisse d’amitié, de désir ou d’amour. Mais à notre époque est ce bien raisonnable ?

Simon, la vingtaine se complaît dans sa vie d’étudiant glandeur, entouré de ses colocataires hauts en couleur. Le début du récit nous entraîne dans le quotidien somme toute banal de ces fils à papa et de filles « tout droit sorties d’un reportage du Figaro Magazine sur les familles nombreuses en vacances à l’Ile de Ré » : chamailleries, chagrin d’amour ou soirée étudiante…

Mais très vite les évènements dérapent…

Et sous le « putain de ciel bleu imbu de lui même », le climat bon enfant se fissure. La franche camaraderie laisse progressivement apparaître les failles des personnages. Désirs exacerbés, non dits, frustrations, actes manqués…

Au coeur du récit : Simon, narrateur de l’épopée, et sans doute voix de Nicolas Rey, qui dévoile peu à peu son jeu. Noir et ambivalent. Pris en étau dans ses sentiments contradictoires, il court après un idéal affectif qu’il souhaite finalement ne jamais atteindre réellement.

Déjà le roman est habité des obsessions de l’auteur. Elle ressortent même avec plus d’intensité que dans les romans suivants : la fragilité de la séduction et du désir, la sublimation du sentiment amoureux éphémère et la quête charnelle.

D’amples passages servent d’exultoire à ses « démons » et à son instabilité . Ode aux amours éphèmères (« certains respectent les églises. Moi c’est devant l’éphémère que je m’agenouille. »), Il se dit condamné « à la brièveté » : à la construction toujours proche du château de cartes. « Je suis l’éjaculateur précoce des histoires d’amour », proclame t’il encore.

Entre quelques marivaudages un peu glauques, il oscille entre Marion, sa colocataire « maquée jusqu’aux incisives » et Marie, jeune inconnue, dans le coma, dont il ne connaît rien hormis sa carte d’identité trouvée par hasard. Dans une sorte de « Parle avec elle » (Almodovar) d’avant l’heure, se mêlent amour impossible et amour « fantôme » qui le tiennent en haleine. Tout en alimentant les fantasmes de « son imaginaire crasseux », parfois animé de sentiments extrêmes : « une gamine pour laquelle j’aurais filé chacun de mes organes sans la moindre question »

Face à lui, rivale symbolique : Antoine, petit ami de la bien-aimée Marion. Il incarne tout ce que Simon ne pourra jamais être et tout ce qu’il méprise. « Ces types qui vont toujours très bien, avec des projets plein la cervelle et sûrement des patins dans leur future baraque de cinglés. »

Dans ce climat électrique, un drame surviendra et conduira peu à peu Simon vers une chute irréversible.

L’alternance du cynisme-trash et de la complainte fleur bleu est déjà aussi présente. Comme cette scène terrible où il doit éliminer un cadavre et où des souvenirs attendrissants de son enfance lui reviennent bizarrement à l’instant de le précipiter dans un puits… « Je me suis souvenu qu’il m’arrivait d’envoyer des pièces dans ce puits parce que j’étais amoureux de la petite voisine. En fermant les yeux. Comme on balance des bouteilles à la mer. Des prières avant la lettre. »

Seul regret de ce roman à vif : les scènes abusives (dignes d’un mauvais film sur M6 le dimanche soir) où les filles retirent sans jamais rechigner leur culotte petit bateau pour tendre leur croupe « enfantine » (étrange obsession des corps androgynes enfantins) au héros qui éjaculera ensuite sur leur poitrine « miniature ». Ou encore les tirades cliché comme le couplet sur les salons de thé emplis de « vieilles choses ridées » catho et racistes.

Mais hormis ces quelques maladresses, on ne peut que se laisser happer par la fuite en avant de cette génération désenchantée (qui n’est pas sans rappeler une certaine Génération X de Coupland ou Les lois de l’attraction de Bret Easton Ellis). Et leur destin âpre guidé par le refus de tout compromis et du formatage social. Le tout servi par une écriture « immédiate », qui capte l’impalpable et les non-dits en filigrane de tous nos actes.

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