Le coeur régulier d’Olivier Adam: « Il s’occupe de nous, c’est tout. Ca fait du bien par moments d’avoir quelqu’un pour s’occuper de vous. »

Le cœur régulier est le 7e roman d’Olivier Adam, publié lors de la rentrée littéraire de septembre 2010, grand succès de librairie adapté sur grand écran en 2016. La critique a souligné les corrélations et la filiation avec ses précédents romans. En effet, Le coeur régulier met en scène une certaine Sarah, qui était aussi le prénom de l’épouse disparue dans « Des vents contraires ». La disparition est une nouvelle fois centrale dans le roman.
Olivier Adam se glisse aussi pour la 2e fois dans la peau d’un personnage féminin après Marie, l’héroïne d’A l’abri de rien. L’auteur lui-même rapproche le duo d’un frère « ingérable » et « inflammable » et d’une soeur « posée », « responsable » à celui de « Poids léger » 10 ans après. Il ajoute qu’il a repris, dans Le coeur régulier, le personnage du père dans « Des vents contraires », assez détestable à son goût mais apprécié par les lecteurs à son grand étonnement en le rendant plus proche de ses valeurs. Il dit à ce sujet aimer que ses romans forment une sorte de « ronde ». Enfin, il qualifie son roman suivant (moins réussi) « Les Lisières » de « correction » du Coeur régulier, dans lequel « il y avait trop de poésie. Trop de cache-sexe, de la phrase et de la sensation, pour masquer ou s’arranger avec le contenu » (itw l’express 2012).

Me délester, sentir. M’oublier, m’ouvrir. Recueillir. Laisser le soleil chauffer ma peau, l’air pénétrer mes poumons, l’eau me diluer. Sentir battre en moi un cœur régulier.

Toutefois Le cœur régulier a pour cadre inédit le Japon (même s’il évoquait déjà Kyoto dans « Passer l’hiver »). L’auteur s’avoue en effet « nourri de littérature et de cinéma japonais » dont il apprécie le « goût de l’ellipse, du silence, la disparition -comment vivre avec ses fantômes, ses proches disparus- et leur rapport à la littérature« .
Il imagine donc une femme « mariée deux enfants » à un moment critique de sa vie jusqu’alors bien rangée (mort suspectée d’être suicide de son frère), qui décide un jour de tout plaquer et de « fuir » au Japon (il est dit qu’elle prend un avion pour Tokyo sans plus d’informations sur sa destination finale exacte), un peu en catastrophe, sur les traces de son frère disparu mais également d’elle-même.
Le portrait que dresse Adam de cette femme, qu’il fait parler à la 1e personne avec une certaine justesse du reste, pêche néanmoins par son conformisme. En effet, Sarah s’avère un nouvel épigone du prototype/stéréotype bovaryen de la femme mal mariée qui s’ennuie dans son confort bourgeois, « enfermée dans d’élégants murs de pierre meulière », avec un mari gentil mais ennuyeux: « la maison m’avalait », « tout ce raffinement, ce dépouillement froid m’étranglaient. »; ou encore des clichés: « je ne respire plus depuis si longtemps. » Bref on aura compris que cette femme « étouffe » dans sa vie de privilégiée. A noter qu’il reprendra le même stéréotype dans son roman suivant « Les lisières » avec le personnage de Sophie.

Sa manière de dépeindre la féminité trahit toutefois un regard masculin, à commencer par la description de la jeune Hiromi, collégienne, à la jeunesse et au sex-appeal incandescents. La scène érotique lesbienne qu’il imagine correspond aussi à un fantasme typiquement masculin.
Les autres scènes de sexe paraissent un peu plus crédible pour une femme dans sa situation en particulier les rapports avec son mari qu’elle explique avoir « épousé parce qu’il [l]’aimait et qu’auprès de lui [elle] se sentait en sécurité. Auprès de lui, j’avais moins peur. » ou encore « j’aimais surtout remplir un poids s’écraser sur moi et me clouer puis me remplir. »
Il passe en revanche complètement à côté des affres de la féminité (en particulier le rapport au physique)avec une vision machiste et étriquée: « j’avais fait l’effort de me convaincre que toutes ces pétasses égocentriques obsédées par le fric, le pouvoir, la célébrité et la peur d’être vieille, grosse ou dépassée n’étaient pas que cela, , que c’était juste un vernis, qu’elles aimaient, souffraient, sombraient dans des abîmes (…) mais non j’avais tort, avec le recul (…) » On entend ici clairement la voix d’Adam et non celui de son personnage.

Sa critique du monde de l’entreprise est tout aussi convenue, se moquant notamment des séminaires tellement « vulgaires » de cadres sups au Morbihan.
Et de nous servir des clichés du type: « Si j’ai appris quelque chose du monde de l’entreprise et du travail en général, c’est qu’on y tolère mal les faibles, que toute faille doit y être camouflée, toute fragilité niée, toute fatigue combattue et oubliée, qu’une part non négligeable de nous-mêmes doit être laissée au vestiaire, comme un costume qu’on ne renfilerait qu’une fois le soir venu. »
Cela peut malheureusement s’appliquer à nos sociétés en général comme Saint Olivier Adam semble l’occulter…
Sa peinture du monde de l’entreprise reste manichéenne, tout comme son opposition maladroite à la sphère de l’artiste torturé et maudit (figure du frère Nathan), pauvre mais qui a su rester « pur » (mais profite quand même de la générosité de sa soeur « friquée » et du confort de sa demeure quand le besoin s’en fait sentir).
Et de tacler au passage, dans une veine populiste* primaire, sur l’arrogance des « membres suffisants d’une caste qui se reproduisait de génération en génération, à l’écart de la société et en surplomb, convaincus de leur valeur et de leur supériorité (…) pleins de morgue, d’assurance et de mépris. » Il cultive néanmoins une grande ambivalence à cet égard qui apparaîtra plus complètement dans Les lisières.
On notera à cet égard qu’il introduit déjà le « concept » qui inspirera ce dernier:
« Je me trompais, personne ne reste longtemps à la fois dehors et dedans, personne ne tient longtemps en lisière. » (à propos de la frontière entre vie pro et vie privée), ou encore « C’était si facile de juger sans jamais rien bâtir, sans jamais rien tenter, de demeurer en lisière, de se tenir en retrait. »

Car Olivier Adam, complexé de ne -soit-disant- pas en avoir (complètement contradictoire avec le fait d’écrire, car sans ego personne ne devient écrivain…) ne supporte pas la confiance en soi. Celle-ci l’indispose et il ne cesse de se boucher le nez dés qu’il l’aperçoit ou croit l’apercevoir.

Isabelle Carré au Japon, interprétant Sarah, dans l'adaptation du roman le cœur régulier" (2016)

Isabelle Carré au Japon, interprétant Sarah, dans l’adaptation du roman le cœur régulier » (2016)

Rien de bien enthousiasmant donc si ce n’est ce départ inopiné et ce dépaysement. Cela pourrait avoir des airs de livre de développement personnel façon « Mange, prie, aime« , le best seller de l’américaine Elizabeth Gilbert (où l’héroïne fuyait entre autres en Inde), si on était pas chez Adam et où les choses sont un peu plus complexes et troubles (quand il réussit à s’affranchir des stéréotypes). Il n’en reste pas moins qu’il revisite ici le thème bien connu du voyage initiatique, avec l’Occidental(e) qui part chercher la paix intérieur au pays du soleil levant. Voyage qui mettra à nu les failles et fêlures, ainsi que le malaise qu’elle avait jusqu’ici soigneusement réprimé.
Il s’agit donc pour elle de se reconstruire et de se retrouver, tout en « faisant le point » comme l’on dit sur sa vie et ses relations familiales, en particulier avec son mari et ses enfants dont elle se sent aliénée mais aussi et surtout avec son frère dont la mort la fait culpabiliser.
« J’étais partie au bout du monde (…), que j’avais besoin d’une pause, de me retrouver »

A ce sujet elle évoque l’expression favorite de son frère qui était « vu de loin, on ne voit rien » pour soutenir qu’au contraire il est parfois nécessaire de prendre du recul pour distinguer les choses et les comprendre.
« Pris dans le cours ordinaire, on ne voit rien de sa propre vie. Pour la saisir il faut s’en extraire, exécuter un léger pas de côté. La plupart des gens ne le font jamais et ils n’ont pas tort. Personne n’a envie d’entrevoir l’avancée des glaces. Personne n’a envie de se retrouver suspendu dans le vide.

Sauver la faillite de la famille…

Adam ici livre au passage une réflexion intéressante, la même qu’il reprendra, de façon tout aussi réussie dans Les lisières, sur le délitement des liens familiaux, leur fragilité et le danger de l’éloignement qui guette si on y prend pas garde. Il aborde notamment la douloureuse distance qui peut se creuser avec nos proches, y compris avec ses propres enfants. Ainsi Sarah se lamente:
« est-ce que les enfants nous manquent une fois entrés dans l’adolescence, je n’en étais pas certaine.
depuis pas mal de temps déjà, nous ne faisions plus que nous croiser, nous ne vivions plus ensemble mais les uns à côté des autres
. »
On remarque aussi des remarques intéressantes sur l’adolescence, âge charnière et complexe que l’auteur aime aussi explorer: « je ne m’expliquais pas que cet âge puisse être à la fois si difficile et si flamboyant, si juste et si incertain, si ridicule et si rayonnant« , fait-il s’interroger une Sarah déroutée par ses propres ados.

Fuite de l’enfance dans Le cœur régulier

C’est la difficile acceptation d’un parent de voir et laisser son enfant grandir et donc s’émanciper de lui, devenir quelqu’un d’autre, parfois un étranger qui n’a plus grand chose à voir avec l’âge tendre, qu’il exprime ici avec justesse à travers les incompréhensions de son héroïne.
« ces étrangers qui n’attendaient plus de moi que des repas chauds, du linge propre, de l’argent de poche et des autorisations de sortie », chose déchirante et secrète, le sentiment d’une perte impossible à partager, un deuil sans objet qui laissait en moi une nostalgie glacée, un froid polaire, un désert. »
Comme un second adieu à l’enfance, paradis perdu puis retrouvé à travers sa descendance puis de nouveau échappé. Enfance où le lien maternel est souvent évidemment le plus fort voire fusionnel et que Sarah rêve de « retrouver enfin » pour « faire le lien entre eux -ados- et ces petits animaux pendus à mon cou, blottis dans mes bras, collés si forts qu’ils se confondaient avec moi, que j’ai perdus et que je ne retrouverai jamais. »

Ce sentiment de distanciation et d’aliénation se retrouve aussi avec son propre frère, sa première famille. Ici c’est ce dernier qui déplore « qu’un frère et une soeur qui avaient été si proches, des jumeaux presque, puissent
en arriver à tant d’indifférence
 » Il évoque par réminiscence leur relation passée idéalisée avec toutefois le frère en meneur et la sœur docile qui le suit admirative dans son idéologie de « pseudo rebelle » reposant sur « la peur de ne jamais ressembler aux autres, la peur de leur ressembler un jour. »
Un phénomène que Sarah tente de faussement banaliser en répondant « qu’il en allait ainsi dans la plupart des fratries, on s’éloignait les uns des autres jusqu’à devenir de parfaits étrangers, une fois propulsés dans nos vies respectives plus rien ne nous liait, même plus le puissant ciment du quotidien, la plupart des gens continuaient de faire comme si de rien n’était mais pour ma part je ne comprenais pas ce genre d’attitude, ne concevais pas qu’on garde contact quand plus rien ne le justifiait, au nom de quoi au juste ces sourires de façade, ces déjeuners éreintants, ces conversations creuses, ces sentiments éventés. »
Elle finira par avouer la douleur que lui cause cette perte qu’elle connecte une fois encore à l’état de grâce de l’enfance: « j’ai juste perdu mon frère et l’enfant que j’étais auprès de lui. »
Au delà de la disparition physique, par leur décès, Adam aborde donc aussi ici beaucoup, si ce n’est plus, la tragique disparition des liens, de la complicité, de la proximité passés, comme un deuil d’avant l’heure, peut-être encore plus douloureux. La façon dont le temps, l’absence, les trajectoires divergentes peuvent effacer impitoyablement tout ce qui unissait et qu’il est ensuite presque impossible à retrouver: « Rien ne subsiste. Les gens ne laissent rien derrière eux. »

Le sujet est hautement sensible chez Adam et il y revient amplement dans Les lisières, incluant notamment le thème de l’incommunicabilité avec ses parents. Il fait preuve sur ce thème d’une grande justesse et profondeur, et parvient enfin à s’extraire des clichés et des stéréotypes.

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Le Japon représente ici une sorte de terre promise idéalisée, un ailleurs exotique, un dépaysement nécessaire pour faire le vide, se débarasser des préjugés et repères habituels pour reconsidérer son existence, son identité, entre vie et mort, Eros et Thanatos, yin et yang.
Adam, dont la fascination pour le pays se ressent à chaque ligne, exprime avec justesse l’envoûtement, l’enchantement qu’un occidental de culture laïque, en particulier un(e) parisien(ne) habitué au bitume et à la grisaille, peut ressentir au contact de cette société baignée de mysticisme et de sacré, aux paysages et couleurs d’estampe. Comme il le fait dire à Sarah: « je voulais du vent, des marées, des fleurs de saison, l’attraction lunaire et l’équinoxe. »

Evocation sensorielle du Japon dans Le cœur régulier

Il restitue notamment avec poésie les paysages, couleurs et odeurs du Japon: ses « camélias aux feuilles luisantes, érables encore verts, maisons de bois, cloisons de papier, l’écru blond des tatamis« , le « parfum moite de bouillon et d’algues, de thé vert et de soja« , « la pluie lourde et tiède« , « l’air moite qui se gonfle de terre, de bois, de pierres et de lichen, de fougères trempées« , la lumière et les « ciels acides » (image qu’Adam aime à répéter de livre en livre…), les lanternes, les étangs couverts de nénuphars, les haies de bambou ou encore le ciel « griffé d’oiseaux » (autre image récurrente d’Adam).

Même si on pourra reprocher que ses descriptions tournent parfois à l’image d’Epinal ou un peu trop de lyrisme si on y est allergique: « une campagne douce et brumeuse ; « encerclée de montagnes vertes aux reflets roux et prunes, la vallée déploie ses carrés de rizière, ses cabanes de bois, ses arbres à kaki éparpillés… », « un silence gorgé d’eau, de bois et d’oiseux. »
Il n’empêche qu’on se laisse prendre à leur charme et pouvoir d’évocation qui nous transporte dans ce lieu à l’atmosphère source de paix intérieure et d’apaisement « constant, durable, minéral » comme l’expérimente l’héroïne: « Je pourrais à mon tour me répandre, me couler dans un ruisseau. Il y a si longtemps que je n’ai pas ressenti cela. Cette paix liquide à l’intérieur de moi. »
On pense à l’application du principe énoncé par Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray: « Seuls les sens peuvent guérir l’âme, tout comme l’âme seule peut guérir les sens. »
Les effets de la nature sur la psyché peuvent paraître encore ici mièvre ou trop « romantique », mais il n’en reste pas moins infiniment vrai.

A la recherche de l’apaisement

Ce thème de la quête du calme intérieur est en effet central au livre dont le titre reflète cet état qui manque cruellement à nos vie de citadins stressés.
L’auteur le souligne au sujet du mont Koya: « on dit qu’en le gravissant jamais le coeur ne s’emballe, on dit qu’une paix immense vous emplit l’âme et les poumons, comme si l’azur coulait dans vos veines. »
Il insiste également sur cette idée de faire corps avec, de se fondre dans la nature.

En outre, la magie, le mysticisme du lieu ajoute à son effet bienfaisant et réconfortant. Adam nous fait découvrir par bribes quelques traditions comme les tanukis, divinités du bonheur, et la multitude de symboles « qui semblent veiller sur nous, nous protéger de je ne sais quel péril« .
La beauté de ces cultes, sanctuaires et rituels, des prières face à des grands bouddhas dorés ou des offrandes étincelantes fascine et envoûte encore une fois le visiteur habitué à l’austérité laïque:
« J’ignore pourquoi ce lieu, la répétition de ces gestes, l’eau sortant du tube de bambou et courant sur mes paumes (…), l’odeur de cèdre brûlé m’apaisent à ce point. Mais j’aime qu’ici l’on chérisse ses morts en plein coeur de la vie, qu’à tout instant l’on interrompe le cours des choses pour se recentrer sur l’essentiel, ses souhaits les plus profonds, le sens de ses actes, l’amour qu’on porte à ses proches, sa famille, ses amis. »

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Comment trouver la force de « rester vivant » dans Le cœur régulier ?

Malgré tout, tout cela serait déjà vu et revu sans le personnage de Natsume Domburi, inspiré d’un vrai policier retraité Yukio Shige (à Tojimbo) (voir article de Libé qui a inspiré Adam), mystérieux « ange gardien » qui sauve et aide les âmes perdues venues se suicider sur les falaises fatales de son petit village. L’homme qui pose sa main sur l’épaule de ceux qui se tiennent à l’orée du gouffre tant au niveau physique que moral.
Pour faire le lien avec Sarah, il imagine que ce dernier a aussi aidé Nathan, son frère venu séjourner chez ce bienfaiteur.
Sarah l’observe et tente de comprendre ce travail de l’ombre qu’il mène. Ce faisant Adam explore les thèmes difficiles du suicide et comment surmonter une tentative, retrouver goût ou au moins un équilibre dans sa vie après des tragédies.
Qu’est-ce qui nous tient en vie, debout ? Pourquoi « rester vivant » selon l’expression de Houellebecq ? Comment surmonter le poids parfois anéantissant des épreuves, « se relever », où puiser l’énergie, le courage quand les réserves sont à sec ? L’auteur n’apporte pas vraiment de réponses, probablement parce que cela ne s’explique pas, comme en témoigne ce dialogue laconique entre Sarah et une résidente de la pension où elle loge, à propos d’un couple de suicidés:
« Pourquoi ils ont fait ça à votre avis ?
Vous croyez vraiment qu’on peut répondre à ce genre de question. »

En imaginant la vie des protégés de Natsume, il esquisse malgré tout un début de réponse semble-t-il: une phase de détachement de soi où l’on se recentre sur les fonctions primaires, élémentaires de la vie, tel un retour à l’état originel: manger, dormir, marcher, humer l’air, contempler la nature et partager silencieusement avec cette étrange communauté transitoire ce même fracassement intérieur au sein de laquelle des liens éphémères se tissent, y compris charnels pour lentement ré-apprivoiser et reconstituer les fragments épars de sa vie et parvenir à cette fameuse résilience. C’est cette retraite à « la lumière tamisée » et au « désordre rassurant » où se mêlent « les odeurs de riz blanc et de légumes, d’épices douces et de soja« , que leur offre Natsume.

Il souligne ainsi le pouvoir des « petites choses » pour affronter les plus grands chaos ou tout simplement pour ne pas sombrer. Cette idée revint régulièrement dans le texte dans des contextes variés:
« Je sentais bien comme la mécanique du quotidien avait le pouvoir de me remettre à flot. »

A propos de sa mère suractive à la nouvelle de la mort de son frère:
« Je suppose qu’elle avait besoin de ça, s’accrocher à ces activités concrètes et successives, j’avais l’impression qu’elle avait fait ça toute sa vie, que toute sa vie elle avait tenu ainsi, arrimée au quotidien, au pratique, ne laissant jamais la place à autre chose. S’occuper de nous, veiller à notre santé, notre bien-être matériel, était sa façon de nous aimer. »

« Le réseau serré de fils que j’avais tissés pour me retenir à la surface, la succession de tâches
professionnelles, sociales, amoureuses, domestiques, qui me donnaient une contenance
. »

En dépit de sa noirceur, Adam semble refuser la possibilité ou la volonté du suicide, comme il le fait dire à Natsume qui croit fermement que:
« Personne n’a envie de mourir. Tout le monde veut vivre. Seulement, à certaines périodes de votre vie, ça devient juste impossible. »
Il élude aussi la question du « sens de la vie » qui n’a pas de sens en tant que tel, comme il le fait encore dire à son homme de façon assez dogmatique, sans prendre en compte la complexité de l’esprit humain: « non, il n’y a pas de sens, il y a juste la vie, et il faut la vivre. Comme une plante vit. Comme un animal vit. Inspirer, expirer. C’est tout. »

Adam démontre aussi le besoin humain d’avoir quelqu’un qui s’occupe de soi, ce qui est normalement une des fonctions de la famille, souvent dévolue à la mère. Mais qui s’occupe de la mère quand celle-ci s’effondre ? La société n’est pas forcément organisée pour puisque historiquement les mères sont censées être les piliers de la famille. Adam se plaît à dynamiter ce principe comme il l’avait déjà fait dans A l’abri de rien avec la mère qui délaisse progressivement sa famille alors qu’elle se laisse déborder par son investissement dans l’aide aux migrants.
Les pères se retrouvent alors seuls pour mener la barque familiale.
De façon intéressante c’est aussi un homme, Natsume, qui recueille les âmes échouées aux bords des falaises et « s’en occupe », les requinque, prend soi d’eux. Comme le résume Nathan:
« Il s’occupe de nous, c’est tout. Ca fait du bien par moments d’avoir quelqu’un pour s’occuper de vous.
Il est là quand on se réveille, il nous fait un café, on discute, on se promène, on se repose
. »
Il définit sa mission comme de « protéger les gens contre eux-mêmes » et « sauver les gens fissurés que la vie fauchait. » Dommage qu’il ne puisse s’empêcher au passage d’entonner son refrain habituel de « c’est la faute à la société »…[Alexandra Galakof]

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Genèse du roman Le cœur régulier d’Olivier Adam:
Il explique que c’est un article de Libération sur Yukio Shige qui l’a inspiré de même que l’envie d’écritre son « roman japonais »; après avoir séjourné en résidence là bas. C’est l’image d’ouverture du livre qui est d’abord née dans son esprit: celle de « Sarah, ayant trouvé refuge dans un petit village japonais, passant ses journées à errer dans les rues, les sanctuaires, les temples, la forêt. J’ignorais encore ce qu’elle cherchait. Et puis je suis tombé sur cet article. Et j’ai su. Il y avait tout, là-dedans : les falaises, le Japon, non pas le suicide mais son contraire, le refus du suicide, la reconstruction des gens qu’il empêche de sauter, et, ce qui m’intéresse particulièrement depuis trois livres : le soin que l’on porte aux autres, une forme de fraternité, dans le sens le plus humble et le plus concret du terme. Qui s’occupe de qui ? Qu’est ce qui reste du collectif, de la solidarité, dans des sociétés aussi fondées sur l’individualisme, l’égoïsme, le rendement, la compétitivité (donc la compétition entre les êtres) que les nôtres (qu’il s’agisse de la France ou du Japon). »
Pour l’écriture, il indique que: « Aux deux tiers du livre, je suis reparti au Japon, mais pas pour me documenter. Plutôt pour nourrir le livre d’images, de sons, d’odeurs, de sensations. » (source: interview de Chroniquesdelarentreelitteraire.com, 2010)
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A propos du film Le cœur régulier adapté par réalisatrice Vanja D’Alcantara en mars 2016 avec dans le rôle de Sarah la lumineuse Isabelle Carré qu’Adam apprécie tout particulièrement :

le-coeur-regulier-olivier-adam-analyse-critique-extraitsA propos de Yukio Shige, le policier japonais à la rentraite ayant inspiré le personnage de Natsumé dans le roman:
La réalisatrice Vanja D’Alcantara a d’ailleurs rencontré le vrai Shige pour les besoins du film : « La rencontre avec le vrai Yukio Shige a d’ailleurs été très inspirante pour concevoir le personnage, car, contre toute attente, c’est un homme plutôt rustre. Rien à voir avec l’image du moine bouddhiste que l’on pourrait se faire. Au contraire, c’est un type pragmatique qui fait ce qu’il a à faire, par utilité et par devoir« .

A propos du film, Olivier Adam commente: « Le coeur régulier, c’est (…) une sorte de miracle. En le découvrant, outre sa très grande beauté plastique et sa justesse, j’ai été frappé par sa proximité, gémellaire presque, avec ma pulsation interne, mon rapport intime au temps, au cadre, au silence, aux gestes, à la géographie, aux éléments… Le film de Vanja d’Alcantara constitue à mes yeux une parfaite et lumineuse épure, au sens le plus noble du terme, japonais donc, du roman qui en a été la source. Elle en a fait surgir le coeur secret. J’ai eu la sensation très nette de découvrir sur l’écran, dénudés, étincelants, les paysages et les visages mêmes qui ont guidé son écriture. »

Vanja D’Alcantara explique sa démarche artistique et son rapport au Japon : « Le film invite à faire ce voyage en évoquant la vie, la mort, le chemin initiatique vers une nouvelle forme de liberté, une ouverture, un éveil. C’est toute ma quête. Et je ne pouvais pas rêver d’un meilleur terrain que le Japon ! La force de la nature, le rapport au silence, la conscience de l’éphémère sont très imprégnés là-bas. C’est ce qu’on retrouve dans la philosophie bouddhiste« .

* Olivier Adam a d’ailleurs été lauréat du prix littéraire Eugène-Dabit du roman populiste en 2007 pour « A l’abri de rien ». Il récompense une œuvre romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ».

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