Extrait de « Les juins ont tous la même peau », par Chloé Delaume

« Je ne sais pas parler aux morts. Enfin, aux morts que je ne connais pas, que je n’ai jamais connus, que je ne pourrais jamais connaître. Parler aux anciens morts tous proches minaudant déjà loin, je sais. Autant qu’aux déjà presque morts. Mais aux corps étrangers, à ces osso-buco filandreux génétiques, à ceux qui ne m’ont jamais parlé, jamais parlé à moi, au moins une fois à moi toute seule.

Là c’est une autre histoire. Je ne sais plus rien du tout. Comment on parle à ces morts-là. Quel ton on se doit d’employer. Sur les cordes vocales amorcer si mineur aigues charmilles, ou plutôt fa profond, le dièse de la distance fourbu de violacé. Je n’en sais rien du tout. Adopter quoi, le vouvoiement le tutoiement. Lino marbré troisième personne du singulier majuscule à pompons, ou le i creusé, au contraire. Personne ne sait. Comment on parle à ces morts-là. Personne n’ose forcer la serrure, en tout cas pas officiellement.

Alors un mort comme celui-là, comme mon mort, mon mort principal, je dois m’y prendre comment avec. Comment avec un mort qui ne m’a jamais parlé et qui pourtant m’a dit. Il ne m’a jamais fait que cela, rien d’autre de visible à l’œil nu. Comment parler à ce mort-là, c’est une question, je me demande. Peut-être que. Je ferais mieux de la fermer, ça règlerait bien des problèmes. »

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