« J’aime beaucoup ce que vous faites » : plus qu’une revue, un objet littéraire…et affectif

Mardi soir dernier (le 20 juin) se tenait à la librairie du Palais de Tokyo à Paris, le lancement du second numéro de la revue littéraire « J’aime beaucoup ce que vous faites ». J’ai eu quelques mauvaises expériences avec les revues littéraires mais son titre et sa couverture épurée m’ont donné envie d’en savoir plus… Et puis tous les prétextes sont bons pour aller à la librairie du Palais de Tokyo ! Ce bi-annuel, diffusé à 1000 exemplaires, lancé en octobre 2005 se propose d’explorer les coulisses de l’écriture, les « chantiers » de l’écrivain, l’avant-texte , le fragment…, à travers des créations très conceptuelles d’auteurs mais aussi d’artistes plasticiens. En une phrase « montrer le texte comme forme plastique ». Rencontre avec les fondateurs Christian Alandete et Agnès Violeau :

Première surprise : ces deux trentenaires ne sont ni éditeur, ni écrivain, ni critique littéraire, mais commissaires d’expositions et critiques d’art. Leur approche s’en ressent : « Prendre le livre et l’écriture comme un objet, l’aborder de manière périphérique, questionner les espaces du livre, la matière du livre (pour reprendre un terme de Paul Valéry), étudier les rapports entre la littérature et les arts plastiques ».

On y trouvera des documents d’auteurs (notes d’écritures, tapuscrits corrigés, textes annotés, variantes d’écritures, documents divers, etc), des fragments de textes inédits, (en cours de publications, jamais publiés, ou impubliables dans le cadre du livre, etc.) des propositions de plasticiens interrogeant le livre et la littérature, des signes de sa réception et de sa transmission (dédicaces d’anonymes, palmarès des livres empruntés, etc).

Mais pourquoi le livre comme sujet de prédilection ? Tout simplement pour leur passion de la littérature et plus particulièrement de l’écriture contemporaine. Même s’ils avouent n’avoir pas beaucoup de temps pour lire les autres revues littéraires existantes… Ils contactent en général les auteurs avec qui ils souhaitent travailler et réfléchissent ensemble à un concept créatif autour de son oeuvre ou son univers.

Christian Alandete, par exemple, nourri de Margueritte Duras et d’Hervé Guibert, apprécie de jeunes auteurs aussi variés que Nina Bouraoui ou Nicolas Pages (photo ci-contre à gauche, à ne pas confondre avec Martin Page, )… Ce dernier est d’ailleurs « la star » de ce second numéro avec un travail original de mise en abîme de son dernier roman « Super G » paru en 2005 chez Flammarion.
Il livre un nouveau récit sur la base du remix de l’initial reproduit sous la forme de photocopies brutes de ses pages originales, raturées et ré-assemblées : « une histoire dans l’histoire », résume Christian Alandete.
Le résultat est pour le moins surprenant.

Précisons que Nicolas Pages, dont le nom est aussi le titre d’un célèbre roman de feu Guillaume Dustan qui en était amoureux fou, est également artiste (architecte, peintre, photographe) et a étudié les Beaux-arts à Lausanne. Etudiant, il avait détourné les fameux bandeaux rouges qui ornent les romans pour signaler l’obtention de tel ou tel prix…, en les attribuant à d’autres romans ou en inventant de nouveaux qu’il allait offrir au hasard des rayons des librairies. Il reprend le principe ici en imaginant un bandeau « Front de pages » pour la revue, terme à la fois technique et clin d’oeil à son nom de famille.

On trouve également une nouvelle de Marcelline Delbecq en plan vertical sur les péripéties d’une starlette hollywoodienne et un jeu sur les célèbres lettres HOLLYWOOD, ou encore des photographies de Mounir Fatmi (ci-contre à gauche), une interprétation visuelle et détonnante (dans tous les sens du terme) de son rapport personnel aux livres. Ou encore en fin de recueil le « road movie » d’Aurore Dumas (photo ci-dessous à droite), auteur (en attente d’une première publication), artiste plasticienne et styliste, tout juste 30 ans et présente à la soirée.

Entre deux verres de champagne, elle m’explique sa démarche : C’est la vue d’un manuel d’astronomie au milieu de guides du routard dans la bibliothèque d’un ami qui l’a inspirée ! De cette « vision » est née une histoire en forme de tribulations de Marne La vallée à la foire internationale des santons d’Aubagne ou encore dans Paris « intra-muros » du côté d’Etienne Marcel ou du passage Brady et pour finir le plan de travail de la cuisine… Des trajectoires qui jouent avec les illustrations cartographiques du plus grand au plus petit : carte de France, plan de Paris et plan d’appartement sur lesquelles Aurore a superposé des constellations astrales (Cassiopée…). Une invitation à un voyage énigmatique…

Extrait :
« Pour faire un bon road movie il faut :
– un déplacement : souvent synonyme de quête existentielle, une sorte de périple, à travers un pays ou une ville. Cet itinéraire se doit d’être mûrement réfléchi, les étapes sont susceptibles d’ajouter suspens et sens. A l’issue du voyage, c’est inévitable, les protagonistes s’en sortiront si ce n’est grandis au moins transformés.

– un moyen de transport : dans un souci d’originalité, la Ford Mustang si possible décapotable et de toute façon très poussiéreuse a été d’emblée écartée. »

Des créateurs très sympatiques et une revue qui, au delà de ses abords déroutants, mérite assurément le coup d’oeil ne serait-ce que pour sa dimension ludique et inventive ! Pour le prochain numéro, une participation d’Ariel Kenig est attendue, basée sur la documentation de son dernier livre « La pause ».

Plus d’infos pour vous abonner sur le site de la revue

« J’aime beaucoup ce que vous faites« 
Générique complet : Laetitia Benat, Marcelline Delbecq, Aurore Dumas, Mounir Fatmi, Hervé Guibert, Danielle Mémoire, Olivier Mosset, Nicolas Pages, Christian Robert-Tissot, Agnès Thurnauer, Rachel Whiteread.

La revue est ouverte aux propositions même si seuls 2 auteurs peu connus voir inconnus sont publiés à raison de 2 numéros par an… Le critère de choix ? « Des écritures vraiment très singulières ».

6 Commentaires

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  1. c’est un très bel objet
    une belle expérience et un sacré courage et de très belles invitations au voyage.
    Aurore joue avec les mots comme avec nos neurones et ça…ça fait du bien.
    merci à tous

  2. Oui c’est une initiative intéressante et originale. Je qualifierai même cette revue-objet de "cabinet de curiosité". On la parcourt comme un lieu étrange et subliminal…
    Bonne lecture !

    • Elodie sur 1 juillet 2006 à 19 h 26 min
    • Répondre

    La revue est en vente à la librairie de Tokyo si j’ai bien compris ?

  3. Oui Elodie et également sur abonnement via leur site.

    Ajoutons que l’esprit de cette revue rejoint celui de Mark Z. Danielewski (La Maison des feuilles…).

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