« Les lecteurs : une race curieuse », par Christian Authier (Une si douce fureur)

Mais qu’est ce qui peut bien motiver les lecteurs à se plonger dans des feuilles imprimées alors que la vie offre tant de sensations autrement plus réelles et tangibles ? Une question à laquelle Christian Authier, auteur sensible, répond. Et rend ainsi un bel hommage au formidable et indispensable pouvoir de la fiction… L’impossibilité de vivre sans « traîner avec des livres dans les poches et des phrases dans la tête »

« Ceux qui vivent dans les livres, par et pour les livres forment une race curieuse. Pourquoi se retrancher de la réalité et des vivants pour engloutir des centaines de milliers de pages écrites le plus souvent par des morts ou des inconnus que nous ne rencontrerons jamais ? A quoi bon refuser la « vraie vie », au profit d’histoires imaginées ou réinventées ? Pourquoi, parmi ces lecteurs frénétiques, certains jugent-ils bon parfois d’ajouter quelques pages aux bibliothèques déjà existantes ?

Tout simplement parce que nos existences et nos sentiments ne sont finalement justifiés que lorsqu’ils reçoivent l’onction de la fiction ou de la création littéraire.
Les livres qui nous accompagnent sont des preuves précieuses. Ils nous confortent dans nos erreurs, nos doutes, nos croyances, nos colères, toute cette somme de mollesses et de crispations qui fait de nous des inadaptés. Ce sont les papiers d’identité de clandestins qui trouvent dans la compagnie des ombres que nous permettent les écrivains une franc-maçonnerie informelle. La littérature ne possède aucune valeur thérapeutique. Un temps, elle peut nous anesthésier, elle ne nous guérira pas de nos plaies et blessures. Ce n’est pas son rôle. Nous traînons avec des livres dans les poches et des phrases dans la tête. Pas dupes de cette fragile mais précieuse carapace, nous nous ébrouons dans une dimension parallèle, entre les vivants et les morts, entre notre réalité recomposée et celle, sèche et étroite, des autres humains. C’est cet « état d’esprit » qui fait de nous des êtres à part, des réfractaires, des marginaux
. » Une si douce fureur- Christian Authier

Visuel : peinture de Francine Van Hove

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