Un pur moment de rock’n roll de Vincent Ravalec : Nouvelles de zonards à la Hubert Selby, version titi parisien

Premier recueil de nouvelles de Vincent Ravalec, Un pur moment de rock’n roll, paru en 1992 (couronné du 1e prix de Flore !) est un concentré d’humanité à la fois fragile et pittoresque, émouvante et pathétique : celle des cancres, des zonards, voyous, taulards junkies ou des « petites putes »… Un microcosme interlope dans lequel il a toujours évolué, lui le banlieusard de Clamart qui a échoué à son CAP menuiserie ! « Ce milieu, j’évolue dedans depuis mon adolescence. Les héros de mes bouquins ce sont mes potes, ceux avec lesquels je vis tous les jours. », dit-il. Dans le genre qu’il maîtrise à la perfection (la nouvelle) et qui se prête le mieux à sa langue orale, nerveuse et vivace, il brosse leurs portraits avec humour et tendresse, évitant tout cynisme ou sordide et dépeint des situations toutes plus cocasses les unes que les autres… Un film (resté assez inaperçu), adapté de ce recueil (et de « Les Clefs du bonheur ») a même été réalisé par Manuel Boursinhac (avec Vincent Elbaz et Samy Naceri).

« J’ai remarqué que quand la dope est bonne, il y a toujours d’autres galères qui nous tombent dessus. Comme si on avait une sorte de quota de malchance : quoi qu’on y fasse il y a des choses auxquelles on a droit.« 

En cinq courtes nouvelles, façon polaroïds et au style inimitable, nous entrons comme par effraction dans la vie de jeunes apprentis (dans la nouvelle qui a donné son superbe nom au recueil). Un vrai bijou d’ambiance et de dialogues. Peut-être l’une des nouvelles les plus autobiographiques puisque l’auteur a lui même traîné sur les bancs du CAP. Une classe d’apprentis de C.F.A : des ex « amoureux du radiateur » placés là à défaut d’autre choix : des « petits gars plein de vie, disaient les profs », plus intéressés par le baby-foot, la bécane et surtout le rock’n roll que leur future carrière d’artisan. « Une semaine sans baston et tout le monde repartait déçu. »

Ce sont aussi la garde à vue et la confrontation hilarantes entre un pauvre bougre, jeune voleur à la tire (et camé) chez Maison Bricolage et deux flics encore moins futés que lui. « Il me foutait les boules, c’était le printemps, personne n’a envie de tomber au printemps, en hiver non plus d’allieurs mais le printemps rendait les choses plus affreuses encore. » Sans oublier Juliette, « un canon », adolescente peu farouche qui très tôt s’est mise à tapiner pour s’approvisionner en came. « On a beau être l’égérie de ces messieurs, la came à l’oeil fallait pas rêver. » Elle enchaînera les cures de désintox et de sevrage sans succès avant sa fin tragique. On pense à la Tralala d’Hubert Selby.

« Ca avait beau cotillonner sec à droite et gauche, on est rentrés au quartier la bite sous le bras. J’aurais bien profité de la solennité du moment pour dragouiller un peu mais je suis resté digné. On laisse pas un pote dans la panade un soir de Noël. Et puis c’est lui qui avait la came. »

Ce sont encore « Never twice », champion de la virilité et tombeur de ses dames, dont la fascination narcissique pour son phallus le conduira sur la table d’un chirurgien peu scrupuleux… Le meilleur est à la fin avec une nouvelle tragi-comique (Devant la station service) sur une fellation rocambolesque par une prostituée, machouilleuse de malabar, en quête d’amour. On retrouve l’atmosphère des nouvelles de Thomas Gunzig : « J’étais là comme un con avec mon billet froissé et elle qui me regardait les yeux pleins de maquillage affreux, qu’est ce que j’aurais dû faire ? La prendre dans mes bras ? Mince, au départ il était question de se faire sucer, j’étais pas préparé pour ce genre de situation. »

Des mômes « Gavroche », tous plus loosers les uns que les autres, mais toujours avec panache qui cherchent une voie pour s’en sortir ou tout simplement quelques instants de plaisir… « Ils sont vivants, ils sont marrants et ils se plantent en beauté… » Dans son style vitaminé, très picaresque, relevé à l’auto-dérision, Vincent Ravalec zoome sur huit destins amers et épicés des galériens flamboyants des faubourgs parisiens. Un peu comme l’avait fait, avec beaucoup plus de noirceur, Hubert Selby dans son recueil Last exit to Brooklyn. [Alexandra Galakof]

Ces nouvelles sont désormais réunies avec un autre recueil : Les clefs du bonheur
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Anecdotes sur la publication:
Ravalec a envoyé son manuscrit d’Un pur Moment de Rock’n Roll sans avoir lu un seul des textes de son futur éditeur Le Dilettante, seulement pour ses couvertures rutilantes à la fois kitsh et décalées.
Dans son roman « L’auteur« , il explique qu’il aurait subtilisé le papier en-tête d’une chaîne de télévision afin de se confectionner une fausse lettre de recommandation auprès de son éditeur. Un « garnement » prêt à tout, à l’image de ses personnages !

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