« En panne de spirituel » (Doukhless) par Sergueï Minaev, le nouveau Beigbeder russe

Paru au printemps dernier et vendu en quatre mois à plus de 200.000 exemplaires, Doukhless (mélange de russe et d’anglais) signifiant « En panne de spirituel » ou « Un homme sans substance » en français, est le roman best-seller de Sergueï Minaev (photo ci-dessous), un trentenaire moscovite jusqu’alors inconnu, qui livre ici une satire de la nouvelle caste de cadres supérieurs russes, à l’heure du capitalisme : snobs, camés et passablement dépressifs… A travers ce portrait au vitriol, dédié à la génération des années 70, il dénonce la perte de valeurs et de repères dans le chaos économique de la Russie post-soviétique. Ca vous rappelle quelque chose ?

Dans la veine d’un Viktor Pelevine (écrivain russe connu pour ses romans pamphlétaires sur la « dollarisation de sa patrie »), Minaev se glisse, à la première personne, dans la peau d’un hommes d’affaires trentenaire, occupant une situation confortable de directeur commercial chez Tanduelle, une grosse société d’agroalimentaire française qui vend des boites de maïs et de petits pois. Mais cette aisance financière ne le rend pas heureux. Il trompe ses angloisses en flambant son fric dans une vie nocturne débridée, ponctuée de prises de coke dans les toilettes de clubs branchés et de sexe désabusé avec de jeunes créatures cupides et superficielles… Souffrant de solitude, il déteste l’humanité entière et décourage même de façon cruelle et deséspérée ceux qui seraient tentés de l’aimer. Il trouve tout de même le temps de lire Michel Houellebecq et Bret Easton Ellis et de regarder de vieux films de avec Marlène Dietrich…

En exergue du roman, on trouve une longue citation de Georges Orwell qui reflète assez bien l’esprit du roman : « Quelles sont les valeurs auxquelles étaient attachées par une foi religieuse nos ancêtres et que l’on pourrait prendre au sérieux aujourd’hui ? Le patriotisme, l’empire, la famille, le caractère sacré du mariage, l’honnêteté, la discipline… aujourd’hui chacun peut, en un battement de cils, remettre tout cela en cause. Mais à quoi aboutit on lorsque l’on a rejeté ces valeurs immuables ? »

Bref que reste-t-il quand on a assisté à la destruction du monde ancien et que l’on a préféré se jeter à corps perdu dans le matérialisme plutôt que de construire un monde nouveau ? : l’absence totale de désir et de vie intérieure, affirme l’auteur dans ce livre pessimiste.

Témoignage vivant sur les rites de la nuit moscovite, le langage des branchés mélangeant anglicismes et gros mots avec trois formules clé (« totalement ringard, oublie çà et qu’est-ce que ça peut foutre ? ») et leurs marques de prédilection (de Gucci à Dom Pérignon…), le livre de Minaev accumule les détails sur des lieux, des personnages et des situations connues. On y reconnaît par exemple aisément Senicha, le promoteur des célèbres clubs Zima et Diaguilev. Et n’hésite pas à se moquer de la propagande et du pouvoir politique…

Le peuple, en particulier les classes moyennes, s’est rué en masse pour lire cette critique acerbe de cette nouvelle élite snob, superficielle, corrompue et immorale.

La critique parle, elle, « d’un cocktail (molotov) de réalisme et d’onirisme » et a qualifié Doukhless de « roman anti glamour », ou encore d’« épopée du cynisme moderne » et, pour les Izvestias, « Notre réponse à 99 francs« Beigbeder » (qui prépare d’ailleurs coincidence un livre sur Moscou justement !). En effet, le livre partagerait de grandes ressemblances avec le 99 francs de notre publicitaire-écrivain national. Certains allant même jusqu’à parler de plagiat pur et simple transposé dans la réalité moscovite. Et de citer l’extrait où Octave, l’anti-héros parisien toise dédaigneusement ses collègues portant leur pull sur leurs épaules, manches nouées autour du cou, considérant cet accoutrement comme un des combles du mauvais goût comparé au héros de Doukhless, qui fier de ses mocassins anglais et de son T-shirt italien, méprise son subordonné pétersbourgeois ayant fait construire un sauna dans sa datcha avec ses premiers salaires, alors que lui, est allé se gaver d’ecstasy et de champagne dans les boîtes de nuit parisiennes. Une accusation qui paraît tout de même exagérée…

Hélas, Minaev aurait la plume laborieuse et un vocabulaire limité qui peinerait à faire naître la moindre scène vivante et inattendue. Les innombrables citations qui émaillent son livre seraient ainsi des béquilles insuffisante pour lui insuffler un vrai style littéraire, contrairement au brûlot de Frédéric Beigbeder. Des défauts qui ne l’empêchent pas de préparer son prochain roman « Media sapiens » sur le monde des relations publiques et de la communication.

Un phénomène littéraire qui attise en tout cas la curiosité. A quand la traduction en français ?

Sources : « Le Courrier de Russie », « Livres hebdo », « Context » et « L’Alblum »

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