« Les particules élémentaires » de Michel Houellebecq: la lecture politique et sociologique (suite)

Suite de la critique du roman « Les particules élémentaires » : la lecture politique et sociologique

Les « Particules élémentaires » peut aussi être lu d’un point de vue politique et vu alors comme un roman à thèse (ce qui n’est sans doute pas la lecture la plus intéressante à en faire). Critique acerbe des années hippies, du féminisme ou encore de l’intelligentsia gauchiste mitterrandiste très « gauche caviar »… Il stigmatise aussi le fait d’appartenir à une génération marquée profondément par le vocabulaire creux et pompeux du marxisme, dénonçant combien tout ce qui prétend libérer l’individu l’aliène au contraire. Grand Héraut de notre médiocrité moderne, il s’attaque aussi au schéma du modèle privé : toutes ces relations humaines non rentables que la société de consommation balaye sous le tapis.

Par ses prises de position, l’auteur se retrouve au cœur de scandales (sur le tourisme sexuel ou encore l’Islam) et accusé de tous les maux : réactionnisme, aigreur, vengeur, racisme (texte transmis par Bruno à Sollers sur « les nègres » notamment), cynisme et pessimisme (« déprimisme »), perversité, eugénisme, misogynie, misanthropie, et surtout de nihilisme…
Cette dernière critique est assez étrange. La littérature doit-elle être porteuse d’espoir, doit-elle être constructive pour exister et être légitime ? En dépit de ce non-sens, les détracteurs de l’auteur n’ont pas hésité à lui reprocher « sa complaisance envers les formes les plus délétères, les moins énergiques de la sensibilité. ». D’autres voient au contraire en Michel Houellebecq, le plus grand écrivain « postmoderne » de ce siècle, un des « plus pénétrants, des plus incisifs pour décrire notre époque contemporaine et sa décadence. », qui « ouvre d’un grand coup de scalpel le corps malade de notre société et découvre le vertige des gènes chez un homme à la sexualité perdue. » , dont on savoure « les réflexions philosophiques, fatalistes et ultra-pessimistes du narrateur ».

Certains ont aussi analysé la « sociologie des classes moyennes » qu’opère l’auteur aussi bien dans « Extension du domaine de la lutte » que dans « Les particules élémentaires ». Si l’on reconnaît des éléments identiques (l’hôpital et les psychiatres, les Trois Suisses) ou équivalents (Monoprix, le Gymnase Club), les lieux sont quelque peu différents (Meaux, mais aussi “la Côte”, l’Irlande), et le milieu diversifié (à côté du privé, avec la chirurgie esthétique, le public, avec le CNRS, côté scientifique, et le lycée, côté littéraire). Les boîtes échangistes ont remplacé les discothèques, et les déplacements professionnels en province ont cédé la place au camping sexuel, New Age ou naturiste. De l’ethnographie, on passe pareillement à une forme de sociologie : les personnages sont des types sociaux, tel Bruno, “représentatif de son époque”, telle aussi sa mère Janine, qui entre dans “la décourageante catégorie des précurseurs”, tel enfin son demi-frère Michel, figure plus rare du “révolutionnaire” ou du “prophète” (ibid.). Enfin, le dégoût s’exprime moins désormais par la violence du rejet que dans une lassitude ironique : Michel vivait dans un monde (…) rythmé par certaines cérémonies commerciales – le tournoi de Roland-Garros, Noël, le 31 décembre, le rendez-vous bi-annuel des catalogues 3 Suisses. Homosexuel, il aurait pu prendre part au Sidathon, ou à la Gay Pride. Libertin, il se serait enthousiasmé pour le Salon de l’érotisme. Plus sportif, il vivrait à cette même minute une étape pyrénéenne du Tour de France. Consommateur sans caractéristiques, il accueillait cependant avec joie le retour des quinzaines italiennes dans son Monoprix de quartier. (source : Eric Fassin) [Alexandra Galakof]

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.