« Vieilles peaux » d’Anna Rozen : Arsenic et vieilles dentelles…

Anna Rozen, l’auteur sensuelle et épicurienne de « Plaisir d’offrir, joie de recevoir » ou encore de « Méfie-toi des fruits », aurait-elle peur de vieillir et du spectre de la mort ? Ce nouvel opus, composé de trois amples nouvelles, pourrait bien lui servir à exorciser ses angoisses. Quoi de mieux en effet que de se projeter, avec l’ironie malicieuse dont elle a le secret, pour éradiquer ! La romancière âgée de 47 ans explore ici à sa manière l’archétype de « la femme mûre » sautillante, égocentrique, anxieuse ou résignée et termine sur un exercice de style non sans rappeler le récent Microfictions de Régis Jauffret. Des variations inégales mais savoureuses qui ne manquent pas de mordant !

La vieille dame et les jeunes-hommes : C’est tout d’abord la « vieille peau » de Cressida Bloom, pseudonyme sulfureux (Françoise de son nom de baptême !) d’une écrivain à succès vieillissante, la soixantaine, qu’elle nous présente dans « Postérité ». Savant mélange de Charlotte Rampling dans Swimming pool et de Tatie Danièle, elle est une de ces vieilles dames adorables et détestables à la fois. Maniaque, égocentrique, snob et un brin cynique, elle se met en tête de trouver un « agent littéraire pour sa postérité ». Sa mission ? Collecter et archiver tous ses écrits personnels qui seront à diffuser à son lectorat une fois disparue. Mais trouver la perle rare s’avère une mission délicate : du casting aux essais d’embauches, la vielle dame n’est pas au bout de ses surprises et pourrait bien être mise au défi…

Sous ses abords légers, cette nouvelle (la meilleure), aux accents Wildiens, s’avère plus profonde et livre une réflexion sur la peur de la mort qui nous taraude et une certaine conception de la vie. Comment chacun affronte ses doutes et incertitudes. Anna Rozen fait aussi se confronter deux générations celle de Cressinda (qui évoque une parente de « Lord Henry » dans Le portrait de Dorian Gray) et celle des trentenaires à propos desquels elle dit : »Ils sont tous comme ça à cet âge. Prenne le moindre scénario pour de la littérature. (…) Ils ne comprennent que ça les clichés, une génération de poulets élevés en batterie, manger, dormir. Le reste c’est trop compliqué. » tandis que l’un deux lui réplique : « Votre peur de la mort ne fait pas de vous une grande vivante comme vous le croyez. Vous êtes juste terrifiée et matérialiste, vous amassez, vous vous construisez une statue de papier (…). »

S’ensuit l’histoire d’un couple de petits vieux « Marthe et Fernand » anesthésiés dans leur vie monotonique vouée à la « maintenance scrupuleuse de leur pimpante habitation » pilotée par la tyrannique maîtresse de maison. Anna Rozen décrit ici, avec une cruelle précision (à la Dorothy Parker !), leurs chorégraphies domestiques à la répétitivité mortelle où « les interprètes se croisent sans heurts, dans la cuisine ou le salon, à table ou entre les fauteuils« .

En clôture de cette trilogie, dans « Pas moi », l’auteur s’est aussi laissée tenter par le « roman-foule » inauguré par Régis Jauffret dans ses récentes « Microfictions« . Sa conclusion, « Je ne suis pas moi. Je suis tous les autres. Les autres sont moi. Donc il n’y a personne. », fait d’ailleurs écho au « Je est tout le monde et n’importe qui » de ce dernier.

De la même façon, elle endosse ainsi en vagues successives, des vieilles peaux avec leur « petite retraite », qui trouvent que « tout fout le camp », une veille américaine qui compte ses piécettes avec les mains qui « TREMBLENT », une vieille fille de quartier gavée de TV… certes, mais aussi celles aussi variées d’une fille qui pleure dans le métro, d’un chat perdu, d’un peintre onirique ou encore d’une guichetière…
Sans oublier les incontournables figures d’écrivains ou de publicitaires (l’auteur a travaillé en tant que conceptrice-rédactrice). Si l’exercice de style peut finir par ennuyer (et faire croire à la fainéantise d’un vrai récit), on y trouve tout de même quelques beaux portraits comme celui de « la blonde du laboratoire d’analyse » ou ceux plus insolites du « paréo rose » ou de la « chaussure neuve d’été ».

Anna Rozen démontre ici encore tout son talent pour saisir ses petites vérités qui font mal et autres détails qui tuent avec son charme désinvolte et acide pour mieux conjurer nos manies, coquetteries et mesquineries ordinaires. Elle parvient à éviter l’écueil du cliché qu’elle frôle avec ironie sans jamais y succomber. Et s’aventure, avec un certain succès, vers des personnages inédits à son répertoire habituel (femme divorcée, couple, étudiants…). On regrettera toutefois l’abus de name-dropping (d’Henry Miller à Kingsley Amis en passant par A.L Kennedy ou Philippe Jaenada…) et des références de type « Vogue » ou le site « Beautiful agony » qui alourdissent son style et sonnent un peu « catalogue ».
Saluons enfin la couverture signée Dupuy et Berbérian (les papas de Monsieur Jean et le second également papa de la fille d’Anna Rozen) qui illustre avec subtilité (et galanterie !) les « peaux ridées »… sur une feuille froissée !
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A noter qu’Anna Rozen travaille actuellement sur un projet de roman graphique avec Ludovic Debeurme intitulé pour l’instant « La bombe et moi » qui racontera les mésaventures d’une jeune femme tiraillée entre sa libido (débridée) et sa candeur de « fille sage », à la façon d’un Dr Jekyll et Mr Hyde… La date de parution n’est pas encore connue mais l’éditeur devrait être Denoël Graphic (sous réserve).

Rubrique Buzz+ : Un entretien complet avec Anna Rozen et son éditeur Dominique Gaultier, fondateur des éditions « Le Dilettante »
A lire aussi : Anna Rozen et Internet (extrait de sa nouvelle « Parle avec le monde ») et son journal en images sur le web.

Découvrez les autres romans d’Anna Rozen : Plaisir d’offrir, joie de recevoir, Méfie-toi des fruits, Encore et Bonheur 230.

4 Commentaires

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  1. Le livre le plus magnifique que j’aie lu depuis la rentrée… bravo à cet auteur pour ce livre délicieux!

  2. Très contente – et pas vraiment étonnée 🙂 – que tu partages aussi cette référence littéraire.
    Tu avais aimé ses précédents opus ?

    • Kikou sur 30 juin 2007 à 10 h 50 min
    • Répondre

    Ce livre est une merde effroyable. Mais il n’est pas aussi mauvais que Bonheur 230, ce qui est déjà ça…

  3. Bonjour Kikou, votre avis semble bien péremptoire. Des explications seraient bienvenues…
    Qu’est ce qui vous a paru mauvais dans ce livre (et dans le précédent que vous citez aussi) ?

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