« Le goût des femmes laides » de Richard Millet (extraits choisis)

Publié à la rentrée littéraire 2005 par Richard Millet, par ailleurs membre du comité de lecture de Gallimard et entre autres éditeur des « Bienveillantes », « Le goût des femmes laides », contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, est au contraire un plaidoyer, aux accents misogynes, en faveur de la beauté féminine conformément à tous les diktats en vigueur (jeunisme, poitrine proéminente, douceur et bien sûr minceur parfaite). Il est vrai que « Le goût des femmes belles et jeunes » aurait sans doute été un titre moins percutant et vendeur. Sous couvert d’apitoyer par la soi-disante laideur de son narrateur, le livre est surtout prétexte à présenter ses grandes théories bouffies d’orgueil, de certitudes, de préjugés et de discriminations en pagaille. Conservateur, régionaliste (la Corrèze dont est originaire l’auteur est présenté comme un paradis idyllique à longueur de pages), il cumule ainsi tous les traits détestables de cette France profonde qui regrette sans cesse le temps d’avant où tout était tellement mieux et qui considère la femme avant tout comme un joli objet à regarder (et à sauter quand cela est possible)…

Dans « Le goût des femmes laides », le narrateur (double transposé de l’auteur), journaliste-écrivain raté de son état, raconte son parcours (de combattant) sentimental et surtout sexuel d’homme qui se dit « laid » et explore, sous ce prétexte, les rapports entre beauté, désir, féminité ou encore plaisir sexuel… Mais aussi la misère sexuelle et la fréquentation des prostitués. Pour lui la beauté intérieure n’est qu' »un piètre, un illusoire lot de consolation ».
Malgré son auto-accablement physique, le narrateur, « faute de séduire, soucieux de ne pas déplaire« , demeure malgré tout vaniteux d’ailleurs même sa laideur a finalement « quelque chose d’aristocratique, plus proche de Mirabeau que de Quasimodo« . Mais c’est surtout à travers ses jugements rétrogrades à l’emporte-pièces, ses généralités incroyablement réductrices et souvent sexistes qui font presque sourire par leur naïveté ou leur stupidité, qu’il agace franchement. Un fabuleux manque d’ouverture d’esprit de vieux garçon persuadé d’être un génie incompris…

Problème n°1 : quand on est l’auteur d’un pamphlet sur la littérature contemporaine française (« Harcèlement littéraire ») où l’on déclare notamment : “Je ne lis presque plus mes contemporains, par dégoût de leur langage, manque d’intérêt pour leurs thèmes. (…) Le roman français souffre d’un manque d’ambition, d’architecture, d’intelligence, de culture même, et de la nostalgie de ce qu’il a été, autant que d’être fasciné par le modèle anglo-saxon- toutes choses qui me font mépriser à peu près tout ce qui paraît en France et n’avoir pas d’estime pour ce qui est généralement reçu comme littéraire”, on se doit forcément de n’écrire que des chefs d’œuvre ou au moins des romans supérieurs à ce que l’on dénonce.
Problème n°2: Faire des phrases longues avec force propositions subordonnées ne fait pas de vous l’héritier de Marcel Proust et ne vous confère pas « la noblesse littéraire », loin de toutes les vulgarité de ses pairs, dont on se réclame à longueur de pages, en se prenant pour « le dernier écrivain », revendiquant le « bien-écrire » dans tout son stupide académisme…

Bref, on l’aura compris, on éprouve guère de « jouissance grammaticale » (selon son expression dans « Harcèlement littéraire ») à la lecture de ses pages. Son style s’avère plus pompeux qu’élégant et souvent dénué d’une quelconque émotion.
Malgré ces défauts, ce livre n’est pas pour autant (totalement) inintéressant bien qu’il donne souvent l’impression de n’être que la pâle copie d’un sous-Houellebecq… (que Millet dézingue, entre autres, dans son « Harcèlement littéraire » : il paraît qu’il trahit « le style et la syntaxe », rendez-vous compte !).

Extraits choisis :

Sur son propre constat de laideur :
« Le beau n’est qu’un moment du laid (…) qui peut aussi bien être tournée de manière inverse… »
« Nous ne sommes laids que dans le regard que nous croyons que les autres portent sur nous. » « J’allais devoir vivre avec ce masque épouvantable, oui, puisque personne ne se sent vraiment laid… »
« (Je serais) peu à peu amené à comprendre que toute vie est une plus ou moins lente façon de se résigner à ce qu’on est. »

Le pouvoir d’attraction des hommes laids selon lui :
« (…) un homme laid (laid de visage, s’entend, car la question de la difformité corporelle, du handicap, des blessures, est tout autre, et je ne parle ici, pour l’instant, que des hommes) passe pour bien monté, méchant, pervers, redoutable, solitaire, intelligent, malheureux – toutes choses propres à attirer les femmes autant qu’à les repousser, la répulsion l’emportant dans la plupart des cas, ces fantasmes n’étant qu’une façon de ne pas voir la laideur en face, de la rejeter, de la nier – la négation de l’humain et surtout de l’individu par le collectif, étant une des pratiques les plus répandues qui soient. »

Les femmes
« Il y a peu de femmes qui s’avouent à elles-mêmes qu’elles sont laides ou qui l’acceptent sans lutter, s’y abandonnant comme à une eau profonde ; passent leur vie à en chercher le démenti dans le regard des hommes. »

La plupart des hommes ratent leur vie sexuelle :
« De cet interminable naufrage, je crois pourtant m’être moins mal tiré que d’autres. Je n’ai ni vice ni manie à révéler, ni même d’irrépressibles penchants à la sincérité qui me feraient avouer à une femme de quarante ans que je n’aime que les très jeunes filles, à une femme aux seins menus que je ne peux étreindre que celle qui en ont d’opulents, ou à une jolie personne que la beauté me fait peur. Rares d’ailleurs les femmes qu’on puisse dire belles, presque toutes étant en quelque sorte des laiderons qui s’ignorent, avant de tenter d’apporter en aimant la preuve du contraire ; plus rares les hommes qui aiment vraiment les femmes ; et quasi impossibles en fin de compte l’amour, le bonheur, le pur feu du désir. C’est d’ailleurs l’impossible qui gouverne les rapports amoureux. Quant à ce qu’on appelle la vie sexuelle, ce n’est qu’une commodité de langage : rien d’autre, en fin de compte, que l’ombre portée sur autrui de nos songes d’enfants mélancoliques ou de chasseurs de la préhistoire. »

L’art de l’autoportrait en littérature :
« J’admire les autoportraits chez les peintres, Rembrandt, Chardin, Gauguin, Bacon, la scrutation de soi comme exorcisme et connaissance profonde loin de tout narcissisme, de toute fatuité. Rares les écrivains à s’être dépeints eux-mêmes physiquement sans détour, à part Montaigne, Rousseau, Amiel ou Leiris, et ces exemples m’écrasent. »

Pour certains hommes, il n’y a pas que le physique qui compte, bizarre non ? :
« Beaucoup d’hommes, surtout ceux qui ont du succès auprès des femmes, recherchent la compagnie de femmes différentes, voire bien moins jolies que celles dont ils obtiennent les faveurs, se donnent du moins le genre de frisson qu’on éprouve à trop se pencher sur le vide… »

Petit métier et métier d’écrire :
« J’ai toujours aimé classer des dossiers, des livres, des papiers, des mots, et il y avait dans mon goût de l’ordre quelque chose d’assez humble qui m’aurait fait, à 23 ans, accepter n’importe quel emploi, même celui de balayeur de rues, la création littéraire, me disais-je alors, n’était pas incompatible avec les métiers les plus bas, surtout les métiers manuels, qui permettent de garder l’esprit libre, comme Spinoza qui polissait des verres de lunettes. » « or je ne suis pas écrivain, mais un rêveur qui trouve dans les écrits des autres de quoi songer aux livres qu’il n’écrira pas. » (…) une image reste une image, et on ne saurait aimer vraiment l’actrice dont on est tombé amoureux en la regardant interpréter un rôle au cinéma. Je devinais que les femmes, l’amour, la délivrance sont des illusions dont nous ne nous déferons pas que par d’autres illusions, et je voulais demeurer dans cette erreur, un peu comme on boit pour oublier qu’on boit… »

« Je lisais en songeant aux livres que je n’écrirais pas et qui s’écrivaient cependant en moi, dans cette arrière-boutique des songes. »

Sa définition de la laideur féminine :
« Est laide toute femme que non seulement je ne trouve pas belle ni désirable, et celle qui ne croit pas à sa beauté, mais aussi celle qui relance ma propre disgrâce. (…) Par laides, j’entends des femmes au visage plus qu’ingrat, voire insoutenable, mais dont le corps garde assez d’appas pour les rendre malgré tout désirables : (…) moi qui ne pourrais pas faire l’amour avec une grosse femme aux vilaines jambes, à la poitrine plate, à la peau malsaine ; et je les acceptais sans visage, me résignant à n’être pas regrdé (…) ; travaux de semi-aveugles, donc, puisque très souvent dans le noir, les corps livrés aux mains, à la bouche, à l’odorat, plutôt qu’aux yeux. »

Tentative (avortée) d’un premier baiser
« J’ai pensé que c’était là une façon de ne pas dire les choses franchement, et qui n’avait pour but que de m’apporter le plus beau démenti : m’embrasser ou plus exactement embrasser un garçon pour la première fois de sa vie. Et toute laide qu’elle était, si laide même, au moment où elle avançait, croyais-je, le visage vers moi, qu’il me semblait que je lui ferais une faveur en laissant ses lèvres se poser sur les miennes, précédées, embellies, reconnaissons-le, par un souffle qui me paraissait exquis, quoiqu’il eût l’âcreté donnée par un estomac vide et criant d’une faim, qui n’était pas celle que je croyais mais à laquelle je m’efforçais de trouver un avant-goût du bonheur, j’ai été sur le point de la trouver séduisante, fermant les yeux comme ceux que j’avais vus s’embrasser à la sortie du lycée, et surtout pour ne pas voir de plus près cette peau grasse et un peu boutonneuse, ces traits disgracieux, tout ce sur quoi j’étais prêt à passer mais qui n’a pas empêché Brigitte, alors qu’elle n’était plus qu’à quelques centimètres de mon visage, et que je me demandais à quel moment il fallait ouvrir la bouche et avancer la langue, de me repousser violemment et de me lancer, indignée (…) : « Mais tu te prends pour qui laidassou ! »

Cachez ces moches que je ne saurais voir !
« Car si je peux accueillir pour mon usage personnel une certaine forme de laideur, je ne peux la tolérer chez des gens dont c’est le métier de paraître en public, d’être en relation avec des clients ou des passagers : l’absence de beauté est alors offensante, et cela va croissant, puisque les Sectateurs du Bien trouvent à exercer aussi leurs talents, imposant partout des handicapés, des obèses, des déficients esthétiques… »

« Elle arborait tous les signes de la laideur, de la vulgarité contemporaine : des cheveux ras, un jean déchiré, des chaussures de sport, des écouteurs aux oreilles, la lèvre inférieure percée d’un anneau, une salamandre tatouée sur l’épaule, le quotidien Libération à la main, mastiquant du chewing-gum qui ne faisait qu’accentuer la méchanceté de son expression. J’ai pensé à une droguée en manque, ou qu’elle avait ses règles… »

Une utilité accordée (tout de même) aux femmes :
« (…) les femmes finissent toujours par se trouver ce rôle-là : nous permettre d’échapper à nous-mêmes, de nous transformer, nous sauver, même au prix de tragiques illusions, en ravivant en nous ce qu’il y a de meilleur, mais qui n’est que la face lumineuse du pire. »

Sur un air de « Elles simulent toutes sauf avec moi… » :
« (…) encore qu’une femme puisse feindre, redisons-le, que la plupart, même, feignent, faute de l’éprouver, pour ne pas entrer elles-mêmes dans le désespoir et ne pas éloigner les hommes, mais bien se les attacher, les garder, ce qui en dit long sur la condition humaine, digne en tout point de pitié, puisqu’une femme non seulement tire rarement du plaisir de son partenaire, mais est en outre obligée de le mimer. »

Paroles de l’auteur au sujet de son roman :
« Il y a un malentendu avec ce livre: ce que je raconte n’est pas ma vie. Je n’ai pas de sœur, je ne suis pas journaliste. Et les femmes, je les préfère très belles… »
« Le point de départ du Goût des femmes laides vient d’une image qui me hante: comment un homme plutôt bien peut-il être avec une femme atroce, avec un visage particulièrement ignoble? Que se passe-t-il, quand ils sont main dans la main? »
(source : magazine Lire, 2005)

1 Commentaire

    • Camille sur 4 novembre 2010 à 16 h 41 min
    • Répondre

    "La pâle copie d’un sous houellebecq"?? Je n’ai jamais rien entendu d’aussi bête!! Richard Millet est un défenseur de la langue française. On adhère ou pas à ses idées, ses thèmes, mais on ne peut pas dénigrer sa maîtrise de la langue en le comparant à un auteur qui ne doit son succès qu’à sa maîtrise du marketing!! Je vous conseille vivement de vous tourner vers ces livres consacrés au Liban, surtout L’Orient Desert, qui est un roman esthétique, simplement beau grâce à une langue parfaite.

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