Les pauvres aventures de Jérémie: « Le pays de la soif » (tome 2) et « Le rêve de Jérémie » tome 3, de Riad Sattouf

Riad Sattouf donne une suite aux aventures de son héros Jérémie, après le succès de son album « Les jolis pieds de Florence« . Le but étant de constituer une trilogie qu’il résume ainsi : « Dans le premier c’était la découverte sentimentale, dans le deuxième la frustration sexuelle, et le troisième éclaire les deux autres, avec une coloration bien différente. » Sa série Jérémie est ainsi celle d’un apprentissage amoureux moderne en somme où le pré-trentenaire et ses amis vont expérimenter déceptions et petits bonheurs au gré de leurs rencontres et de l’évolution de leur caractère respectif, toujours sur le mode de l’humour ironique. Paru en 2004 « Le pays de la soif » retrace les vacances estivales fortes en rebondissements de Jérémy et de sa bande dans un camping breton tandis que « Le rêve de Jérémie », publié en 2005, amorce un nouveau tournant et l’âge de la maturité… Un peu décevants…

« Le pays de la soif », Les pauvres aventures de Jérémie (tome 2)

Dans ce tome 2, Riad Sattouf nous emmène en vacances et revisite les joies du camping en version bretonne, quand on est jeune, célibataire et plutôt obsédé… Jérémie et ses deux comparses (Jean-Jacques le dessinateur de BD foireux et sa soeur peu farouche Sandrine avec qui on a fait connaissance dans le tome 1), se lancent dans une chasse aux jolies filles et au beau mec entre les séances de bronzing sur la plage, les concerts de guitare au clair de lune et autres stratégies de drague dans les cabines de douches… Alors que les deux garçons, bien décidés à abandonner leur rôle de looser pour celui de « rebelle », reluquent leurs jolies voisines allemandes (la mère et la fille que Jérémie décrit avec « poésie » comme étant « une jeune teutonne blonde et fine avec sur le visage cet air chafouin des beautés grandissant en milieu social défavorisé. Elle chantait une chanson de Ramstein et tenait une casserole à bout de ras comme un étendard, semblant dire « Je viens de RDA et alors ?« ), Sandrine séduira un drôle d’ado boutonneux et ultra-complexé avant de tomber dans les bras d’un athlétique océanographe sorti tout droit d’un fantasme féminin…

Retrouvailles gênées avec l’ancienne star de leurs années collège (propice à quelques souvenirs humiliants), tentatives piteuses de séduction et d’alcoolisme, voyeurisme teuton et romantisme de bain de minuit abrégé par l’attaque inopinée d’un mammifère marin non identifié…: c’est toute la sociologie des campings pimentée par la fantaisie loufoque que le dessinateur tente de mettre en scène sur fond de frustration sexuelle et de maladresse masculine. Sur un air des « bronzés en vacances »…

Malheureusement le climat houellebecquien que l’on pouvait espérer fait plutôt place à un humour grivois un peu lourd tandis que les mésaventures se succèdent dans tous les sens. Riad, grisé par l’air marin, s’emballe et oublie la subtilité pour livrer un récit qui accumule les caricatures et dont les gags à répétition et un peu usés (embrouilles avec les mecs de banlieue et autres rateaux…) font à peine sourire… Dommage !


Le « rêve de Jérémie », tome 3 des pauvres aventures de Jérémie

Dernier tome (pour l’instant) des pauvres aventures de Jérémie, Le « rêve de Jérémie » suit toujours Jérémie et sa petite bande à l’âge des choix, alors qu’ils acquièrent une plus grande stabilité et maturité. Il marque une vraie évolution, à l’opposé des deux premiers albums qui reposaient sur des contextes proches. Ici son univers est radicalement bouleversé et la transition est assez brutale !
Pour autant nos amis doivent toujours faire face à leurs angoisses… Jérémie, pétri de contradictions, est confronté à la difficulté de l’engagement alors qu’il s’apprête à emménager avec la femme de sa vie, une charmante jeune bourgeoise du 16e arrondissement et détail original, qui se destine au métier de pilote de ligne… Pourtant ses vieux démons le rattrapent et il ne peut s’empêcher de fantasmer sur toutes les femmes jusqu’à se laisser entraîner par Jean-Jacques, son meilleur ami, dans une boîte d’échangisme. « Honorine conduit des avions géants, elle rêve de chiffres et est toujours de bonne humeur. Elle est amoureuse de moi ! Pourtant, dès que je vois une paire de nibards, je deviens cinglé » explique-t-il.

De son côté, ce dernier, en panne d’inspiration, est en pleine remise en question professionnelle et finira par abandonner ses ambitions de dessinateur BD au profit du job de barman. Ce qui fera dire à notre Jérémie toujours très fin, après un vague encouragement à ne pas abandonner : « Remarque, après on pourra picoler gratos. » !

C’est peut-être la soeur de Jean-Jacques, toujours aussi pince sans-rire et excentrique, qui mène la trajectoire la plus intéressante avec ses envies de maternité. Quelques bonnes scènes de l’album reposent sur ses fantasmes de bébé avec quelques beaux illustrateurs (avec un tatouage « Fuck » sur la main…) du magazine pour bébés justement où elle vient d’être recrutée et où elle connaîtra une ascension professionnelle fulgurante ! Avec en bande son : la chanson « Les filles de 1973 » de Vincent Delerm qui lui tape sur les nerfs. Le chanteur occupe d’ailleurs étrangement une place « royale » dans cet album. Riad Sattouf aime apparemment à taquiner le trentenaire… On appréciera aussi quelques scènes amusantes de son expérience en boîte échangiste où la moyenne d’âge est plutôt élevée…, puis de sa culpabilité et sa peur d’être découvert.

Comme d’habitude, l’album se lit d’une traite mais on regrette ce petit plus qui fait vraiment la différence. On retrouve ses thèmes de prédilection : les pulsions sexuelles incontrôlées, la monogamie, le rapport aux autres, la réussite professionnelle et sociale, le poids des apparences…
Mais les histoires qui s’entrecroisent sont tout juste plaisantes. Et parfois manquent de justesse voire de cohérence (comme le fantôme de son meilleur ami qui vient hanter Jérémie alors qu’il vient de s’installer dans le vieux manoir, propriété familiale de sa compagne). On ne voit pas toujours le lien entre tous ces rebondissements (ni leur sens), qui apparaissent du coup un peu gratuits. A tout cela il tente aussi de rajouter une critique (assez maladroite) des trentenaires bobos avec une scène d’initiation à la danse africaine par la soeur de Jean-Jacques ou encore « les créatifs » qui hantent les cocktails mondains).

L’auteur cultive aussi un complexe sur son origine sociale (que l’on ressent également dans « Retour au collège ») en confrontant déjà ici les milieux modestes avec les milieux bourgeois, à travers le personnage d’Honorine, petite fille riche des beaux quartiers et de ses amis snobs. Il joue encore sur le choc des cultures et des milieux à travers des caricatures et des grosses ficelles pas toujours très fines (allant jusqu’à imaginer que la fortune de sa compagne a été bâtie sur un traffic d’armes)…

Côté graphisme, l’auteur redouble d’exagération dans les mimiques de ces personnages, en particulier Jérémie qui passe son temps en état de surchauffe (gouttes de sueur qui s’échappent de son corps et yeux écarquillés de stupeur ou de terreur), frisant à chaque case la parano et l’implosion… Bref, la trilogie ne s’achève pas sur une note très réussie sans être non plus un ratage complet. Peut mieux faire assurément !

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