De la littérature et des familles d’auteurs par Guillaume Dustan (extrait de Nicolas Pages)

Dans son livre « Monstre » pratiquement inqualifiable (roman dans le roman, journal intime dans le roman, articles, thérapie, synopsis, délires hallucinés, colères et explosions euphoriques…) « Nicolas Pages », feu Guillaume Dustan, romancier engagé de la cause et de la culture gay mais egalement fou de littérature, redessine et re-analyse, à sa facon, l’histoire de la littérature, ses mouvements et ses filiations, et plus particulièrement la littérature française. Des libertins au nouveau roman… Une vision politiquement incorrecte à l’image de son auteur:

« Littérature française il y a dés lors qu’existe cette filiation, ou cette familiarité, au sens d’appartenance à une famille – toute d’adoption, c’est à noter – de gens qui se répondent les uns aux autres, qui se sont lus, ces lectures ayant eu pour effet qu’ils n’écrivent pas n’importe comment (en français de France, par exemple, on ne peut pas utiliser beaucoup d’adjectifs, on doit être elliptique, on ne peut pas répéter : héritage du XVIIIe siècle – Boileau…

Je vois chaque famille d’écrivains explorant des zones différentes : la famille mythico-épique des épopées voyageant dans la violence et l’exploit ; la famille rhétorique-intello (James Joyce, le Nouveau roman) explorant les formes ; la famille des femmes anglaises et assimilées (Woolf, Lehman, Mansfield) explorant la violence des sentiments de l’intime et la famille ; la famille des écrivains de la cruauté sociale (Balzac, Edith Warthon), la famille des inventeurs de fables qui se mordent la queue (Borgès, James, Eco, Kafka, Paulo Coelho), la famille des pronographes (Sade, Guibert, Genet, Artaud, moi).

Explorer ça veut dire quoi ? Ca veut dire donner de la valeur. De façon absolue, en tant que tout art proclame la valeur de la vie en créant du plaisir. De façon subversive et je dirais, « justicielle », dans la mesure où la littérature permet de montrer le bon dans ce qui est ordinairement dit mauvais, et l’inverse. Comme l’histoire de la peinture, l’histoire littéraire est ontologiquement progressiste, c’est à dire orientée vers le bas. (…) Montrer les non nobles, les femmes, les frigos, c’est rendre dignité à ce qui en est injustement privé. Montrer la souffrance contre le mensonge de ceux qui prétendent que tout va pour le mieux. Montrer le beau dans ce qui est prétendu laid (Chardin, Van Gogh), le laid dans ce qui est prétendu beau (Goya).

A cet égard, à de rares exceptions près (Guibert pour le sexe dans « Les chiens », le seul texte qui me plaise vraiment – et encore la fin est tellement triste, mais c’est déjà mieux que toutes les autres horreurs morbides ; Duras pour la première personne et le mauvais français, le mal écrit des livres des années 80 et 90, quand elle s’est libérée ; Sagan pour la simplicité), la littérature française me semble dramatiquement prisonnière. Je la trouve vieille. je la trouve snob. Je la trouve de droite, prisonnière des valeurs aristocratiques sur lesquelles elle s’est fondée. Bien écrire au lieu d’écrire sa vie. C’est à ce piège qu’on doit sans doute aussi notre filon d’écrivains de l’extrême (Sade, Artaud, Bataille, Genêt, Tournier du roi des Aulnes, Guibert, moi), que n’ont pas les anglo-saxons. Les valeurs de cour sont retournées : au sublime on oppose l’horrible« .

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