« La fondation Popa » de Louis-Stéphane Ulysse : Les auteurs se présentent

Voici la Tribune libre adressée par l’écrivain Louis-Stéphane Ulysse sur son roman « La fondation Popa » paru en février 2007 aux éditions Panama. Un roman wharolien sous forme d’une épopée surréaliste, burlesque voire satirique du monde de l’art contemporain, mais aussi une réflexion sur la création, la mémoire et la transmission… (sur le même thème on pourra également consulter le roman d’Adrienne Miller, « Fergus ») : « La Fondation Popa est mon septième roman. Difficile pour moi, même aujourd’hui, d’en parler détaché. Je peux donner quelques pistes même si je n’aime pas trop argumenter sur mon travail… Je crois que j’écris des romans comme si je faisais des albums concept ou des films. De l’autre côté de la baie, mon roman précédent, était la périphérie d’une passion, ses détails, ses « à côté », les fragments qu’il en reste après… Je crois que c’était déjà un travail en creux, sur les mots fantômes, les blancs, l’espace…

« Toutes les nouvelles de mon quartier intéressent le monde entier » (voir biblio ci-dessous) était basiquement l’histoire de deux gamins d’une cité qui essayent de s’en sortir, chacun suivant un parcours différent. Là encore, il y avait un rapport à l’espace, au territoire, à une géographie qui risque de se voir engloutir et rayer de la carte. « Soleil Sale » (voir biblio ci-dessous) traitait de la solitude derrière un écran, de communications tordues au point de bouffer le réel, de le contaminer, c’était aussi un texte sur l’addiction, la compulsion… Jouer ses désirs à la roulette jusqu’au moment où le réel vous rattrape.

« La Mission des flammes » était un hommage au style polardeux français des années 70, à Manchette en particulier. Des SDF finissaient par mettre le feu un peu partout dans la ville avant d’être récupérés par un parti d’extrême droite. J’ai réécrit une version de ce roman, une centaine de pages d’écart, pour Marion Mazauric, qui créa la collection « Nouvelle génération » chez J’ai lu. « Pourquoi les femmes n’aiment pas les petits garçons » fonctionnait sur la même rythmique que La Mécanique des femmes de Calaferte : des bribes de témoignages d’hommes perdus dans un monde, où, du jour au lendemain, il n’y avait plus de femmes.

J’ai écrit une vingtaine de nouvelles, tant pour NRV, la revue de Florent Massot, mon premier éditeur, que pour les Inrocks ou l’Évènement du jeudi. J’ai également collaboré au scénario d’Un pur moment de Rock’n roll, adapté d’après des nouvelles de Vincent Ravalec, et des Les Invisibles, de Thierry Jousse, présenté à Cannes l’année dernière.

Chacune de ces écritures, à leur manière, ont toujours fini par me rattraper dans le réel, en changeant ma trajectoire d’humain en bien et en moins bien. Après « La Mission », j’ai eu un accident de moto assez grave, et je me suis retrouvé à l’hôpital en face de certains des personnages du roman : mêmes physiques, mêmes origines, mêmes parcours… Peut-être que « La Fondation Popa » n’est rien d’autre qu’une façon de dire « au revoir » au petit garçon que j’ai été

Pour le reste… Après « Le Paradis des chiens », mon roman chez Flammarion, je voulais travailler sur La Fondation et Raphaël Sorin ne voulait pas. J’ai préféré suivre mon texte, le retravailler encore et encore, publiant d’autres romans entre temps, changeant de vie aussi, d’amis, mais toujours avec ce texte en tête que je n’arrivais pas à sortir de moi. Disons qu’il a commencé a émerger quand j’ai pris le risque de tout casser pour le recommencer autrement, avec d’autres outils… Depuis sa publication, il y a vraiment deux choses que j’ai bien aimé. D’abord le fait que les gens qui en ont le mieux parlé, pour la plupart, n’aimaient pas ou ne connaissaient pas mon travail d’avant… De nouvelles têtes… L’autre (et tant pis pour le côté Michel Drucker), c’est l’éditeur… Jacques… L’amitié, le temps passé ensemble, le confort donné, l’assurance…

Au final, le beau cadeau de rendre réel le désir de l’autre. Je pense que mon désir d’écrire, mon appétit, avant cette rencontre, j’avais fini par le perdre à force de le donner un peu trop facilement, à force de dire : « Oui » pour ne pas décevoir, ou plus simplement pour me faire aimer… Je ne sais pas si un désir blessé fait de mauvais livres mais il les rend probablement plus difficiles à écrire… Voila, un matin, j’ai poussé une porte cochère, traversé un hall, vu, au bout du jardin avec, au bout, la maison Panama et je me suis dit : « Oui, bien sûr, c’est ici. »

Comme cela a déjà été dit ou écrit, les influences du livre, souvent peu conscientes, sont nombreuses… Au point d’en faire un blog, non pas sur les atermoiements d’un « écrivain », mais sur les racines d’un livre. Quand je parle « d’atermoiements », je veux dire que tout ce qui me constitue est dans mes livres, chaque fois. Une voix, on peut la changer, la déguiser, mais elle sort toujours de la même personne.

Dans mon cas, un blog d’écrivain me paraissait au mieux redondant ; au pire, un coup de pute pas bien fameux, un couinement un peu indécent sur le manque de reconnaissance. Or, cette histoire de reconnaissance de l’écrivain, en vieillissant, je n’y crois pas des masses. Me semble pas que c’est la reconnaissance, ou son défaut, qui fait les livres, mais bien l’envie, le désir. Bien sûr, le manque rend tout plus compliqué au quotidien comme vis-à-vis du regard des autres, mais écrire pour la reconnaissance, consisterait à aimer avec le calcul d’être aimer en retour. Pour ma part, j’ai appris à m’en tenir à ça : mon désir… Ce que je veux…

Faire un blog autour d’un livre, c’était une façon de payer ses dettes aussi. Il y a une phrase de Johnny Cash comme ça : « Prends tout ce que tu veux, mais paye le. » Je pense à des films découverts sur le tard en DVD…Il arrive parfois que les bonus soient nourrissants au point de donner envie de revoir telle ou telle scène, avec un autre regard… C’est en découvrant le blackblog de Thierry Théolier, que j’ai eu envie de construire celui de La Fondation Popa. Si la suite de « Soleil sale » redevient d’actualité, j’aimerais que ça soit quelqu’un comme Thierry qui l’écrive. J’aime bien l’idée du bouquin qui passe de main en main, qui se transmet d’une génération à l’autre.

Ce qui passe… Ce qui se transmet… Parfois, on est aussi rattrapé, dépassé, par une idée, une intuition qui est dans l’air, en oubliant que l’air inspire tout le monde. Certains thèmes de La Fondation, comme la transmission post-68, la mémoire, l’oubli, la résistance, le « Raconter c’est résister » qui ouvre le roman, n’ont plus exactement la même saveur une fois captés par le champ public ou politique… Alors, disons que c’est un roman qui parle de traces, ça sera plus simple comme ça. »

1e EXTRAIT
« … Plus loin, madame Pompidou s’inquiète de la santé des Plus Belles Fleurs de la Fondation, accompagnée de son jeune biographe, recouvert pour la circonstance de Coccinella Kamikazea qui sautent en tout sens et s’en donnent à cœur joie. « Je veux bien tout entendre mon garçon, là n’est pas le problème, mais quand vous me dîtes qu’ « Écrire, c’est résister » je ne vois pas… « Résister » à quoi d’abord ? Au temps, aux gens, aux modes ? … Non, voyez-vous, pour ma part, je considère qu’ »Écrire c’est témoigner »… Parfois « Commenter »… Et ce n’est pas la même chose… Ce monde devient un vaste tissu de commentaires, et pourquoi pas, après tout… Pour ma part, je vois la résistance dans le fait de « Raconter ». « Raconter, c’est résister ». Parce que « Raconter » donne à voir « Plus fort que la vie », « Plus grand ». « Ecrire » nous place dans la chronique, « Raconter » nous parle de notre mythe. »  » (PAGE 105)

2e EXTRAIT :
« … Vous souvenez-vous, Metzler, de nos conversations sur les bancs du Palais-royal ? Vous étiez un tout jeune peintre et vos questions étaient incessantes. Vous vouliez tout savoir de mon passé, Dieu sait pourquoi. Vous paraissiez tellement assoiffé à la fois de connaissance et de reconnaissance. Vous cherchiez des personnes qui puissent vous transmettre quelque chose, vous guider… Un savoir, une histoire… Et voyez-vous, je crois que c’est le grand drame d’une société comme la nôtre, bien plus que la faim et la misère… Oh, pas au quotidien, bien sûr, mais sur le long terme. Nous n’avons plus le goût de la transmission. Il est arrivé un moment, et certains vous dirons « Mai 68 » ou autre chose – mais pour ma part je dois vous dire que je n’en sais rien –, où les hommes ont cessé de transmettre. Peut-être est-ce moi, peut-être est-ce d’autres… Regardez le cinéaste Godard, regardez le raisonneur Debord, ils n’ont pas fait d’enfant, et moi non plus, je crois… Et pourtant c’est bizarre, il n’y a plus aujourd’hui que des « fils de » ; des « fils de » et pas le moindre héritage. Il n’y a que de vilains petits perroquets noirs qui confondent l’imaginaire et la sociologie. Ah, ça, pour se faire cloner, nos petits babouins sont aux premières loges ! Ils ricanent sur le passé, ils ne veulent pas d’avenir, alors ils bégayent dans le présent en ne rêvant que d’une chose : se faire cloner ! Mais franchement Metzler, vous vous voyez, vous, vivre avec les clones de Tartempion et de Machin-chose ? Moi, je peux vous dire que je le sens très moyen ; si c’est encore un truc pour se retrouver avec les petits fayots et les nazillons de service, c’est franchement pas la peine… Ça ressemble à rien une vie comme ça…C’est comme ces histoires de colonies et tout le bazar… Certains ont voulu tourner la page sans même la lire. Comment pardonner à ceux qui vous ont offensé s’ils ne vous demandent même pas pardon ? Je me souviens qu’à l’époque vous me cassiez les pieds avec des questions sans queue ni tête. Vous vouliez savoir si on pouvait oublier d’où on venait, et je serais bien en mal de vous dire pourquoi vous aviez des questions pareilles… J’avais beau vous faire comprendre que vous perdiez votre temps, que le secret de l’art et le secret des femmes, c’était du pareil au même… Que voulez-vous que je vous dise… Moi, je pense que c’est pas important, et je crois même qu’on n’y comprendra jamais rien, ni vous, ni moi, ni tout ceux qui passent, et franchement ça me fait une belle jambe ! On s’en fout ! Ce qui compte, c’est ce petit secret, Metzler ! … Regardez-moi ce monde qui devient hystérique à force de chercher le « risque zéro »… Vous voyez Metzler, maintenant nous sommes vieux et la vieillesse dure bien plus longtemps que la jeunesse. Nous sommes comme deux gros vieux poulets sur ce banc du boulevard de Sébastopol et moi je vous dis que c’est pas là qu’il faut être, non : il faut continuer de croire au petit secret des femmes, et c’est tout. » » (page 206)

3e EXTRAIT :
« Ton obscurité, Metzler… Les arbres, les haies, les lignes rectangulaires sur le goudron puis, soudain, ce chien qui surgit, comme capturé par le faisceau de tes phares. Et juste avant le choc, l’impression que l’animal te regarde bien au fond, bien en face, ses yeux fluorescents figés dans la stupeur. Sur le coup, tu crois que la vitesse va tout effacer, et que c’est juste un sale moment à passer. Pourtant, il y a ce cri coupé avant qu’il n’ait le temps de devenir déchirant, ce cri presque dans le même temps que l’impact du choc, et toi qui disparais au détour d’un virage, entraîné par la route, comme si tout cela n’avait jamais existé. Il y a encore un dernier crissement dans le lointain et puis plus rien. Le bruit du moteur s’en va là-bas, comme s’il passait dans une autre réalité. La nuit revient sur ses pas, se pose, large, immobile, reprenant possession de son territoire. Témoin indifférent, elle recouvre le souffle chaud de la bête, ce souffle qui remonte vertical vers le ciel tandis que le corps, allongé, estropié, se refroidit solitaire sur le sol. C’est une brève agonie jusqu’au moment où tout se fige. Et dans cet instant-là, il n’y a pas d’écart entre l’humain et l’animal. C’est la même chose, exactement la même, en plus petit. Et c’est peut-être pour ça que les tueurs en série s’essayent sur les animaux avant de se confronter aux hommes ; et c’est peut-être pour ça aussi qu’ils ont autant d’animalité envers eux, à cause du souvenir de ces petites vies qui s’envolaient toutes seules comme des grandes, dans l’intimité de leur obscurité. »(page 283)

Mini-bio / biblio de Louis-Stéphane Ulysse :
Né le 13 juin 1958 à Paris.
Derrière le miroir, entretiens avec Andréas Voutsinas (Zélie-Archimbaud, 1994).
Contes de la Cité endormie (France-Culture, 1994).
Soleil sale (Florent-Massot, 1996).
Toutes les nouvelles de mon quartier intéressent le monde entier (Michalon, 1996 ; J’ai lu « nouvelle génération », sélectionné pour le Prix deFlore, 1997).
La Mission des flammes (Florent-Massot, 1997 ; J’ai lu « nouvelle génération », nouvelle version, 1998).
Le Paradis des chiens (Flammarion, 1999).
Un pur moment de rock’n roll (réalisation de Manuel Boursinhac, 1999).
Pourquoi les femmes n’aiment pas les petits garçons (Hors-commerce, 2003).
De l’autre côté de la baie (Calmann-lévy, 2003).
Les Invisibles (réalisation de Thierry Jousse, 2006).
La Fondation Popa (Panama, 2007).