« Dictionnaire égoïste de littérature française », « Dictionnaire de littérature à l’usage des snobs », « La littérature française pour les nuls » : que penser des bibles littéraires ?

Les ouvrage de « vulgarisation littéraire » peuvent susciter quelques réticences par leur aspect forcément superficiel mais permettent aussi d’avoir quelques repères et pistes afin de découvrir ou creuser l’un ou l’autre pan de notre vaste littérature. Les guides, études et autres bréviaires ne manquent pas mais ils ont le défaut d’être souvent un peu scolaires et rébarbatifs. Récemment trois nouveaux opus (plus ou moins réussis) ont été publiés pour initier le profane ou le curieux mais aussi proposer de nouvelles perspectives des grands écrivains, des classiques aux confidentiels sans oublier les contemporains… Entre anthologie, guide pédagogique ou manuel érudit et anticonformiste :

Pour les gourmets et les iconoclastes – COUP DE COEUR : Le « Dictionnaire égoïste de littérature française » paru en 2005, du dandy germanopratin Charles Dantzig, éditeur (chez Grasset) et écrivain qui tient aussi une chronique sur France Inter, revisite l’Histoire littéraire d’un oeil décalé et érudit… et impertinent, toujours avec humour !
Une entreprise audacieuse qui fait réaliser pleinement toute la subjectivité d’un jugement littéraire.
Classé par ordre alphabétique des lettres A comme « Action », « Apollinaire », « Age des lectures » à Z comme « Zoo » en passant par « B » comme « Balzac », mais aussi « Bibliothèques de maison de campagne », « Belle du seigneur », « C » comme « Corneille », mais aussi « Commencer (par quoi) « , « D » comme « Du Deffand », « Décadence et mort d’un écrivain » ou « Del Dongo »… De François Villon à Françoise Sagan, il rassemble nos grands auteurs mais aussi de plus méconnus, des œuvres lues et d’autres qui pourraient l’être davantage, des personnages de fiction, des notions.
L’auteur s’est fait plaisir et sait le rendre communicatif même quand il attaque des plumes comme Colette (ce qui ne manque pas de faire bondir !) en disant : « De sa négritude, Colette garda un manque de soin, et, du journalisme, car elle écrivait aussi dans les journaux, la peur de la répétition engendrant des périphrases, l’horreur du mot simple. (…) C’est du style de publicité pour le dentifrice. » Ou encore Baudelaire, même si ces arguments sont ici plus faibles et tournent essentiellement autour de la « méchanceté » de ce dernier envers Georges Sand.
Il définit avec plus ou moins de pertinence différents concepts (« le bon écrivain », « le beau », le « bien-écrit »…) et analyse ainsi le rapport à la littérature et sa valeur. Même si l’on ne partage pas tous ses points de vue, c’est plutôt passionnant. A lire pour tous ceux qui aiment les partis-pris engagés et assumés (à suivre quelques extraits d’intérêt) !

Les écrivains pour initiés lus de bouche-à-oreille : Le « Dictionnaire de littérature à l’usage des snobs », paru en 2007 se propose derrière son titre provocateur de dresser un panorama, plus proche du lexique que du dictionnaire par sa longueur (environ 200 pages), de ces auteurs dits « mineurs » qui dans l’ombre des « grands écrivains » n’en sont pas moins admirables. Sous influence anglo-saxonne, junkie, décadente, dandy et rock. C’est donc un peu l’anti-littérature pour les nuls (voir ci-dessous) puisqu’il s’intéresse à tous les oubliés des programmes scolaires des profs de français. Des auteurs « cultes » et « pointus », nous affirme l’auteur de l’ouvrage Fabrice Gaignault, rédacteur culture chez Marie-Claire et auteur d’un livre sur les égéries sixties.
« Snob », désigne ici l’attitude qui préfère glorifier un auteur méconnu mais jugé tellement plus important qu’une célébrité des lettres. Il va même jusqu’à énumérer en préambule les « têtes noires » des snobs littéraires allant de « Belle du seigneur » d’Albert Cohen, « La Nausée » de Jean-Paul Sartre, « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry ou encore « Sur la route » de Jack Kerouac !
Parmi ce répertoire, on trouve néanmoins quelques « méconnus connus » ainsi Pauline Réage (auteur d' »Histoire d’O », ce livre au « charme picotant exhale un parfum suranné d’interdit gaulliste, qui peut encore faire frémir dans les caves des pavillons en meulière de Nouans-Le-Fuzelier« , commente-t-il, autant dire qu’il est quand même passé totalement à côté du livre…), Jay McInerney, Catherine Millet, Louise de Vilmorin, William Burroughs (John Giorno, autre poète Beat proche de Burrouhgs, qu’il cite également, plus confidentiel en revanche), Emmanuel Bove, Renaud Camus (adoré de feu Guillaume Dustan) ou encore Violette Leduc (auteur que nous vous recommandions vivement ici-même, infiniment plus intéressante qu’une Françoise Sagan par ex, en particulier son court et poétique « Thérèse et Isabelle »), ainsi que notre fameux Jean-René Huguenin pour son journal, « figure de proue d’un néo-réalisme »…
A noter aussi la présence pour les français de Bernard Franck (que Claire Castillon adule) réputé pour être un écrivain pour les écrivains.
Du côté des auteurs vraiment confidentiels, on peut citer Jean de La Ville de Mirmont, mort à 28 ans dans les tranchées de 14-18, après avoir écrit un seul et unique roman, « Les Dimanches de Jean Dézert », un must aux yeux des «snobs litt’». De même qu’ils considèrent Maurice Rollinat, poète sinistre de la fin du XIXe siècle, comme un Baudelaire en plus noir. Ils vénèrent encore les Crosby, couple incandescent du Paris artistique des années 20, surnommé « les amants du Soleil noir », rivaux des Fitzgerald, mais surtout renommés pour avoir permis à James Joyce ou D.H Lawrence d’être édités. Nous avons également droit à une hagiographie du Prix de Flore.
Il recense également quelques courants littéraires underground tel que le dirty realism, la post-poésie (terme émergé sur un blog qui en réalité revient peu ou prou à ce que d’autres désignent par le terme de « pop littérature » c’est à dire le mélange d’influences classiques et contemporaines), les hussards, le Gonzo journalisme (inventé par Hunter S.Thompson), ou encore des cercles littéraires fameux tel celui du Cercle de Bloomsbury, décrit comme le « légendaire phalanstère d’intellectuels lié essentiellement au nom de Virginia Woolf, (…) acharné à dénoncer l’hypocrisie des générations précédentes, victorienne et edwardienne, libres de tous préjugés… »
Il n’hésite pas à jouer de la dérision avec des définitions telle que celle du « Col roulé », « un instrument d’identification intellectuelle très en vogue chez les existentialistes et les Angry Young Men britanniques… » ou encore celle du « Crash » (rien à voir avec le roman de Ballard quoique…) auquel les snobs litts « vouent un culte nostalgique, trouvant sans doute un côté romanesque et esthétique à ces fracas de tôle en foulard Hermès et gants de pécari.« .
Ce survol riche en références peut néanmoins frustrer, non par la brièveté des présentations (principe même d’un dictionnaire) mais plutôt par son classement alphabétique qui n’était peut être pas le plus pertinent pour être guidé et pouvoir situer ces plumes et œuvres les unes par rapport aux autres.

Pour les pressés qui veulent se repérer avant de se lancer : « La littérature française pour les nuls » (tome 1 et 2) rédigée par Jean-Joseph Julaud, prof d’histoire et de français, se propose de tracer un tour d’horizon littéraire à travers 10 siècles de littérature (du Moyen âge à nos jours), des fabliaux à l’autofiction, en passant par les Lumières, le romantisme et le surréalisme. Plus de 200 écrivains majeurs de la littérature, de Rabelais à Modiano, en passant par Balzac et Proust sont ainsi passés en revue à coup de mini-bio, d’anecdotes et de quelques extraits.
Quelques commentaires/résumés express accompagnent également ces « notices ». Entraînant inévitablement certains raccourcis et autres résumés un peu délicats… En s’arrêtant au XIXe siècle, pour l’Education sentimentale, l’auteur se contente par exemple d’écrire un peu maladroitement : « L’éducation sentimentale, un roman dans lequel Gustave a décidé qu’il ne se passerait rien. Effectivement il ne s’y passe rien ! Ce qui rend les 500 pages de l’édition de poche longues, longues, longues… » Il ajoute tout de même qu' »on peut aussi y trouver son bonheur si on accepte de différer jusqu’à l’inachèvement le plus complet l’amour entre 2 êtres étrangement distants alors que leur feu intérieur les consume entre chaleur et brûlure.« 
Pour Huysmans, il note : « c’est effectuer un voyage dans la luxuriance du vocabulaire, dans les mots rares qui sonnent entre eux comme un insolite et riche carillon. » Sur Baudelaire, on n’en saura pas tellement sur l’écriture ou les obsessions majeures de l’écrivain mais davantage sur ses problèmes d’argent, ses voyages dans les îles ou ses maîtresses. On peut regretter que les anecdotes de vie personnelle prennent souvent le pas sur l’œuvre mais c’est un parti-pris. Le contexte historique et son influence sur la littérature (comme l’apparition d’une « littérature engagée » après la guerre ou encore le roman bourgeois, etc.), évoqués certes succinctement, n’en restent pas moins intéressants (toujours pour avoir quelques repères).

Les dernières parties, le XXe (scindé en 2 parties avant et après 1950 avec une large part accordée à la poésie) et XXIe siècle (sous forme de « Propositions » puisque l’Histoire n’a pas encore pu déterminer ceux qui connaîtront la postérité dans la mémoire collective) présentent l’intérêt de s’étendre jusqu’aux auteurs contemporains vivants. Parmi cette sélection on trouve notamment Echenoz, Delerm, Millet, Angot jusqu’à Beigbeder, Gavalda…
Sur Jauffret, il s’intéresse surtout à ses dernières œuvres (« Univers, univers » ou encore « Microfictions »…) qui ne sont pas forcément les plus réussies mais qui ont été primées. Sur Houellebecq (classé au rayon « best sellers » avec Marc Lévy, oups !), il livre une analyse des plus réductrices et passe à côté de toute son œuvre : « Le truc de Michel Houellebecq, pour retenir son lecteur, c’est de plonger son épuisette à mots dans ses viviers les plus crus, toutes les 20 pages environ, afin d’offrir à son lecteur qui commencerait à bâiller sur ses satires de société intéressantes, certes, mais plutôt lugubres, une scène de sexe très hard… »

Dans les dernières pages, un chapitre « 10 plumes qui s’envolent » nous parle même de littérature nouvelle génération avec… David Foenkinos (« Foenkinos s’embusque dans les petites impasses de la logique ordinaire où les phrases se réfugient lorsqu’elles font les folles. »), François Bégaudeau (« une prose sur ses gardes, des pages qui attaquent, qui vitriolent parfois, des coups de poing mais un style. Percutant Bégaudeau comme un nerf de revanche.« ), Olivier Adam (« Au delà des pages, vous entendez la colère des ressacs, les vagues à l’âme qui se brisent sur le roc des paroles, jaillissant en écume révoltée, et toute la furie de la vie. ») ou encore Clémence Boulouque, Marie Darrieussecq et Eric Reinhardt.

Idéal pour rafraîchir ses connaissances, avoir des repères essentiels (par où commencer pour découvrir un écrivain qu’on ne connaîtrait pas du tout par ex, etc.), et disposer d’un panorama de l’histoire littéraire, il est en revanche à éviter si l’on souhaite avoir un vrai commentaire littéraire sur un auteur (même bref).
Sa présentation sous forme de « fiches pratiques » et le ton employé (qui se veut familier et complice, intitulant par ex la partie sur la poésie du XIXe siècle « La poésie s’éclate ») pourront éventuellement rebuter.

A lire en complément sur les « bibles littéraires » : Les 1001 livres que vous devez lire avant de mourir et « 100 romans de première urgence pour (presque) tout soigner »

2 Commentaires

  1. Beurk… Pourquoi ne pas lire les romans cités, tout simplement? C’est si honteux que ça d’avouer que non, on n’a pas lu Untel ou pire, qu’on ne sait même pas qui c’est?

    Cela dit, j’ai lu l’éducation sentimentale il y a 3 ans et je confirme: il ne s’y passe rien du tout. Le must, c’est l’édition commentée, avec un renvoi toutes les 3 lignes (dont 99% sont inutiles!)

  2. Ces trois livres sont excellents, et chacun a son registre, mais…
    il y a pas mal de snobisme dans celui de Dantzig, notamment dans sa façon d’encenser R. de Gourmont, qui était introuvable à l’époque où est sorti le dictionnaire égoïste, ou sa façon un peu adolescente de vilipender Baudelaire.
    Il y a un certain égoïsme dans le Dictionnaire de littérature à l’usage des snobs : on se lasse de sa façon d’assener des jugements à reprendre dans les dîners, sans nous livrer les arguments à développer, ce qui nous entraîne vers une certaine frigidité culturelle (impossibilité d’échanger des émotions).
    Et il y a les deux dans le dictionnaire à l’usage des nuls, excellent tableau d’ensemble, mais égoîste et snob quand il fait son tri dans les contemporains : ce sont auteurs que vent emporte…

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