« Les Onze mille Verges » de Guillaume Apollinaire, Aventures priapiques… et rocambolesques !

« Les Onze mille Verges » de Guillaume Apollinaire, classique de la littérature érotique, oeuvre du poète symbolique connu notamment pour ses poèmes d’amour fou à Lou : « Poèmes à Lou », circulait sous le manteau au début du siècle en chuchotant que l’on y trouvait du « Sade accommodé à la sauce rabelaisienne ». Une définition plutôt appropriée pour ces tribulations sexuelles du fantasque et débridé prince roumain Mony de Vibescu, à travers l’Europe jusqu’au Japon. De 1907 à 1970, ce livre fut édité et vendu clandestinement. Ce n’est qu’à partir de 1970 et grâce à Régine Desforges que ce classique put enfin être vendu librement. Insoutenablement scabreux pour les uns, lumineux voire burlesque (lorsqu’on finit par le prendre au énième degré) pour les autres, « Les Onze mille verges » est le texte le plus subversif d’Apollinaire. Il y met en scène presque tous les fantasmes et tabous érotiques possibles et célèbre les femmes girondes aux chairs épanouies…

Dans ce court récit (d’un peu plus de 100 pages en édition de poche), il brosse les folles aventures du prince Mony, un hospodar (souverain) roumain à l’appétit sexuel débordant. Du Paris élégant du début du XXe siècle (la Madeleine ou boulevard Malesherbes) jusqu’au Port-Arthur de la guerre Russo-Japonaise de 1905, il séduit et s’ébat sous toutes les coutures avec une ribambelle de dames, servantes ou même fillettes dont les deux plus marquantes sont sans doute les deux parisiennes du début, que l’on retrouvera tout au long du roman, et qui n’hésitent pas à se mêler sans sourciller au cocher, sergent et même cambrioleurs qui passeront par là ! Il finira par mourir flagellé par un corps de l’armée japonaise, « châtié par onze mille verges », accomplissant ainsi sa destinée.

Il est à noter son goût pour les silhouettes charnues bien loin des esthétiques filiformes et glabres en vogue de nos jours. Ici les cuisses sont de préférence « rondes et grosses », nerveuses ou encore « rondes comme des tours d’ivoire », les toisons (et les chevelures) sont abondantes en « motte rebondie », « toisons épaisse » et « cons tout mousseux » tandis que le sperme « coule à gros bouillon ». Très porté sur les croupes et les positions « sodomiques » (ce qui témoignerait selon certaines analyses pyschanalystes d’une « crainte du sexe féminin » et de la « prédominance d’un stade régressif anal, rien que ça !), le récit regorge de « culs » (une des protagonistes s’appelle même « Culculine ») sous la forme de « fesses joufflues », « massives », potelées aux « globes duveteux blancs et frais », « un beau melon qui aurait poussé au soleil de minuit »…
Quelques termes d’ancien français cocasses viennent égayer cette prose haute en couleurs et en sensation tels que les « énormes vits », « se glottiner avec entrain », « gougnottage », « décharger à plusieurs reprises » ou encore « faire petit salé »…

Il use tout du long de descriptions fort pittoresques dans une langue alerte et précise voire poétique (certaines pages sont en vers) : « Mariette gloussait comme une poule et titubait comme une grive dans les vignes » tandis qu’à propos des seins il écrit, « ils étaient doux et soyeux, on aurait cru toucher les pis d’une chèvre laitière, et quand elle se tournait, ils sautillaient comme un mouchoir de batiste roulé en boule que l’on ferait danser sur la main. » ou encore « Prospéro lui suça les seins pareils à des colombes roucoulantes. »

Chaque scène se finit toujours en orgie frénétique et souvent… sanglante voire meurtrière (dont la plus marquante est peut-être celle du train Orient-Express qui s’achève en double assassinat) et horrifique. Car Apollinaire, comme Sade, aime à pimenter la volupté de cravaches ou de fouets cinglant les corps « épouvantés » qui, « jouissent effroyablement » ou d’une « façon atroce ». Extrait (soft) illustrant cette tendance : « Sa langue fut bientôt dedans, puis la rage voluptueuse aidant, il se mit à mordre la fesse droite. La jeune femme poussa un cri de douleur. Les dents avaient pénétré et un sang frais et vermeil vînt désaltérer le gosier oppressé de Mony. »

Au gré des pérégrinations de Mony, Apollinaire explore ainsi tout le catalogue des perversions et des plaisirs charnels : homosexualité, positions diverses et variées, masturbation, scatologie jusqu’aux plus violentes pédophilie, inceste ou nécrophilie…

Toutefois, malgré le caractère insoutenable de certains de ses actes, son humour décalé et l’excès quasi surréaliste de certaines scènes peuvent faire davantage rire que scandaliser. Certains critiques considèrent même cet ouvrage comme une parodie du genre érotique. Une curiosité du genre en tout cas et un incontournable assurément !

A lire en complément le dossier Le potentiel érotique de la littérature

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