« La princesse de Clèves » vue par M.Darrieussecq, R.Jauffret, F.Beigbeder, A.Nothomb, C.Dantzig

A l’occasion de l’émission « La Grande librairie » diffusée pendant le Salon du livre, une galerie d’écrivains a été conviée à parler de son livre de chevet majeur mais également du classique qui lui tombe des mains… La princesse de Clèves était de la partie et a suscité un petit débat entre Régis Jauffret, Amélie Nothomb, Frédéric Beigbeder et Charles Dantzig.
De son côté, Marie Darrieussecq a livré son analyse de ce roman emblématique de l’Ancien régime, au journal Les Inrockuptibles. Elle voit en la malheureuse héroïne l’incarnation d’une vraie rebéllion ou d’une figure à la Bartleby…

Charles Dantzig avoue ne pas avoir été conquis par le style de Madame de la Fayette qu’il juge trop précieux et hyperbolique. « C’est une femme du monde, elle reste polie, estime-t-il, mais quand on écrit un roman, on est pas poli. » Pour lui ce n’est pas un roman mais un objet de préciosité ou une fable. Il ajoute que ce qui lui paraît plus intéressant c’est la « descendance » engendrée par La princesse de Clèves comme « Le bal du comte d’ Orgel » de Radiguet ou encore « Le miracle de la rose » de Genet

Des reproches que ne partagent pas du tout Amélie Nothomb, fervente admiratrice de la Princesse. Frédéric Beigbeder admire, pour sa part, « la précision d’analyse psychologique de la jalousie du mari et la renonciation à l’amour de la princesse« . Il définit le grande thème du roman comme étant « comment je ne quitte pas quelqu’un, comment je suis lâche ou pas lâche, comment les réputations font qu’on renonce à l’amour et à la passion. » Il juge ainsi ces thèmes très actuels et non démodés : « Tous les jours des gens vivent des passions et sont contraints d’y renoncer par la société« . « C’est aussi un roman sur la vertu et le devoir », ajoute-t-il.

Enfin, Régis Jauffret est peut-être le plus enthousiaste. « C’est la quintessence de ce cristal de la langue du XVIIe, cette espèce de transparence, commente-t-il. Au XVIIe siècle, on ne peut pas se poser la question de la forme et du fond, la forme c’est le fond, c’est un cristal. Une phrase est ce qu’elle dit. C’est le début de tout ce qui va suivre. C’est le premier roman moderne dans la psychologie du personnage et même le premier roman au sens mondial. Avec en particulier une virtuosité dans l’étude de la jalousie, de ce sentiment tellement subtil. Ce qui est beau c’est l’inassouvissement, ce ne sont pas de vulgaires amours de bureau. C’est un érotisme tragique avec une beauté janséniste. Je le rapprocherai presque de Pascal, il y a la même limpidité philosophique. »

Avant de s’emballer contre Sarkozy en déclarant que « Cracher sur la Princesse de Clèves c’est cracher sur la France. » Avant de rappeler avec ironie que ce roman est « un produit d’exportation » !

Extrait vidéo des échanges entre Régis Jauffret, Frédéric Beigbeder, Amélie Nothomb et Charles Dantzig sur La princesse de Clèves (La Grande librairie):



De son côté Marie Darrieussecq livrait son analyse en ces termes (extrait) :
« La princesse de Clèves est une héroïne de l’inaction. Rien à voir avec la passivité : pour se maintenir dans le repos, elle déploie beaucoup d’efforts. Comme on sait elle ne couche pas avec le duc de Nemours. Cette abstinence n’est pas héroïque. D’autres qu’elles se sont évertuées à esquiver leur amant. Ce genre de vertu se confond souvent avec la stratégie la plus guerrière. Mais la princesse de Clèves ne fuit pas Nemours pour le rendre fou d’elle. D’abord il l’est déjà, elle le sait, et elle en est elle-même affolée. Ensuite l’époque n’est pas libertine (on est chez Corneille plus que chez Marivaux). Enfin, il se trouve que Mme de Clèves est mariée, et ce détail compte pour elle.
(…) Ce que la princesse veut (ou ne veut pas) n’a pas tant à voir avec le conjugal qu’avec la vertu au sens romain : de virtus, le courage, la vertu est ce qu’on se doit à soi-même. La vertu mal comprise, c’est ce qu’on doit aux autres. Ce qu’on fait par peur de leur jugement ou de leur désamour. Cette vertu se confond avec le souci du qu’en-dira-t-on, cet altruisme avec le désir de plaire.
(…) Mais la princesse ne doit rien à personne, pas même à son époux : on n’est pas chez « Monmari ». C’est par respect pour elle-même qu’elle cherche la paix de l’âme. C’est aussi par égoïsme, un égoïsme prodigieux, transcendantal, surhumain, un égoïsme qui rime avec héroïsme : un refus à la Bartleby. La princesse préfèrerait ne pas. On apprend beaucoup aux filles à dire un peu oui, un peu non. La princesse est héroïquement asociale. Son inaction fait d’elle une rebelle mieux que si elle avait brûlé son refus (…).
Ce n’est pas par féminisme avant l’heure (l’alternative est toujours le mariage). Demeurer à soi signifie simplement: être seule. Opposer à la Cour, la stratégie du repli. Elle prétend être malade et glisse pour de bon vers « la maladie de langueur » : une dépression majestueuse. La proximité de la mort, ce repos éternel, lui fait entrevoir une vie moins fatigante. Peut-être est-elle héroïquement paresseuse : aimer lui est une insurmontable somme d’efforts.
Une héroïne de la langueur et de l’indifférence. (…) C’est bien pour échapper au devoir qu’elle se retire du monde. A cet harassant devoir du sexe et du désir, du bonheur peut-être. Et à tous les devoirs qu’implique métaphysiquement le fait d’être né, et pas seulement d’être né femme. (…)
 » Marie Darrieussecq.

A lire en complément la chronique du roman : « La princesse de Clèves » de Madame de La Fayette : Un thriller des sentiments haletant !

1 Commentaire

    • laruence biava sur 27 mars 2009 à 21 h 14 min
    • Répondre

    Merci pour le clip ! vu que j’étais au salon le 12, je n’avais vu qu’un quart de l’émission.
    J ene susi aps éonnée de l’enthousiaste de chacun. A lire et à relire. bon week end

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