« On ne peut pas faire réfléchir le lecteur si on ne l’a pas diverti pendant les 300 premières pages » : Interview de John Irving

L’auteur du « Monde selon Garp » ou encore de « La part de Dieu, l’Oeuvre du diable », habitué aux best-sellers… et aux louanges des critiques, doit son succès à ses livres foisonnants retraçant des destins hors du commun, peuplés de féministes combatives et de pères absents, abordant la crainte de perdre l’être aimé, la condition de l’écrivain ou encore les troubles de la sexualité, sur fond d’histoire américaine.

Ce story-teller, adepte des tragicomédies où le loufoque côtoie les réflexions de société, grand lecteur de Dickens et ancien lutteur, revient en cette rentrée littéraire de janvier 2011, avec un nouveau roman : « Dernière nuit à Twisted River ». Une cavale père-fils en forme d’épopée familiale où il explore les traumas issus de l’enfance mais aussi le rapport entre les ours et les hommes, le sexe, l’humour et toujours le métier de romancier… :

Dans une interview fleuve, l’ancien élève de cours de creative writing de l’Iowa livre notamment sa vision de l’écriture romanesque, s’érige contre Hemingway ou encore l’inspiration autobiographique… : Entre l’intrigue et le style, l’auteur estime que le plus important est le langage: « Quand je commence l’écriture d’un roman, je sais déjà tout ce qui va se passer. L’intrigue est déjà en place. Je suis donc plus attentif au langage, plus concentré, car je ne suis pas en train de me demander : « Mais à quel moment Untel va-t-il se repointer ? » Je sais exactement quand Untel va se repointer : il va se passer cinquante ans avant qu’il se pointe de nouveau. Donc, n’ayant pas à penser à ces choses, je me concentre sur ce que je suis en train d’écrire : « Ça c’est un passage descriptif, ça devrait aller doucement, les phrases devraient être courtes ; voilà le dialogue qui convient, à tel endroit cela devrait aller plus vite ; voici l’action, Jane est prise pour un ours, etc. » Prendre les phrases, les raccourcir, accélérer le dialogue, c’est de l’action. C’est cela, le travail de l’écrivain. »

Il rejette néanmoins l’école du minimalisme et de l’écriture au plus près de soi à la Hemingway : « Tout cela fait partie du faux machisme d’Hemingway. Les hommes sont intéressants car ils ne peuvent jamais rien dire de personnel et blablabla… Non, mais quelle stupidité ! C’est une échappatoire, une esquive. Hemingway utilise le moins de mots possible dans ses phrases. Si ça lui chante. Mais pourquoi ? Si vous vouliez courir, est-ce que vous vous attacheriez une jambe à vos fesses et sauteriez à cloche-pied ? Pas moi, j’aimerais avoir deux jambes solides ! Il me semble qu’en affirmant cela, less is more, Hemingway représente l’antithèse des Sophocle, Shakespeare ou de tous ces écrivains du XIXe siècle qui écrivaient sublimement longuement, sublimement lentement, développaient les choses au fil du temps et des pages de telle sorte que vous pouviez, en lisant, voir les choses prendre vie. Tout le monde parle en sténo chez Hemingway. C’est un langage de secrétariat. C’est, tout simplement, ennuyeux. Less is more ? Non, less is less ! »

Il déplore aussi la constante obsession des lecteurs pour l’identification des sources autobiographiques de ses romans : « (…) lorsque Le monde selon Garp a été publié, en 1978, personne ne me posait de question sur l’aspect autobiographique de mes romans. Personne ne me demandait : « Ce personnage, est-ce vous ? Est-ce que ce grand-père est inspiré de votre grand-père ? » Lorsque Une prière pour Owen a été publié, par exemple, en 1989, personne ne m’a demandé ce que je faisais pendant la guerre du Vietnam. Personne ne m’a questionné sur mon passé lors de l’appel et du service militaire. Ça a changé maintenant. Lorsque les gens me questionnent sur Une prière pour Owen, ils n’hésitent pas à m’interroger : « Est-ce que vous étiez dans l’armée, est-ce que vous vous êtes engagé, avez-vous fait vos classes d’officier ? » Etc. C’est la première question qu’ils soulèvent. Et moi, je me dis : « C’est maintenant que vous me le demandez ! Je ne peux pas indiquer précisément la date ni pour quel roman ça a commencé, mais ça s’est passé quelque part vers la fin des années 1980 ou 1990, quand tout à coup presque toutes les questions, ou la première question qui m’était posée, étaient : « Quelle partie de cette oeuvre est basée sur votre vie ou sur la vie de quelqu’un que vous connaissez ? »

A la question sur le rôle de l’écrivain (faire réfléchir ou divertir), il opte pour les deux : « Plus l’histoire est compliquée, plus l’intrigue est longue et sophistiquée, et ce qui est le cas dans presque tous mes romans, plus vous devez être divertissant si vous voulez emmener le lecteur vers le moment de l’histoire où il devra réfléchir. On ne peut pas faire réfléchir le lecteur si on ne l’a pas diverti pendant les 300 premières pages : il abandonne avant. Et il a raison. » (source : extraits magazine Lire, janv.2011)

1 Commentaire

    • AK sur 23 février 2011 à 14 h 38 min
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    L’oeuvre de Dieu la part du Diable est le livre qui m’a fait le plus pleurer de rire. Et est une des plus jolies histoires d’amour que j’aie pu lire. Le film n’est pas amusant du tout, ne colle pas au livre en cela. Le monde selon Garp est excellent, mais d’autres bouquins de lui sont nettement moins originaux. Souhaitons donc que ce dernier opus soit un bon cru.

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