« La recherche de la couleur » de Jean-Marc Parisis : « Je n’avais pas échappé à l’étripage. Le syndicat du vagin m’était tombé dessus. »

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« La recherche de la couleur » de Jean-Marc Parisis, cuvée de cette rentrée littéraire de septembre 2012, creuse le même sillon que ses précédents romans. On l’avait quitté en 2009 avec « Les aimants », un succès mérité ou encore « Avant, pendant, après » en 2007, deux romans explorant, avec sensibilité, la naissance et la fin des sentiments amoureux. Il revient dans une veine plus rageuse et renoue avec la critique sociale de ses premiers romans, tout en fustigeant les femmes qui ont le mauvais goût de dépasser la quarantaine… Entre « tonton flingueur germanopratin », essai et ode romantique, un drôle de cocktail… :

François Novel, figure centrale de l’opus, est un homme en colère. Romancier de son état (écrivant notamment une bio sur l’écrivain romantique Novalis), il se sent, au fil de ses rencontres, une aversion de plus en plus marquée pour le décor humain. Depuis un salon du Livre de province où il menace de ne pas honorer une rencontre avec une néo-féministe, les mouvements d’humeur et de situation s’enchaînent ou se superposent : panne de désir pour sa femme Marianne, trahison d’un pseudo-ami, dégoût global et désaffection pour le monde en général, antipathie marquée pour des figurants grotesques, tel ce Dayen, rédacteur en chef de  notre « Aimable et son orchestre », qui refusera un portrait de Marylin, telle cette envahissante chanteuse Edith aux airs de vieille rombière, ou bien encore Régine, une ancienne maîtresse. «Il suffisait de revoir les gens pour comprendre pourquoi on ne les voyait plus ».

De toute façon «Rien ne sera plus comme avant » nous assène, avec raison, François Novel. Dans cette belle promenade paris(is)ienne, qui nous emmène du côté des deux Rives de la Seine, (8ème, 16ème, 13ème, 16eme) jusqu’à Versailles, balade très littéraire qui enchante et salue au passage -chapeau bas – Aragon, Peguy, Léon-Paul Fargue, Chamfort, Baudelaire, Huysmans, Miller-, le narrateur, sans complaisance, autopsie l’environnement, et «la société de destruction».

Réglements de compte tous azimuths et sur les femmes en particulier

En « cowboy solitaire », Novel dégaine comme quand il était gosse et flingue le nouveau féminisme, la mystique de l’orgasme féminin, se plaint à plusieurs reprises que «la bourse virile n’en finit pas de chuter», souligne sur un ton zemourien «la perte de la masculinité », pense «qu’on ne veut plus des hommes qui pensent avec leurs mains et leurs yeux», dit ses quatre vérités aux blogueuses «tapotant sur un ordinateur portable à la vitesse d’une greffière de tribunal», conspue et foudroie Internet et «celles qui vont dégueuler des saloperies sous pseudo», déplore les faux relents de nostalgie, fustige la disparition et/ou la mutation des corps, les nouvelles peurs et les nouveaux risques, exècre la tendance du «sexe élimé», refuse (et n’en peut plus) d’être confondu avec un autre («Mister Love»), forme d’avatar/antihéros littéraire, assène quelques vérités bien senties sur l’autofiction, le réel, l’imposture, les lecteurs, les groupies, tout en prenant soin de rendre hommage à ses héros et héroïnes de cinéma, les insaisissables, les éternelles, les «sœurs et amies», (très belles mentions sur Nathalie Wood, Romy Schneider, Marilyn Monroe, Patrick Dewaere) ainsi qu’au (x) chanteu(r)ses Mogensen, Caplan, David, Bowie..

Il saborde également les vanités «des cénacles conservatoires de la mélancolie française» et les bouches affamées de Céline ou de Saint Simon, «des People du Grand-Siècle». Et confirme, licencieux, au fur et à mesure qu’il s’applique à faire sortir le vers du fruit sociétal qu’il déteste, qu’il prépare bel et bien un essai sur les romantiques allemands… Comment se pourrait-il qu’on en doute puisque cela est rappelé à neuf reprises et qu’il ponctue le roman rageur de citations de Novalis (qui ne manque pas de faire écho au patronyme de son héros).

Regard rageur sur le nouveau féminisme

Concernant le nouveau féminisme et les tergiversations obsolètes de Tarsin dans un échange mémorable, (excellent) sur «la guerre des sexes» et «le plaisir… qui dirait le plaisir ? », c’est à Novel que je donne raison. Le féminisme n’est décidément plus ce qu’il était et toutes les femmes ne donnent pas toutes dans la posture victimaire. En revanche, à l’exception de Deborah Klein, jeune romancière, de l’épouse Marianne, et de la dernière apparition qui sont les seules à trouver grâce aux yeux de Novel (is) et qui de ce fait, échappent au peloton d’exécution, les portraits féminins sont brossés avec âpreté et ironie ; celui qui est réservé à la «radasse» de chanteuse, visant à dénoncer «la grande pornographie» est excessivement caricatural, si caricatural qu’il vaut mieux en rire (jaune).

Ce monsieur Novel trouve décidément les femmes bien envahissantes : une horde d’entre elles se serait elle dressée contre lui ? L’image de la femme, souvent celle de post 40 ans, est sérieusement et injustement écornée. On n’en ressort pas grandie. Les langues se délieront alors pour dénoncer la misogynie du narrateur et de son bien cruel marionnettiste. Soyons clairs : ce serait un tort et une erreur grotesque dans la mesure où les portraits masculins sont croqués de la même sorte lapidaire, François Novel ne se faisant lui-même aucun cadeau.

Le cynisme mais sans l’empathie

A propos de la vieillesse et de la perte de désir, entre l’épouse médecin qu’on ne désire plus dès qu’apparaissent sous ses yeux deux ou trois stigmates du temps qui passe et la dénonciation du sexe exhibitionniste, donc, outrancier, donc tabou (alors qu’au demeurant, F.Novel ne manque pas de subodorer à deux reprises une fellation –jamais aboutie –), le discours est là aussi, un peu raide à avaler. Michel Houellebecq que Parisis adoube, aborde les mêmes sujets avec le même cynisme mais, avec, également, plus d’empathie et de drôlerie. Tout en moquant, conspuant, condamnant, tout élément extérieur de séduction, comme tente de le faire Jean-Marc Parisis .

Entre pulsion de vie et de mort 
Le reste du roman n’est pas plus consensuel mais plus fin. C’est un bonheur de lecture que de lire ses pensées sur la mort et la vie, par exemple, à l’image de – c’est entendu – l’idéalisme novalisien, incarné entre autres par Caroline Von Gunderode, citée dans le récit. Il s’agit pour elle, pour Novel et Parisis, de rejoindre cet «heureux pays des rêves », « où les morts parlent aux vivants, où une lumière terrestre brille encore pour eux, sous le voile du linceul » (C. Von Gunderode*). Un peu à la manière du noir éclatant de Manet; c’est un sombre mais rayonnant voyage dans les pages paris(is)iennes qui s’offre au lecteur, les alternances entre la mort et la vie sont quasi permanentes, la mort cernant la vie (de si près). « Mort, un mot de filou », ( à propos de cette rumeur sur l’Apocalypse), « la mort n’allait pas faire la loi », « la mort romance la vie, fait mentir les vivants », « elle me commandait de séparer les mots de la mort », « on est fait des morts ».

Et puis, la vie s’impose, l’écriture aussi, flirtant ensemble, leurs déclinaisons, leurs prismes, leurs mirages ? Une aube : « l’au-delà, accessible par l’écriture », « la vie devait s’écrire », et condamnant le sentimentalisme niais de ceux qui galvaudent l’amour, qui font que « l’écriture prolifère comme le coma », cette devise de Novalis « Le degré suprême est de parler et d’écrire de façon décisive – impérative – catégorique. On peut déterminer les degrés selon les hommes qu’on a devant soi. ».

Le romantisme comme recherche de la couleur

Tous ces points d’ancrage, que Friedrich Novalis comparait à la materia prima chère aux alchimistes, sont citées ici en abondance. C’est un bel exercice d’admiration auquel se livre Novel, «las des codes et des artifices du roman», dans l’écriture de son essai. La vie est clameur. Elle triomphe. Et avec elle, la recherche de la couleur. «La vie est quelque chose comme les couleurs, les sons et la force. Le romantique étudie la vie comme le peintre, le musicien et le mécanicien étudient la couleur, le son et la force. L’étude attentive de la vie fait le romantique, comme l’étude attentive de la couleur, de la forme, du son et de la force fait le peintre, le musicien et le mécanicien » nous dit Novalis.

La poursuite de la jeunesse perdue et démon de midi

La fin du roman fait l’éloge de la beauté, de l’éclat, de la virginité, de la jeunesse. De l’enfant, «né de l’amour». De la première fois. Jean-Marc Parisis invente une Sophie à son héros, afin que dans un exercice de mimétisme absolu, elle répète – et lui, avec elle – la biographie de Novalis.

Et c’est le temps qui s’accélère soudain. La fin est belle : il faut payer la dette de la reconnaissance au père versaillais du narrateur « qui file doux avec une jeune fille rousse de 18 ans ». Se rendre sur les lieux de la dite «première fois», devant une maternité. C’est émouvant. Enfin, ne fallait il pas une astuce pour parler de cet âge mythique – les vingt ans – et faire en sorte que quelqu’un incarne cette phrase de Schlegel ? : «une jeune fille en plein épanouissement est le symbole le plus séduisant de la volonté bonne pure.» «J’avais recherché les couleurs dans l’écriture. Sophie avait celles de la vie. Vingt ans». («En vérité, on n’avait jamais cet âge, c’est lui qui vous possédait»).

Dernier acte, avec une fin ouverte, il est important de transmettre, et le film n’est pas terminé. Pourtant, – et c’est assez paradoxal -, on peut néanmoins regretter que la vie sexuelle qui reprend de plein fouet avec la petite jeune fasse réellement cliché et office de rallonge à une histoire qui n’en avait pas besoin, parce que très étoffée et consistante.

Parisis, tour à tour peintre ou scénariste signe donc un récit-variation, un récit-bilan, récit-confession, récit-mi-temps de la vie, haletant, dans une succession de mouvements, de scènes, où se dessine un voyage intérieur emprunt de religiosité.

Malgré quelques passages brillants, il laisse un arrière goût d’aigreur, d’amertume dû à son son ton revanchard aux accents paranoïaques voire sado-masochistes. Durant la lecture, on pense à ce tableau « Le Moine au bord de la mer » de Caspar David Friedrich, censé exprimer la solitude de l’homme dans un monde qui n’est plus garanti par la foi. Ici, c’est de cela qu’il s’agit : car nul ne peut mettre en doute l’idéalisme, le caractère contemplatif de Parisis. Et encore moins sa piété. [Laurence Biava]

1 Commentaire

    • Laurence Biava sur 4 septembre 2012 à 10 h 17 min
    • Répondre

    J’aimerais préciser quelques points : d’abord, les strates narratives du roman :
    On pourrait décomposer l’ouvrage comme suit, sans en sous-estimer naturellement les ponctuations : les trois quarts du récit représentent une fresque passionnante d’époque. Le dernier quart est en quelque sorte l’épilogue de l’essai consacré à Friedrich Novalis à l’intérieur même des matière et fresque romanesque, en tant qu’emblème de l’ aspiration de la «religiosité romantique» propre vers un double infini : « la religiosité romantique », c’est l’ouverture inconditionnelle vers l’infini et le retour vers l’individu reconnu comme seul pivot de l’appropriation de cette ouverture.
    J’aimerais préciser également le mimétisme sonore existant entre Novel et Novalis : je pense qu’on peut parler de dédoublement de la part du narrateur et de désir d' »incarner » Novalis, ce qui tend à expliquer pourquoi Novel précise à 9 reprises qu’il écrit un essai sur le romantique allemand.
    Les passages courroucés ne doivent pas sous-estimer la fin et les belles mentions sur la paternité.
    Enfin, plus je me relis, plus je pense que j’ai fait l’erreur de parler d’amertume où il n’y en a guère : ce roman est un livre de guerre, et toute rébellion est bien plus vaillante qu’elle n’est triste.

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