De « Sévère » de Régis Jauffret à « Une histoire d’amour » (adaptation ciné) : deux conceptions de l’Affaire Stern…

En 2010, Jauffret publiait « Sévère », son 18e roman inspiré de l’Affaire Stern (un banquier milliardaire assassiné en combinaison latex, en 2005, par sa maîtresse avec qui il entretenait une sulfureuse relation SM), menacé de censure par la famille qui a finalement retiré sa plainte en 2011. En ce début 2012 sort sur grand écran, l’adaptation ciné qui s’attire pour l’instant des critiques déçues malgré la force du sujet et son casting (Laëtitia Casta et Poelvoorde)…

« Les histoires d’amour sont des planètes privées qui se volatilisent quand leurs habitants les ont quittées. »

Dans son roman, « Sévère » (l’Affaire Stern a d’ailleurs inspiré trois autres romans : « Latex » de Laurent Schweizer (Seuil, 2008), « Tigres » de Gabriel Janer Manila (Actes Sud) et « Comme une Sterne en plein vol » de Julien Hommage, Jauffret (qui avait couvert le procès aux Assises de la meurtrière Cécile Brossard, pour Le Nouvel Observateur) voulait raconter l’une de ces histoires d’amour qui « explosent contre un mur qu’elles avaient construit pierre par pierre« .
Sa particularité était d’adopter le point de vue de la meurtrière qui en est donc la narratrice car pour lui « les femmes sont plus complexes, elles ont la faculté d’avoir des pensées en parallèle (…). Alors que les hommes sont plus binaires. »

Dans la lignée de ses romans phares « Clémence Picot » ou encore « Histoire d’amour », le livre explore ce rapport amoureux hors normes, tout en dessinant le portrait d’une femme « en quête d’absolution » doublé d’une réflexion sur le sexe, le pouvoir, l’argent et les sentiments. Entre Eros et Thanatos. « Tuer quelqu’un qui vous a fait assez confiance pour se faire attacher, c’est un crime absolument lâche. On atteint la quintessence de la trahison, qui rend ce meurtre unique. » avait expliqué l’auteur .
Son intérêt pour ce banquier richissime tenait « à son charisme brillant, son côté enfant chéri du siècle, puisque notre époque, (…), éprouve pour l’argent plus de tendresse que pour un môme. »

Quant aux scènes sexuelles, il déclarait qu’elles étaient « ennuyeuses à écrire. Et toujours un peu ridicules. » Selon lui, « il n’y avait pas de gaudriole dans cette histoire. Plutôt quelque chose de tragique qui se jouait dans la sexualité même.(…) C’était une peine ou un obstacle. » Il compare d’ailleurs avec Sade qu’il considère comme « passionnant mais jamais érotique, sauf peut-être « la Philosophie dans le boudoir. »
Le livre s’était vendu à environ 20000 exemplaires.

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De son côté la réalisatrice Hélène Fillières, connue avant tout comme actrice jusqu’à présent, a pris la décision de s’intéresser au point de vue de l’homme : « Ce qui m’a fascinée dans cette histoire, c’est le mystère de cet homme, et par là même le mystère des hommes en général« , a-t-elle confié. « Chez lui, il y a beaucoup de souffrance, de douleur affective, de solitude, de folie. Il a une sexualité déviante, et il est destructeur. À mes yeux, il est l’incarnation de l’homme et de son mystère. »

Du livre au film…
A l’instar de Régis Jauffret, elle ne mentionne par leurs noms, préférant les appeler « le Banquier et la Jeune Femme. » Elle n’a en revanche pas conservé la structure de son roman pour adopter la forme d' »un conte noir et onirique« . Elle a aussi re-baptisé le film en « Une histoire d’amour » car selon elle la relation entre ces deux protagonistes en était une malgré tout. « Je crois qu’on aime comme on veut, mais surtout comme on peut. » Elle analyse leur relation comme « le trajet de deux êtres fragiles qui se sont rencontrés et qui ont fait un bout de chemin sinueux ensemble. »

Dans cette relation SM, ce qui l’a particulièrement intéressée était « la problématique du dominant-dominé, la question du plaisir, de la pulsion de mort, de la jouissance masculine que je voulais rendre palpable à l’écran. » En revanche, elle s’est refusée à donner des clés ou des explications pour seulement rendre compte d’un état. Pour montrer l’argent par exemple, elle se contente de « filmer ce lit qui fait 3 mètres de large et qui dégage un sentiment d’extrême solitude. »

Son parti-pris clinique aura, entre autres, déstabilisé la critique qui reproche en vrac aux acteurs de « profèrer des phrases sans queue ni tête dans des décors de magazine sur papier glacé » ou encore au film d’être « bancal », de restituer des « fictions livides », d’incarner « un intimisme névrotique suffocant, un ­vague intellectualisme aveuglant » !

En revanche, selon le dossier de presse Régis Jauffret s’est montré extrêmement enthousiaste : « Hélène Fillières n’a pas fait une adaptation, elle a fait un film. Une création, une œuvre où elle s’est plongée tout entière (…) c’est le plus grand hommage qu’elle pouvait rendre à mon roman.« 

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