« Mammifères » de Pierre Mérot : Dérives poético-éthyliques d’un quadra désabusé


Avec « Mammifères » de Pierre Mérot, on change des affres traversés par les trentenaires, pour la décennie supérieure, celle des dérives d’un « jeune » quadra. Il nous entraîne dans sa quête de corps féminins, évanescents et miroitants, à travers les mirages éthyliques des villes. Les nuits où « les balcons sont brûlants et les soirs dilatés ». Sa prose, comme une ode à ces ballets nocturnes d’âmes urbaines solitaires, porte un regard amer et poétique sur la dépendance éthylique pour combler les ratés d’une vie, qui ne comble pas, elle… Et où le manque d’amour se fait cruellement sentir sous le cynisme faussement désabusé…

D’échecs amoureux (les « suicides affectifs » comme il les surnomme) en petits jobs (manutentionnaire dans un Musée de l’armée, animateur de minitel rose, employé d’une maison d’édition ou encore prof…) entrecoupés de chômage (« Les Assedics adorent financer les petites débâcles« ), il résume ainsi sa vie : « Vous avez commencé à boire pour aller vers l’amour. L’alcool vous en a éloigné davantage et a fini par le remplacer. » Et livre, ce faisant, l’un des plus beaux hommages aux bars la nuit, teintés d’humanité et de tragique.
« Celui qui boit s’exhibe. L’alcool est un rubis à son doigt. Il jette des éclairs de douleur comme une femme baguée. Il est là, au comptoir, morceau de nuit accoudé. Il a posé sa souffrance devant lui. Il joue avec, la fait tourner dans ses mains, la présente dans la lumière. Il veut qu’on la voie. C’est une offrande. Il ne sait pas quoi en faire, alors il la montre. C’est un professionnel de la souffrance, un acteur de la souffrance, et c’est comme tel qu’il veut être reconnu. »

L’auteur réussit une habile mise en perspective de ses sentiments à travers la voix de « l’Oncle », anti-héros mi-aigri mi-romantique, du roman, et brocarde joyeusement au passage l’édition, l’enseignement, les femmes divorcées (« Elles font leurs enfants dans leur coin, et demandent à des hommes désastrés de remplacer des pères qui ont fui« ), et même sa mère (qui le considère « comme l’excroissance perpétuelle de ses ovaires »)…

« Le travail est l’une des causes essentielles du malheur de l’humanité, l’autre étant l’amour. Le préambule de la constitution de la IVe république, toujours en vigueure afirme que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. » Le chômage heureusement est venu contredire cette hypthèse. Une poignée d’emmerdeurs tyrannise toute la planète avec le travail. Les pires sont ceux qui n’ont aucun intérpet financier ou politique à le faire. Une énorme frustration les pousse à se surmener. Ils ne supportent pas qu’on le leur ressemble pas.« 

L’homme qui oscille entre le vieux sage et le vieil ours aux accents bukowskiens, nous éblouit souvent par ses petites théories et ses observations particulièrement aiguisés sur lui-même ou son entourage. Tour à tour déchirante : « L’amour dure le temps de détruire l’autre » a-t-il écrit quand il n’avait pas encore trente ans, méchamment cynique comme lorsqu’il décrit, sarcastique, les lettres « avec support » de ses ex énamourées, c’est à dire accompagnées d’un extrait d’une oeuvre célèbre, affectueusement souligné pour tenter de lui faire comprendre des vérités essentielles sur leur relation (ce qui le fait au mieux « roter »…) ou encore ses déclarations du type « L’oncle n’aime pas trop la prostitution, non par rigidité morale mais par manque d’argent. »

Les chapitres sur son passage dans l’enseignement (dans le Val d’Oise réputé pour… son taux d’échec scolaire) illustrés de schémas pédagogiques valent aussi le détour dans le style quand il n’est pas d’une lucidité glaciale: « Aimer est exceptionnel. Ne pas aimer est la régle. Accepter cette régle devrait donner un début de bonheur. » Un adage que n’aurait pas renié un Houellebecq qui déclarait qu’il ne fallait pas avoir peur de l’amour c’ar il n’existe pas…

L’alchimie fonctionne: on ressent ses bouffées d’euphorie, ses passages à vide, ses angoisses qu’il tente de masquer sous ses airs désabusés de vieux singe ou la violence du désir… Et l’urgence de sa quête farouche, sous la plume faussement désabusée, d’amour et de sérénité tout simplement… Un arrière goût de Nicolas Rey et de desespérance à la Houellebecq émanent de ce roman dans la veine « looser magnifique, très attachant », décidément très réussi. Le prix de Flore ne s’y est pas trompé (en 2003) !

Extrait choisi de « Mammifères » de Pierre Mérot: La quête du visage à aimer
« On ne cesse pas d’aimer ceux qu’on a aimés. Mais de personne en personne, de pièce en pièce, on voudrait croire que peu à peu on reconstitue un puzzle, et qu’un jour un visage apparaîtra. Et l’on n’aura plus besoin de chercher. Mais en fait d’image totale nous n’avons que la dernière, et elle n’efface pas les précédentes. Aucune figure n’est oubliée, aucune ne nous retient. C’est ce qui fait que notre vie n’est pas une succession d’échecs, mais une construction entièrement vouée à l’amour. »

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