« Entre les oreilles » de David Foenkinos : un peu tiré par les oreilles…

« Entre les oreilles » du facétieux David Foenkinos est son deuxième roman paru en 2003 après « Inversion de l’idiotie » et juste avant son grand succès « Le potentiel érotique de ma femme ». Avec des influences allant de Queneau à Gombrowicz en passant par Albert Cohen, l’auteur est renommé pour son univers loufoque où régne l’humour par l’absurde et en même temps une certaine détresse de personnages souvent en marge, obsessionnels, désemparés ou souffrant de solitude. Cet opus de jeunesse contient déjà toute l’essence de son style si particulier et de ses histoires à tiroir où le rebondissement inattendu et surréaliste est toujours au coin de la page ou du chapitre… La Société des Gens de Lettres lui a attribué la Bourse Thyde Monnier pour cet ouvrage. Si l’humour de l’auteur ne manque pas de faire souvent sourire, on peut toutefois regretter, qu’à force de vouloir trop en faire, ces cocasseries et pirouettes finissent par sonner faux voire lasser…

(…) La vie était un tricot aux mailles identiques. Toujours les mêmes noms, toujours les mêmes délaissements. Nous ne pouvions rien faire d’autre que ce que nous avions été ; je ne pouvais être que le fils d’une tricoteuse monomaniaque.

Bien difficile de résumer ce roman anti-conformiste qui fourmille de pistes différentes et se dérobe sans cesse au lecteur par la magie de 1001 pirouettes dont l’auteur a le secret.
Au début, on pourrait penser qu’il s’agit d’une histoire -un peu déjantée- de chagrin d’amour suite à une rupture pour cause d' »oreille déchue » (« Cette pensée m’angoisse, une ombre calme mais tenace. Je n’aime plus son oreille. C’est énorme et faible comme une fissure. Comment continuer ? On ne peut décemment feindre de l’intérêt pour une oreille déchue. Jusqu’ici je l’avais tant aimée, son oreille. Elle m’était devenue sympathique après huit mois d’une liaison décente ; je l’avais même léchée certains soirs. Elle me dégoûte maintenant avec toute son idiote rondeur.« ) d’un fils à maman (il vit encore chez sa mère à près de 40 ans) un brin névrosé (sortant de sept ans de psychanalyse vaine), incapable de couper le cordon ombilical puis finalement on bascule sur un coup de foudre amical pour un étrange Jacob aux jambes irrésistiblement attirantes, doublé d’une belle histoire d’amour avec une voisine de prime abord repoussante (riche héritière moustachue, vraiment laide et aux joues rouges) mais hautement recommandée par la mère mourante du héros.

Cette brochette de personnages hauts en couleurs sera entraînée dans moultes péripéties, au cours desquelles ils déménageront à Genèves (« Il existe des nouvelles qui donnent envie de prendre le train . Hériter de cent millions suisses en fait partie ».), retrouveront l’amour de jeunesse de Jacob, la chanteuse Bouzouki au nom aussi folklorique que ses manies excentriques, avant de connaître la gloire avec un show un peu particulier puis retomber dans l’anonymat et se jeter alors à corps perdu dans le tricot, obsession symobolique dans laquelle le héros trouvera son salut final : « Toujours enflier des mailles, toujours enchaîner le même mouvement. Le tricot me semblait la pratique la plus fidèle, un art monogame. »

Dans ma nuit s’annulaient des forces antinomiques, des forces absurdes, la nuit est absurde, et je dormais comme une idée plate.

Ne cherchez pas : ce récit n’a ni queue ni tête ! Et pour le suivre mieux vaut accepter de se laisser emporter dans les flots de l’imagination déjantée de l’auteur…

Tout du long, il ne cesse de multiplier les détails insolites, incidents loufouques ou anecdotes délirantes : depuis les prénoms dont il affuble ses « créatures » jusqu’à leur métier ou encore les défis auxquels il les confronte (rechercher une fiole de sueur d’allemand pour empêcher le temps de s’arrêter et faciliter une rencontre…) ou encore les physiques incongrus peu avantageux (« Eleonore Renon fut le fruit d’une relation sexuelle. Il eût été préférable d’employer l’expression « acte sexuel ». Et encore le mot « acte » enjolivait la situation. A vrai dire, Eleonore Renon avait été le fruit de deux corps passant par là, deux corps s’encastrant comme des tests d’accident de voitures.« ) et autres détails anatomiques (comme l’extase face aux jambes ridicules de Jacob) qui se parent soudainement d’une importance démesurée. Face à ce déluge inventif et la verve malicieuse de l’auteur, on ne peut bien sûr réprimer quelques rires à sa lecture tellement tout cela est grotesque.

Ce roman a été qualifié par la critique de « conte pour adultes » ou encore de « fable surréaliste » et en effet il y a bien de cette veine là dans cette histoire abracadabrante qui rappelle le pays surréaliste peuplé de chapeliers fous de Lewis Caroll. D’ailleurs, c’est peut-être la nostalgie de l’enfance et de ses chimères qui ont guidé son écriture comme lorsque Jacob demande à Alain : » « Tu te souviens, Genève ? ». C’est très triste, comme peut l’être l’enfance ; il y a un côté clownesque dans cet âge, et rien n’est plus triste qu’un clown. »

« Comment est-ce venu ? Comment ai-je pu m’enticher d’une paire de jambes ? Procédons calmement, reprenons les faits dans l’ordre, sans les tordre, respirons gentiment. Je marchais sur le boulevard Beaumarchais, rien de précis à signaler. Subitement je fus témoin d’une fente dans la foule. Exactement comme la mer s’était autrefois ouverte, j’eus la nette impression qu’un amas de piétons s’écartait pour me permettre de voir ce que j’étais destiné à voir. Un de ces moments trop exceptionnels pour que chaque anonyme remplissant mon champ de vision puisse être étranger à ce qui m’arrivait. (…) Les jambes donc. Rien que les jambes. Ma vision était une découpe des jambes d’un inconnu. Des jambes ridicules et, pourtant, si chères déjà à mon coeur. Je les ai suivies, mes jambes, plus rien n’existait alors.« 

Toutefois, en versant dans la surenchère permanente sans lien cohérent, l’auteur finit par donner l’impression qu’il cherche son inspiration au fur et à mesure qu’il écrit et tente de masquer, tel un cache-misère, son manque d’idées, par des rebondissements tous plus farfelus les uns que les autres. Stratagème qui finit par lasser par l’absence de vraisemblance certes mais surtout par leur caractère artificiel (semblent être plaqués les uns à la suite des autres sans réelle maîtrise des effets produits).
Comme il le laisse sous-entendre, il tricote son histoire en neuf mailles (neuf chapitres) aléatoires dont le canevas final laisse bien perplexe sauf pour les amateurs du genre.

Certains ont tenté de voir derrière ces soubressauts extravagants une réflexion sur la marginalité liée à la « non-conformité » et sur l’incompréhension sociale qui peut en découler. Reste son style drôlatique, léger et parfois assez émouvant et son inventivité débridée pour tenir malgré tout le lecteur jusqu’au bout de cette aventure fantasque et saugrenue.

Deux ou troses chose que l’on sait à propos de David Foenkinos
Il a dit : « Les personnages qui œuvrent dans mes textes font rire, mais sont en proie à une vraie détresse. On pourrait plutôt les situer dans une sorte de mollesse corporelle que dans une solitude pure ou bien existentielle. Ce sont des personnages en marge, parce qu’ils vivent dans un univers en marge. De toutes ces solitudes, les rencontres qui se produisent sont souvent hyper excessives. Dès lors qu’il y a communication, l’excès se produit (ils s’aiment tout de suite). C’est une réponse proportionnelle à leur vide, au rien qui, jusqu’à présent, les composent. »

« Si j’appartenais à une mouvance, ce serait celle du plaisir. Et le rire en est constitutif. Tout mon travail d’écriture tend vers cette création d’un état, celle de donner du plaisir au lecteur.« 

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