Trois jeunes nouvellistes flirtent avec le surréalisme : Jakuta Alikavazouvic, Marie Hélène Poitras, Marie-Hélène Lafon

La nouvelle n’est, paraît-il, pas un genre très populaire en France (dixit Olivier Nora patron de Grasset). Même si l’effet Gavalda lui a redonné une deuxième jeunesse. Ainsi, des recueils affluent régulièrement et renouvellent le genre avec talent, permettant de goûter une nouvelle plume ou d’envisager une autre sous une nouvelle perspective… Nous avons repéré trois jeunes auteurs qui ont choisi d’aborder l’exercice sous une forme originale avec des thèmes poético-surréalistes : Jakuta Alikavazouvic, Marie Hélène Poitras et Marie-Hélène Lafon. De France, du Québec ou Cosmopolite, ces fablières modernes nous offrent un florilège d’histoires tragicomiques et anticonformistes :


Figure montante de la nouvelle garde littéraire montréalaise, Marie Hélène Poitras, 30 ans, auteur d’un premier roman « Soudain le Minotaure » et adoratrice de Raymond Carver, explore dans son recueil de 12 nouvelles intitulé La mort de Mignonne et autres histoires, « son rapport aux images », baigné de culture rock.
Il en ressort une narration très visuelle (elle cite également la photographe Nan Goldin comme référence pour son esthétique sombre et lumineuse) oscillant entre romantisme et noirceur, à fort pouvoir d’évocation. Elle livre les destinées de « beautés malmenées par l’existence » qu’il s’agisse de la jument Mignonne du texte éponyme, la top-model Gemma ou encore du cachalot échoué sur le littoral…
Autant de récits symboliques avec pour fil conducteur « la recherche de la grâce, de la pureté et le désenchantement ».
L’écrivain explique qu' »il y a quelque chose ici de lié à l’adolescence, ce moment où l’on découvre des pans de la vie qu’on ignorait, qui sont plus compliqués qu’on le pensait. »
Cette lauréate du prix Anne-Hébert en 2003 n’a pas son pareil pour poétiser sa prose : «Chaque cheval qui tombe est un petit drame dans l’univers, un tremblement de terre invisible équivalent à la coupe d’un arbre, à la naissance d’un éléphant, à la fonte d’un iceberg.», dénoncer les mirages de la vie moderne comme lorsqu’elle explique que nous vivons dans un monde où l’on « s’attache à ceux qui nous repoussent et qu’on rejette ceux qui s’approchent. Que ça devient étourdissant, que ça fait vieillir prématurément. Qu’à vingt-cinq ans on en a quarante, que les enfants qui naissent désexualisent les corps, et qu’en cette ère du Botox, le défi consiste à rester désirable le plus longtemps possible pour baiser -mal- avec des gens que nous n’aimerons pas, tout en fantasmant sur quelqu’un qui n’est pas plus en mesure d’aimer.», ou dépeindre ses personnages fracturés : «Avec ta palette en moins, tu souris comme une enfant qui sait comment on fait des enfants» ou encore «Lola, trente-quatre ans, détruite, herpès latent, avortée trois fois, seins mal siliconés et lourds à lui barrer le dos. Sur son visage décomposé, le mascara dessinait des ombres amères mais l’on vit apparaître un éclat de vie, un reste d’émerveillement. Lola n’était pas encore tout à fait morte.»

Jakuta Alikavazovic, toute jeune auteur née en 1979, n’en est pourtant pas à son premier coup d’essai. Elle a déjà publié quelques ouvrages destinés à la jeunesse (aux éditions L’école des loisirs). Pour son premier roman chez l’Olivier, elle a opté pour un recueil de huit nouvelles qui peuvent aussi être vus comme les huit chapitres d’un roman. Imitant le principe d’un puzzle, elle tisse une toile narrative surprenante, où chaque pièce fonctionne aussi bien à part qu’intégrée aux autres. On s’aventure dans ces morceaux de vie incongrus, avec incertitude au gré d’un style innovant et donc assez déstabilisant.

Au fil d’épisodes énigmatiques, l’auteur nous invite à traverser les existences de 8 personnages -Salomé, Laurent, Simon, Rachel, Émilie, Edgar ou Anna- dont le lien commun sera Violette, héroïne séductrice et extravagante portant « un chapeau et une capeline hystérique dont le diamètre excédait sa largeur d’épaule, tenant son visage à distance respectueuse ». Elle bouleverse leur vie comme une boule de bowing, les hypnotise ou les trouble : Simon quitte sa femme et son métier de banquier pour s’essayer à l’écriture. Salomé et Patrick suivent compulsivement cette femme en perpétuelle fuite afin de découvrir le sale secret qu’elle cache derrière ses verres fumés

Des histoires où affleurent à tout instant une étrangeté sensuelle teintée de taxidermie. En effet, l’auteur jonche ses pages de clins d’oeils aux morphologies et aux ossements comme cette visite au Muséum d’histoire naturelle « Nous avons continué la visite ensemble, en nous embrassant nous guettions notre reflet sur les vitrines. Crânes lubriques posés en ombres et transparences sur les squelettes des grands singes figés dans un envol étrange, humérus très longs déployés dans les airs -un grand moment de mise en scène. Ravis, nous sommes allés projeter nos contours sur les pièces responsables fonctions de l’organisme, intestins de cheval, primates écorchés. », ou encore Violette caressant un lévrier argenté en lui comptant les côtes… Transformant ainsi le lecteur en paléontologue dans un monde «où tout entre en collision».

Citons enfin Marie-Hélène Lafon, pas vraiment novice, qui publie aux éditions Buchet-Chastel un recueil de nouvelles dites à chute. Histoires de couples qui se font et se défont, de familles, d’amour… Ici encore les animaux (taupes fouisseuses…), la terre et le végétal viennent faire écho aux destins des hommes.
Avec pour toile de fond la province campagnarde du Sud-Ouest de la France, elle restitue avec une acuité rare la densité de l’instant et ces détails insignifiants qui donnent le goût ou le dégoût de vivre.

Au café, au pensionnat, à la maison devant la télé pour regarder le Tour de France ou face à un café en attendant les hommes, elle sonde les souffrances de ces existences empêchées : de Berthe, pensionnaire, emprisonnée dans son corset comme dans sa future vie de docile femme au foyer : « Le corset est trop rose, trop humain, trop à vif, il a l’air de crier dans son désordre. Je n’identifie ni dos ni devant, pas de bretelles réglables, aucune place douillette ménagée pour la poitrine de la créature qui porte le corset,(…) Le corset tient au corps, comme ça, la chair le remplit, et il la maintient, par la force, au bord de l’éclatement. Je pense aux boyaux bien tendus des saucisses et des boudins alignés sur la table de la cuisine tandis que les femmes de ma famille suent et s’affairent dans la viande les jours où le cochon est tué. », à la petite communiante dans son aube louée pour la circonstance, subissant cet interminable repas de famille dont elle est le prétexte…

Ici pas d’organes à proprement parler mais devinés au travers des corps qui secrètent et qui exhalent des odeurs fortes (« C’est le défaut de sa grand-mère, maternelle, sa faiblesse, le parfum, elle n’a pas de parfum, elle a une odeur. Elle sent la salaison, la salaison de qualité »), des souvenirs cruels, des dégoûts ou des violences plus ou moins refoulées…

Rompant avec les images d’Epinal habituelles, elle livre des descriptions âpres et sensuelles et des chutes qui suggérent, plus qu’elles ne disent. « Moins on en dit, plus le lecteur peut s’emparer du récit, estime t’elle. Il faut que l’histoire s’en aille » Et ne cache pas son intérêt pour « ces milieux confinés (l’univers clos et cloisonné de la campagne profonde) qui favorisent la violence en particulier les milieux de filles qui secrétent des miasmes. »

2 Commentaires

    • Laure sur 29 mars 2006 à 10 h 48 min
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    Dans le genre nouvelle animalière, Marie Darrieussecq vient de sortir "Zoo" aussi… Un peu dans le style de Truisme j’imagine.

    • Bastien sur 30 mars 2006 à 13 h 13 min
    • Répondre

    Les nouvelles c’est problématique. Dans un recueil il y en a souvent seulement 1 ou 2 qui vaillent vraiment la peine.

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