Humeur : Faut-il devenir boulimique de livres ? ou l’Eloge de la lenteur

Parfois, j’ai le vertige voire la nausée en pensant à tous les livres qu’il me reste à lire… Je fais des listes. J’essaie d’organiser, de retenir les titres, les auteurs. Les « indispensables », les « pour le plaisir », les « chefs d’oeuvre », les « premiers romans », les « à découvrir même si c’est pas mon style », les « insolites », les « coups de coeur », les « primés »… J’achète, j’emprunte, je stocke, j’empile, je feuillette, j’ingurgite… Et parfois j’ai des hauts le coeur… en pensant à tout ce que je n’ai pas encore lu. Mais comment font ceux qui lisent un livre par jour ?


Eh oui certains semblent avoir un appétit insatiable (et du temps en pagaille alors aussi ?) et dévorent littéralement les ouvrages : les nouveautés, les classiques, les oubliés, les français, les francophones, les australiens, les américains ou les asiatiques…
Rien ne semble résister à leurs yeux avides !
Ils font du « speed-booking » ou « speed-reading »… Mais lecture et rapidité sont-ils des mots qui vont bien ensemble ? Cela me semble désespérément incompatible…

J’aime, au contraire, prendre mon temps, savourer le livre, le poser, le reprendre faire durer le plaisir (pour peu qu’il m’intéresse bien sûr, ce qui reste somme toute assez rare). Et plus que tout : j’aime RELIRE. Mais à l’heure de l’abondance, ce luxe est-il encore possible ? Sous peine d’être totalement submergé une fois le livre bien-aimé relu. Sans compter la pression qui vous assaille : « Comment tu n’as jamais (ou pas encore) lu X ? », ne manquant pas d’entraîner un baissement de tête honteux et coupable…

Je me souviens avec délice, des relectures incessantes que je faisais, enfant, de mes livres favoris (merci Roald Dhal ou Pierre Gripari…).

Devenue adulte, j’ai l’impression d’être entrée dans une course poursuite où les livres s’enchaînent sans réellement avoir le temps de m’y attarder ni de me laisser totalement imprégnée parce que le suivant me lorgne déjà sur son étagère… Et qu’il y a une sorte d’urgence.

De ce fait, je ne garde qu’un lointain souvenir, de vagues sensations des livres qui m’ont vraiment marquée. Peut-on vraiment aller au bout d’un livre en une seule lecture ? Je ne le pense pas.

Comme je le lisais dans les carnets de JLK, dans sa note « Lire et relire » il existe plusieurs sortes de relectures : « Du livre lu en adolescence, type Vol à voile de Blaise Cendrars, ou Crime et châtiment de Dostoïevski, et qu’on éprouve la nostalgie ou la curiosité de relire dix ou vingt ans plus tard, à ces auteurs ou ces ouvrages auxquels on revient sans discontinuer à travers les années, la relecture équivaut le plus souvent à une redécouverte, laquelle dépend évidemment de l’évolution du texte autant que de celle du lecteur. »

Cette relecture est pour moi essentielle mais j’ai la triste impression que l’édition, à l’heure de la sur-abondance, ne nous donne plus ce temps-là…
Même si le poète mexicain Gabriel Zaid dans son essai « Bien trop de livres ? » se réjouit de cette riche production qui est, selon lui, « le luxe d’une société riche et cultivée ».

Quelques chiffres extraits de son essai :

– Même si demain, on arrêtait la fabrication de livres, il faudrait 250 000 ans pour prendre connaissance de ceux déjà écrits.

– Il se publie un million de livres par an dans le monde, contre 35 000 titres entre 1450 et 1550.

– L’humanité publie un livre toutes les trente secondes

Ajout du 18/05/06 : le livre recommandé ci-dessous dont l’intitulé exact est « Du bon usage de la lenteur », assurément un livre qui fait du bien…

Illustration : Francine Van Hove

Alexandra

19 Commentaires

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    • Castor Junior sur 15 mai 2006 à 10 h 58 min
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    Alexandra, un livre par jour, quand on a le temps, cela n’a rien d’anormal. Mais puisque tu goûtes les voluptés de la prise de temps, il te faut impérativement lire "éloge de la lenteur" du regretté Pierre Sansot.

  1. 35 000 livres entre 1450 et 1550, cela correspond aux nombres de nouveautés éditées en France chaque année.
    Depuis quelques semaines, j’ai cette espèce de chance de pouvoir chroniquer des livres pour un webzine. Très vite je me suis demandé comment j’allais avaler autant de romans, (pour ne rien dire des essais, recueils, rééditions qui pullulent..). J’ai discuté avec un critique qui m’a dit sans rire : "c’est vrai que c’est dire de lire plus de cinq ou six bouquins par semaine". J’ai opiné sans me risquer à ajouter qu’un à deux romans par semaine c’était le maximum pour moi. Puis j’ai lu mes camarades de jeu, j’ai retrouvé beaucoup d’extraits communs, de propos repris partout, de perspectives critiques qui ne parlaient que du premier tiers du livre. Un peu plus tard encore, au Salon du livre, quelqu’un m’a parlé des e-books : alors que je l’interrogeais sur le confort de lecture sur écran, il a insisté sur le nombre ahurissant de pages disponibles (80 000 je crois). Puis il y a eu un silence un peu gêné parce que c’est vrai qu’on avait l’air con.
    le vrai plaisir c’est la relecture, vous avez raison. Aujourd’hui, tout le monde écrit, quelques uns lisent, personne ne relit. La Fnac devrait afficher des dates de péremption sur la quatre de couv’ vu le turn over des bouquins.
    Je crois que je vais monter une entreprise de lecteurs.
    Easywriter de Fluctuat
    ps : c’est sympa chez vous. vraiment

    • Soluble dans l'air sur 15 mai 2006 à 15 h 05 min
    • Répondre

    je serai plutôt du genre à lire un livre en une nuit et non en un jour; ça se lit la nuit les livres.. pas le jour

    • Marie-Lise Pollet sur 15 mai 2006 à 19 h 29 min
    • Répondre

    "Même si demain, on arrêtait la fabrication de livres, il faudrait 250 000 ans pour prendre connaissance de ceux déjà écrits"

    >> Si l’on arrêtait la fabrication de livres, il n’y aurait plus de progrès : on tomberait dans une sorte de littérature figée dans un formol passéiste qui n’aurait plus aucun rapport avec ce que nous vivons, notre époque. Il y a certes des livres qui ne prennent pas une ride mais d’autres se fânent ou sont incomplets face au nouvel environnement qui nous entoure et à ses évolutions. L’accélération de la "production" de livres suit, je le crois, l’accélération des changements de notre époque. Elle y est proportionnelle.
    Le livre, les livres est/sont une matière vivante, palpitante qui se réinvente à chaque époque. Mais c’est bien de ce dont il s’agit sur votre site de "nouvelle génération" après tout !

    • Marie-Lise Pollet sur 15 mai 2006 à 19 h 29 min
    • Répondre

    "Même si demain, on arrêtait la fabrication de livres, il faudrait 250 000 ans pour prendre connaissance de ceux déjà écrits"

    >> Si l’on arrêtait la fabrication de livres, il n’y aurait plus de progrès : on tomberait dans une sorte de littérature figée dans un formol passéiste qui n’aurait plus aucun rapport avec ce que nous vivons, notre époque. Il y a certes des livres qui ne prennent pas une ride mais d’autres se fânent ou sont incomplets face au nouvel environnement qui nous entoure et à ses évolutions. L’accélération de la "production" de livres suit, je le crois, l’accélération des changements de notre époque. Elle y est proportionnelle.
    Le livre, les livres est/sont une matière vivante, palpitante qui se réinvente à chaque époque. Mais c’est bien de ce dont il s’agit sur votre site de "nouvelle génération" après tout !

  2. Tiens c’est aussi le sujet évoqué par Michèle Gazier sur son blog "des livres et moi". J’aime bien ce qu’elle y dit et je vous conseille sa lecture :

    Doit-on s’interdire de relire, adultes, des livres de notre jeunesse ? La désillusion n’est pas forcément négative. A douze ans, on lit toujours pour l’histoire et on saute souvent les descriptions. Plus tard, on lit pour la saveur du texte, parce qu’il nous envoute ou nous éclaire sur nous ( comme vous le dites si justement dans vos commentaires).
    Relire est un luxe lorsqu’on est critique littéraire dans un hebdo. La profusion de la production vous pousse toujours en avant. On lit en amont des sorties, non stop. Le plaisir secret, la récompense, consiste donc à être dans l’actualité des parutions et à trouver des textes « neufs » déjà lus et aimés . Editions de poche, éditions Pléiade. Relire, c’est faire une pause, se donner une respiration. Relire c’est retourner sur les lieux d’une rencontre pour y retrouver un(e) ami(e). Parfois, la deuxième rencontre est décevante. On tire un trait. Parfois, au contraire, elle est plus riche que le premier contact." blogs.telerama.fr/livres/…

  3. Merci de vos intéressantes remarques et liens!
    Castor Junior : je suis d’accord sur le fait qu’un livre par jour, "cela n’a rien d’anormal" (qu’est ce que la norme après tout ?) mais cela m’impressionne et je me questionne sur le plaisir retiré de cette "lecture TGV". Je me disais bien que j’avais déjà vu ce titre "Eloge de la lenteur" alors pourrais tu nous en dire quelques mots : eh oui en plus d’être lente, je suis fainéante 🙂

    easywriter : devons-nous à ton avis nous réjouir de cette abondance, en tant que critique, puisque logiquement on devrait s’arracher nos services pour chroniquer tous ces nouveaux livres ?! C’est très sympa aussi chez vous sur le Mille-feuilles, plus salé que sucré d’ailleurs…

    Marie-Lise, je suis aussi d’accord d’ailleurs je ne remettais pas en question la qualité ou l’intérêt d’une telle abondance, il s’agissait plus de confier mon sentiment de lectrice se sentant submergée…

    merci Emmeline pour cet extrait intéressant. Je rêve en effet de relire mes livres de jeunesse pour toute la nostalgie qu’ils m’apporteront.
    Dés que j’ai terminé ma pile des "à lire", je me lance !

  4. effectivement, l’augmentation de la production devrait accroître d’autant le recours aux sous-traitants. sauf qu’en phase industrielle, le discours esthétique est moins important. Orwell expliquait que tous els editeurs sont convaincus qu’ils peuvent se passer de la critique littéraire dont la capacité à réguler le marché est proche de zero. s’ils ne le font pas c’est une pour une raison très simple, ajoutait à peu près le visionnaire : se passer des critiques est comparable aux tentatives de désarmement : la question est qui osera le faire en premier ? A méditer
    je vous bise les filles

  5. Tu es bien pessimiste et… un brin excessif non Easy ? Cela dit, l’intiative a déjà débuté avec les critiques de cinéma qui se sont vus interdits de certaines projections, tandis que les lecteurs ont perdu confiance dans les critiques littéraires, de moins en moins objectifs donc théorie peut être pas si irréaliste… Mais les éditeurs ne pourront pas empêcher les lecteurs de s’exprimer et de critiquer leurs livres. Internet en est le meilleur tremplin.

  6. les critiques font la nique passque desormais on peut se passer d’eux.
    les lecteurs ont pris les armes : http://www.critiqueslibres.com

  7. "Comme une grande musique qu’on peut réécouter sans fin, les grands romans eux aussi sont faits pour des lectures répétées." Milan Kundera – Les testaments trahis

    Il est des livres dont on se nourrit. De ceux-là, on ne peut se passer. René Char disait : "des alliés substantiels".

  8. "Et il n’y a pas d’activité plus belle et morale que la lecture. Lire des romans c’est déjà un acte de liberté. Je suis d’ailleurs favorable à ce qu’on paie les lecteurs. Ils ont une véritable activité civique morale de pensée. Si on proposait le smic à quelqu’un qui veut devenir lecteur, je suis persuadé qu’il n’y aurait pas énormément de volontaires. Pour être lecteur, pas juste lire des histoires, il faut des années de pratique, des années d’entrainement, parce qu’on ne peut pas lire de la littérature française contemporaine si on n’a pas lu l’anglaise du XVIIIe sicècle, si on n’a pas lu les classiques…les lecteurs sont des héros."

    Patrick Deville

    • signe extérieur de détresse sur 21 mai 2006 à 9 h 49 min
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    je lis 1 à 2 livres par mois et je m’en porte très bien.. par contre je m’étonne toujours de voir que nos auteurs contmporains avouent tous qu’ils se lisent très peu entre eux et préfèrent lire "les morts".. aveu de faiblesse ?

  9. Vlad : de acuerdo ! Mais aussi tous les blogueurs qui commentent les livres qu’ils ont lus/aimés… C’est la critique alternative (peut-être l’avenir de la critique littéraire ?). D’ailleurs personne, ni les critiques littéraires, ni les journalistes, ni les écrivains ni aucune profession n’aime être menacée dans « son bastion ». Quand la presse gratuite est apparue, tous les journalistes de presse payante ont crié au scandale, maintenant ils leur mangent dans la main et les imitent. Toujours la même idée que je défends : ne pas se poser en victime et innover, réinventer dans un nouveau contexte. Rien n’est immuable ni acquis. Bref, je m’égare…

    Traces écrites : merci de cette jolie trace que tu laisses ici. En plus tu cites Kundera qui fait partie des auteurs que j’aimerais tant relire… Je rejoins Joël, chouette idée que ton pense-(pas) bête de livres à lire. C’est peut-être ce que je devrais faire. Bonne lecture de Lola Gruber ! Contente que son interview t’ait intéressé. J’attends tes impressions post lecture…

    Joël : c’est excellent ces propos que tu retranscris ! Y’a plus qu’à soumettre à nos chers politiques Toutefois, je ne suis pas entièrement d’accord sur le fait qu’on ne puisse pas « lire de la littérature française contemporaine si on n’a pas lu l’anglaise du XVIIIe sicècle, si on n’a pas lu les classiques… », ce qui revient pour moi à réserver la littérature à une élite instruite.
    Idée assez répandue en France d’où les complexes de certains qui n’osent pas lire de peur de ne pas être « à la hauteur » ou même d’entrer dans une librairie.
    Chacun peut suivre son chemin parmi les livres, il me semble, sans balises ou pré-requis. Chacun y trouvera et en retirera une émotion différente en fonction de son vécu et de son expérience littéraire… ou non.

  10. J’ai mis cette citation de Patrick Deville à cause de son livre "La tentation des armes à feu" que j’ai beaucoup aimé. Je me suis rabattu sur "La chambre de la Stella" au second tour sans trop de regret, j’avais bien aimé ce livre aussi qui dans la forme et le fond est bien plus classique.

    Tout à fait d’accord avec toi sur le fait que l’on peut lire les livres dans l’ordre et surtout le désordre qu’on veut.
    Il y faut un brin de sérendipité, n’est-ce-pas Traces?

    Je ne l’ai pas encore dit mais j’aime bien ce blog.

  11. Voilà qui me réjouit Joël que tu aimes ce blog! C’est toujours une fête pour moi de permettre à des gens de se rencontrer, dans tous les mondes. Vous lire à la suite, Alexandra et Joël, c’est que du bonheur!

    Et puis, tant que je vous tiens tous les deux, autant répéter ici ce que je viens de dire chez moi : j’ai commandé les 12 histoires d’amour et la tentation des armes aujourd’hui. Je suis ressortie de la librairie avec Le bleu du ciel de Georges Bataille et Un secret de Philippe Grimbert. Le premier, je le voulais depuis longtemps; le second, je ne sais pas encore pourquoi.

    On peut lire dans n’importe quel ordre …… Je pense à Marelle de Julio Cortazar qui propose deux parcours dans son livre; l’intertextualité étant différente, on a le sentiment de lire deux histoires.

  12. Sympa de se retrouver ici Traces.
    J’ai aussi une belle pile de livres à lire. J’ai un peu écumé la littérature suisse au salon de Genève et ramené qq prises de guerre, je me régale avec les Nains de jardin de Bovard. J’ai commencé par le plus facile mais je ne regrette pas. Je vais aussi lire le Houellebecq que j’ai troqué avec Dilettante et aussi le livre de Todorov et ceux plus anciens du journal de Jean Louis Kuffer que j’ai gagné en participant à son concours papou :
    carnetsdejlk.hautetfort.c…

    Par chance il y a de longs week-ends et en juin je conge deux semaines.

    • ABRE LOS OJOS sur 29 mai 2006 à 20 h 01 min
    • Répondre

    CHere Alexandra,
    quand on aime le livre qu’on lit, on ne pense ni au suivant ni au temps passé à le lire. 1 journée, 1 semaine, quelques heures… Qu’importe
    Plus rien n’existe.

    • katchoo sur 8 juillet 2006 à 12 h 47 min
    • Répondre

    Chère Alexandra,
    Comme toi ma vie active (pour ne pas dire suractive)de jeune adulte me laisse finalement de moins en moins de temps pour la lecture, activité que j’exerçais souvent non-stop du temps de mes années étudiantes… Bref,j’ai pris une grande décision: je ne m’oblige plus à finir un ouvrage qui ne me transporte pas passées les 100 premières pages.
    C’est certes autocratique et peut-être parfois dommage mais comme j’en étais également arrivée à me sentir mal en passant les portes de la bibliothèque (tant de livres à lire et qui sait, parmi eux MON livre, celui qui deviendra le compagnon de mon chevet et que je relirai sans me lasser ma vie entière…), des mesures s’imposaient. Du coup, je vis mon intérêt pour la littérature de manière beaucoup plus légère et décontractée. Et le plaisir est là, plus que jamais.
    Merci pour ton blog, intelligent et éclectique, je suis fan 🙂

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