« Adultères » de Woody Allen, le génie des névroses et autres trahisons amoureuses new-yorkaises

D’abord il y a eu le choc de Manhattan, ensuite d’Annie Hall, d’Hannah et ses soeurs ou encore d’Interiors et tout récemment celui de Match point (même si le plaisir est légèrement rogné quand on a déjà vu Une place au soleil). La découverte d’un monde doré et cultivé où derrière chaque histoire d’amour, chaque marivaudage, il y a un poème de Keats, un livre de Shakespeare ou un morceau de John Coltrane. Un monde où l’on se fait de grandes déclarations dans une expo d’art moderne, chez un bouquiniste, sous un pont face à l’Hudson ou dans la salle d’attente de son psy… Woody Allen et moi, une grande histoire. Un père spirituel, un idéal masculin, un pygmalion, une muse, un modèle, un sauveur, un mythe… Le seul capable de vous parler aussi bien de l’oeuvre de Verdi que du dernier match de base-ball qu’il vient de voir… (re)Voir un de ces films, c’est s’émerveiller, engranger chaque fois une nouvelle énergie, c’est retrouver l’espoir, la confiance. Se dire que rien ne va, mais tout roule quand même. C’est déprimer dans un grand éclat de rire. Toujours avec une élégance folle. Mais avant d’être réalisateur, l’homme est auteur. Et même « auteur de sketch pour le music-hall » comme il se qualifie quand il évoque sans honte ses débuts. Il en a gardé un talent incroyable pour les répliques qui font mouche, à l’humour incisif et un goût pour les situations théâtrales. C’est donc tout naturellement qu’il a aussi écrit pour la scène. Adultères (« Three One-Act Plays » en VO) est une fantaisie dramatique : trois courtes pièces (Riverside Drive, Central park West et Old Saybrook) en un acte, indépendantes les unes des autres, avec pour fil conducteur l’adultère donc. Cette oeuvre de jeunesse, montée pour la première fois en 2003 à l’Atlantic Theater de New-York, se joue actuellement à Paris. J’ai eu la chance de les voir. Jubilatoire !

Woody Allen, maître des relations et des petites théories sur le couple, nous raconte ici ce qu’il connaît le mieux : les tourments amoureux de la bourgeoisie new-yorkaise, leur désespoir et leur arrogance, leurs petites lâchetés, égoïsmes mais aussi leur fragilité…
Derrière la satire à la fois tendre et cynique, on trouve aussi des touches de fantastique, de poésie voire de métaphysique… Et même l’influence du film noir avec l’ombre de meurtres qui plane ! Il met sa verve décapante au service de personnages représentant tous les archétypes de la high society new-yorkaise : l’écrivain raté, le scénariste à succès, la psy, l’homme d’affaires sans scrupules, la riche femme au foyer un peu simple d’esprit… Dans le luxe de leur intimité, les masques tombent et leurs personnalités infidèles et trompeuses se révèlent au grand jour… A la fois ridicules, détestables et touchantes malgré tout…

Aussi perfectionniste que léger, Allen cisèle ses répliques efficaces, calibrées pour faire rire.
Grâce au seul dialogue, il parvient à créer un univers contrasté, ponctué de moments de tension, d’absurdité ou d’émotion. Ainsi dans la première pièce « Riverside Drive » au décor épuré (un réverbère diffuse un halo lumineux orangé sur fond de grattes-ciels flous où seul le clapotis de l’Hudson vient troubler le silence), il met en scène, dans un terrain vague un écrivain angoissé qui attend sa maîtresse pour rompre. C’était sans compter l’arrivée impromptue d’un étrange clochard illuminé (il croit recevoir par ondes électriques des messages extra-terrestres) qui s’avère tout connaître de lui (son métier mais aussi son épouse au « visage de rongeur », dit-il). Et pour cause, il le suit en filature depuis qu’il est persuadé que celui-ci lui a volé son idée pour son dernier film à succès ! Après lui avoir réclamé une commission, échangé tous les noms d’oiseau possibles, il deviendra finalement son conseiller conjugal, attendri par le désarroi de son interlocuteur. Un conseiller conjugal de choc qui ira jusqu’à lui préconiser une solution très radicale pour résoudre son dilemme amoureux et contourner le chantage de sa maîtresse (photo ci-dessus et ci-dessous). Leur conversation fourmillant de petites perles :
Jim : Mais c’est quand même un être humain
Fred : A vous entendre on dirait que c’est formidable.
Jim : Ce n’est pas le cas ?
Fred : Vous avez déjà assisté à une réunion de copropriétaires ?

ou encore lorsque l’écrivain se défend des idées meurtrières de son interlocuteur :
C’est ma culture judéo-chrétienne qui me l’interdit.
– Vous recevez des ordres d’une mafia…
, lui siffle le SDF malicieusement.

Au sujet de cette pièce, Allen expliquait au Figaro : « New York est remplie de gens très fous qui dorment dans la rue et qui peuvent parfois être dangereux. Mais si vous prenez la peine de leur parler, vous tombez souvent sur des gens passionnants. Ils ont juste une vision de la vie différente.« 

La deuxième pièce « Central Park West » (troisième dans le recueil) est ma préférée, peut-être parce que c’est la plus proche de l’univers de ses films. Cette fois-ci, elle s’articule autour d’un face à face féminin particulièrement percutant. Attention aux étincelles !
Phyllis, une psychanalyste (métier que Woody connaît sur le bout des doigts) désespérée, effondrée à son minibar très design, appelle sa meilleure amie pour la « réconforter ».
Après bien des détours (où elle en profite pour lui asséner ses sarcasmes bien sentis), elle finit par lui avouer que son mari vient de la plaquer… pour elle justement !
Démasquée, cette dernière tentera de se justifier en passant en revue ses dernières années d’adultère sous les oreilles scandalisées de la première. Le dialogue assassin entre ces deux rivales, un brin hystériques qui ne mâchent pas leurs mots, sera bientôt enrichi des versions de leurs époux respectifs (dont Howard, écrivain raté, doux rêveur maladroit qui se laisse allègrement berner par sa femme volage et finit même par serrer dans ses bras son concurrent !). Mais ils ne sont pas encore au bout de leur surprise…

On rit, on sursaute, on s’étonne et on se régale !
Enfin dans Old Saybrook, on s’éloigne de la ville pour l’ambiance d’un week-end chic à la campagne, dans une vaste demeure du Connecticut. Trois couples reçoivent la visite des pittoresques anciens propriétaires, Hal et Sandy, beaufs sans gêne. Ils révèleront aux nouveaux habitants une cachette dans l’âtre de la cheminée où ils découvrent le journal de l’un d’eux relatant sa liaison sulfureuse avec la sœur de son épouse. Stupeur générale mais le récit s’interrompt brusquement en raison d’une panne d’inspiration du dramaturge. On assiste là à un effet décalé d’histoire dans l’histoire, ce qui casse un peu la dynamique de l’ensemble et s’achèvera en queue de poisson.

A l’image de ses pièces, la vision du couple par Woody Allen est plutôt mitigée : « La relation entre un homme et une femme est très difficile. Les meilleurs couples doivent souvent leur entente au hasard. Ce n’est pas à cause d’un travail ou de concessions, c’est juste une question de chance. »

Benoît Lavigne a travaillé une gestuelle, un jeu et des déplacements très rythmés (des jeux de lumière et de musique auraient pu être ajoutés toutefois), ce qui fait que l’on ne s’ennuie pas une minute. Coup de coeur pour les intros sur écran géant avec de mini génériques très graphiques qui remplacent le traditionnel rideau et pour le drôlatique Xavier Gallais aussi génial en clochard loufoque qu’en écrivain raté naîf et maladroit ou macho beauf… [ Alexandra – Buzz littéraire ]

A découvrir sans tarder ce mois-ci au Théâtre de l’Atelier : 1, place Charles Dullin 75018 Paris – Rés : 01 46 06 49 24.

Le livre « Adultères » :
Dans Adultères, l’auteur interroge l’union entre hommes et femmes, la nature de ses fondations, l’hypocrisie qui tôt ou tard les recouvre en un vernis craquelant. Sexe, mensonges, aveux et trahisons sont au programme de cette comédie humaine à la légèreté décapante. Dans une société bourgeoise aux relations convenues, l’amitié n’est qu’un tour de passe-passe entre adultes consentants. Féroce, impitoyable, la vérité émerge brutalement, au hasard de dialogues truculents et de répliques acerbes, dont le rythme ignore les temps morts. Chacun s’envenime, déverse son fiel, jusqu’au triomphe final de la bienséance.

Traduit de l’américain par Jean-Pierre Richard et Benoît Lavigne (également le metteur en scène parisien des pièces).

2 Commentaires

    • mad.about.u sur 21 septembre 2006 à 18 h 16 min
    • Répondre

    j’attends avec impatience la sortie de SCOOP, son nouveau film avec la torride Scarlett…..

  1. Hé oui même si je suis une inconditionnelle des 70’s/80’s parce qu’elles contiennent toute l’essence de l’univers « allénien », je craque en général aussi à chaque fois pour « son dernier ».
    Amusante Scarlett, en Woody au féminin avec ses petites lunettes 🙂

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