« A l’estomac » de Chuck Palahniuk et « Guts », sa nouvelle traumatisante…

Dans son dernier roman « A l’estomac » adaptation française du titre original « Haunted », Chuck Palahniuk repousse les limites de l’horreur et de la violence. Comparé à un « loft littéraire » version trash ou à « une version littéraire de Jackass » selon la formule de Frédéric Beigbeder, Palahniuk se penche ici sur les affres de la création littéraire à travers les péripéties cauchemardesques de 23 écrivains wanna-be, conviés à venir écrire dans « un environnement calme, loin de l’agitation du quotidien et propice à la création ». Une retraite « paisible » (un vieux théâtre désaffecté) qui leur réservera en réalité les pires surprises allant jusqu’à les conduire à l’automutilation ou au cannibalisme.

La régle du jeu pour s’échapper de leur emprisonnement ? Inventer la meilleure histoire. Sous la houlette d’un mystérieux démiurge au visage de vieillard et aux moeurs d’enfant, ils suivront des leçons sur les dangers des méthodes alternatives de masturbation, les descentes d’organes, les mutilations, le cannibalisme ou encore les joies de la clochardisation…
Dans ce nouveau « groupe de thérapie », un concept cher à l’auteur, il s’agit donc de création collective et individuelle où l’imagination, guidée par une quête obsessionnelle de célébrité, conduira les participants à dévoiler la part la plus sombre de leur humanité. C’est d’ailleurs ce qu’a effectué l’auteur pour écrire ce livre si noir, destiné à son lectorat le plus jeune en recherche de récit plus « cru » : « Les jeunes lecteurs veulent être vraiment choqués et scandalisés. Il ne faut surtout pas les ennuyer. Pour eux, j’ai écrit A l’estomac et leur ai offert certaines des histoires les plus atroces que je pouvais imaginer.« , confiait il dans un entretien donné à Fluctuat. Une révélation qui peut surprendre : Un auteur doit il vraiment écrire pour plaire à son lectorat au lieu de suivre ses propres instincts ?

Cela n’empêche pas l’ouvrage d’être conséquent (le plus volumineux de sa carrière avec 400 pages). Il se présente sous une forme originale : un roman entrecoupé de nouvelles, comme un patchwork de plus d’une vingtaine d’histoires courtes allant du réalisme étrange au fantastique gore, en passant par la science-fiction. Et tape au passage sur la téléréalité et le capitalisme sauvage occidental, vieille obsession de l’auteur de Fight Club : « C’est ça le rêve américain : transformer ta vie en quelque chose que tu peux vendre ».

Une version bien trash et extrême des ateliers d’écriture (que l’auteur a fréquenté assidûment) ! Toutefois, certains critiques lui ont reproché sa surenchère, nuisant à la justesse et à la crédibilité de son propos. Même si la face burlesque de son récit affleure régulièrement pour désamorcer le gore des situations. Sa marque de fabrique.
Tout l’intérêt de l’oeuvre de Chuck Palahniuk réside en effet dans sa capacité à toujours justifier la violence de ses histoires. Rien n’est jamais gratuit. La violence n’est qu’un vecteur pour révéler un malaise plus profond et montrer de nouvelles perspectives de problèmes de société, avec une liberté de penser étourdissante. Il semble que dans ce dernier roman, ce talent soit moins à l’oeuvre.

Interrogé par le magazine Libération sur sa subversion, il expliquait : « Mes livres sont plutôt romantiques, avec cette idée qu’au fond, seule la communauté vaut, que l’isolement est pire que tout. Ce qui est vrai, c’est que je vais à l’encontre d’une tendance grandissante au repli sur soi, érigeant la solitude en idéal. Sinon, sur la forme, mon idée est de saisir le lecteur, y compris physiquement. D’où ce minimalisme, ces phrases courtes, surtout à base de verbes, de répétitions, et ces sujets, la maladie, le sexe, la violence, et tout ce vocabulaire médical, qui me permet d’établir mon autorité tout en apportant une touche poétique à un lexique sinon très simple et très concret. »

Voir aussi : l’entretien vidéo complet avec Chuck Palahniuk dans la rubrique Buzz +

Pour l’anecdote (très « sensationnelle »), les lectures publiques d’une de ses nouvelles (“Guts”) auraient même causé l’évanouissement de plus d’une soixantaine de personnes, au rythme de deux ou trois par lecture selon le journal anglais The Telegraph. Prévoyez donc les sels de réanimation, le téléphone du Samu à proximité, voici cette fameuse nouvelle « Guts », disponible sur Internet en version française, extraite de « A l’estomac ». Dans son entretien à Fluctuat, il déclare : « Les gens qui sont choqués à la lecture d’une histoire comme « Tripes » sont ceux qui n’ont jamais accepté la vérité de leur propre mort. Ces gens n’ont malheureusement jamais été véritablement vivant. » Diagnostic ?

Traduction de la nouvelle « Guts » (Tripes)
par Chuck Palahniuk
Traduit de l’anglais par Patrick Baud (3xoc3t@wanadoo.fr)

Inspirez.

Prenez autant d’air que vous pouvez.

Cette histoire devrait durer à peu près aussi longtemps que vous pouvez retenir votre souffle, et continuer encore un peu. Alors lisez aussi vite que possible.

Quand il avait 13 ans, un ami à moi entendit parler du « pegging ». C’est quand un mec se fait mettre un gode dans le fion. La rumeur dit que si vous stimulez la prostate assez fort, vous pouvez avoir des orgasmes explosifs sans les mains. A cet age la, ce pote était un petit maniaque sexuel. Il cherchait toujours une meilleure façon de cracher son jus. Il sort donc s’acheter une carotte et de la vaseline. Pour mener une petite expérience privée. Ensuite, il réalise le tableau que ça va donner à la caisse, cette carotte avec un pot de vaseline en train d’avancer sur le tapis roulant. Tous les clients de la queue en train de le fixer. Tous témoins de la grande soirée qu’il se prépare.

Alors, mon pote, il achète du lait, des œufs, du sucre et une carotte, tous les ingrédients pour un gâteau à la carotte. Et de la vaseline.

Comme s’il rentrait chez lui se mettre un gâteau à la carotte dans le cul.

A la maison, il taille la carotte avec un couteau. Il la badigeonne de lubrifiant et se la carre dans le trou de balle. Et là, rien. Pas d’orgasme. Rien ne se passe, sauf que ça fait mal.

Ensuite, ce gosse, sa mère lui crie que c’est l’heure de dîner. Elle lui dit de descendre, tout de suite.

Il retire la carotte et cache la chose immonde et visqueuse dans le linge sale sous son lit.

Apres dîner, il va chercher la carotte. Et elle n’est plus la. Pendant qu’il mangeait, sa mère est venue ramasser toutes ses fringues sales pour faire une machine. Impossible qu’elle n’ait pas trouvé la carotte, soigneusement taillée avec un de ses couteaux de cuisine, encore luisante et nauséabonde.

Ce pote à moi, il reste des mois sous un gros nuage noir et menaçant, attendant que ses parents lui en parlent. Et ils ne le font jamais. Jamais. Même maintenant qu’il est adulte, cette carotte invisible est suspendue au dessus de chaque repas de Noël, chaque anniversaire. A la moindre réunion de famille, cette carotte fantôme flotte au dessus de leurs têtes.

Cette chose trop horrible pour être mentionnée.

Lire la suite de Guts (Tripes en français) extrait du livre « A l’estomac » (Haunted) de Chuck Palahniuk
Voir aussi : la vidéo de la dédicace très originale de Monsieur Chuck Palahniuk

8 Commentaires

Passer au formulaire de commentaire

  1. À noter, dans une interview accordée à Fluctuat: Palahniuk explique une surenchère calculée, comme une réponse aux réactions qu’a suscité le roman Diary (son meilleur / avis perso / mais celui là, il arrache les molaires au burin) sur un public habitué à ses auto-resucées de Fight Club.

    http://www.fluctuat.net/3602-Chu...

    … Une sorte de "vaccination", en somme ahah

  2. yep, merci je cite ce même entretien dans l’article 🙂
    Son explication m’a d’ailleurs un peu surprise comme je l’évoque plus haut… et un peu déçue je l’avoue…
    Je préfère quand l’auteur n’écoute que lui-même.

  3. Oui Alexandra, une amie a qui j’ai envoyé le lien me dit qu’elle trouve l’extrait très « ado », plus cra cra que choquant, donc déçue, elle aussi.
    Moi, ça m’a pris… aux tripes.
    Au travers de cet extrait, je trouve que l’on est plus proche des émissions TV sur la chirurgie esthétique – interventions sur le corps, troué, découpé, recousu, ouvert, tuméfié – plutôt qu’un Jackass qui se situe surtout dans la douleur et le défi pour la provoquer / surmonter.
    Mais je n’ai pas lu tout le livre.

  4. Oui plus dans un genre "nip tuk" alors ? 🙂
    Le gore plait à certains d’autres y sont réfractaires. Je pense que le lectorat de C.Palahniuk est très large et que chacun l’apprécie pour des raisons différentes donc s’il penche plutôt sur l’une ou l’autre des facettes de son écriture, il va automatiquement décevoir une partie de son lectorat ("Journal intime", plus « paisible » par ex, avait déçu son lectorat plus jeune notamment).

  5. Tiens, j’ai en ai profité pour relire Fight Club en poche. Et alors une chose m’a intriguée : le titre est publié en « Folio SF », « SF » pour Sciences Fiction of course.
    De la SF, Fight Club ? Je ne suis pas du tout un connaisseur du genre, mais il me semble qu’on en est loin.
    Alors je me suis dit que c’était peut-être une manière de l’éditeur d’amortir un peu l’impact du livre pour des jeunes lecteurs en rappelant bien qu’il s’agit de fiction – un peu comme ces avertissements au début de Jackas, qui rappelle qu’on a affaire à des cascadeurs, qu’il faut pas les imiter etc… Et puis « sciences » pour le côté, « ça se passe ailleurs, dans un autre temps, c’est pas comme ça en vrai les enfants », ce qui me semble un non sens total dans la mesure où le récit, je trouve, est très ancré dans une certaine réalité, un quotidien réaliste qui lui donne de la force.
    Alors, Fight Club, de la SF ?

  6. Oui Nicolas ! En effet, comme toi (et d’autres lecteurs) je me suis interrogée sur l’étrange "classification" opérée sur les premiers ouvrages de C.Palahniuk. Par exemple "Survivant" est paru dans la collection Folio policier encore pire !
    Comme le disait Craig Davidson qui s’inscrit dans la même lignée littéraire, aujourd’hui ce nouveau genre est en quelque sorte inclassable. Il le qualifie d’"entre-deux genres". (buzz.litteraire.free.fr/d…
    Ils ont véritablement inventé une nouvelle littérature avec des accents de fantastique et de thriller tout en restant pour autant ancré dans un contexte réaliste et ultra moderne. Pour ma part, je les classe en romans d’anticipation/satire sociale que ce soit Palahniuk ou Davidson. Ce sont des fablistes modernes (genre : fable moderne ?).
    Voilou mais cette question est en effet très intéressant car elle montre leur inventivité. Et comme d’habitude l’édition a un train de retard ! (ouh la méchante !)

    Sinon quelles ont été tes impressions à la relecture de Fight Club ? As tu vu le film également et fais tu partie des puristes qui l’ont détesté ? 😉

  7. D’où le titre de votre rubrique : « Anticipation sociale »…
    Je ne vais pas dire que le livre a vieilli, je vais dire que c’est moi… Beaucoup de choses à prendre cependant, une idée narrative époustouflante.
    Le film… je ne m’en souviens pas très bien, il faudrait que je le revoie dans la foulée.

  8. Oui c’est bien pour cette raison (le nom de la rubrique).
    Un intitulé qui semble le plus juste par rapport à cette nouvelle typologie de livre.
    C’est une parution de la NRF qui m’avait éclairée sur cette "famille" littéraire.
    Qu’en penses tu ? Te semble t’il convenir ?

    C’est dommage pour Fight Club ! Je me demande si ce livre va bien "vieillir"…
    Je trouve qu’il est difficile à relire quand on connaît le pivot central qui fait tout le sel de l’intrigue : la schizophrénie du personnage.
    Quelle est cette idée de génie qui t’a été soufflée (Alexandra curieuse) ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.