Avoir « l’oreille littéraire » selon Régis Jauffret (vidéo)

A l’occasion du colloque « Enjeux contemporains du roman » qui s’est tenu les 26 et 27 janvier derniers à l’initiative de la Maison des écrivains, Régis Jauffret s’est exprimé sur sa conception du « roman », un genre bien controversé ces dernières années (paraît-il même que « le roman français est nul » ou que « la littérature contemporaine est en péril » minée par ses « impasse mortelles » !). Bref, il a su avec intelligence s’extraire des débats stériles pour se pencher sur le coeur littéraire et éviter les considérations périphériques oiseuses. Je retiens plus particulièrement le passage où il a parlé « d’oreille littéraire » par analogie avec l’oeille musicale des musiciens. Une sorte de « précision absolue » pour reprendre ses termes. Un sujet qui a fait écho à quelques réflexions connexes que je m’étais faites récemment justement.

Régis Jauffret fait en effet partie de ces rares écrivains qui écrivent « juste » certes, mais qui vont même au delà. C’est vrai mais c’est plus que vrai.
Leurs phrases et leurs mots retranscrivent la réalité en la rendant encore plus réelle, en soulevant l’impalpable, l’indicible.
Il y a une sorte d’hyper-exactitude, d’hyper-acuité, dans leurs descriptions, dans leur récit qui bouleversent et touchent à quelque chose ancrée inconsciemment en nous. Un écho presque inexplicable.
Une écriture capable d’embrasser toutes les dimensions d’un environnement et des sentiments pour en restituer une profondeur nouvelle, invisible et d’une véracité troublante, insoupçonnée. Et donc souvent violente… La fameuse « métaphore inédite » y est souvent pour beaucoup.
Houellebecq incarne aussi bien sûr cette oreille littéraire parfaite (on parlait d’hyper-réalité à son propos récemment). La prose de Nina Bouraoui dans son premier roman « La voyeuse interdite » m’avait aussi suscité cette impression.

Ces écrivains contemporains (et plus loin dans le temps, on peut également citer Virginia Woolf) possèdent en effet « l’oreille littéraire » : un don, une intuition, un sixième sens (?), cette « petite musique » pour reprendre l’analogie musicale, qui fait toute la force d’un texte romanesque assurément.
Mais laissons parler le maître !

A noter également la recommandation de Régis Jauffret pour comprendre le roman d’aujourd’hui et son évolution au XXIe siècle :
la lecture de Mille plateaux, Capitalisme et schizophrénie (Minuit, 1980) de Deleuze et Guattari, qui définit le mieux, selon lui « la schizophrénie actuelle et future du roman, de l’art et de la société ».




Ajout du 19/02/07 :

17 Commentaires

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  1. Voilà qui est vraiment intéressant, tu mettrais pas la vidéo en entier dans le Buzz + ?

    • folantin sur 7 février 2007 à 16 h 15 min
    • Répondre

    Peut être parce que ça n’en est pas vraiment une, en tout cas c’est plutôt une bonne interview, avec notamment peut être une clef de ces microfictions dans la démultiplication des centres romanesques. Effectivement, le XIXe a un peu oblitéré une tradition des récits à tiroir à la sterne. Le roman comme une entreprise narrative, sur un sujet précis, à charge pour l’oeuvre du romancier dans son ensemble de traduire le foisonnement du réel, (le cas échant appelé comédie humaine).

  2. Rien à voir… Miss Buzz, les emails que je t’envoie me revienne en "erreur"…c normal? 🙂

  3. L’écriture à l’oreille – j’y trouve un écho aussi : je pratique peu la lecture à haute voix, mais à un moment il n’y a plus besoin, on sent vite si la phrase "tient" ou pas, si le rythme est bon, s’il reste des fausses notes…
    J’aime bien aussi sa réflexion sur la non-préméditation : on peut bloquer des heures sur un passage, et un jour il nous vient dans l’oreille et tout vient très vite et on est sûr que c’est juste.
    Ce sont ces passages que je préfère chez Houellebecq, quand on sent que tout est venu d’un coup…
    Cela dit, peut-on vraiment dire que MH écrit "à l’oreille" au sens où l’entend ici Jauffret ? J’ai beau le considérer comme le romancier français le plus important du moment, je trouve franchement que certains passages sont écrits maladroitement (dans "Les particules élémentaires", on confine à l’écriture scolaire).
    Bref : je suis d’accord avec ton idée d’hyper-acuité pour MH et qqs autres, mais pas sûr que c’est à ça que Jauffret faisait allusion. On tient peut-être là deux (beaux) sujets connexes.

    Disons pour faire la synthèse que Houellebecq a une oreille parfaite pour entendre/sentir l’époque, et que de cette oreille naît un style, une musique particulière, assez unique. On devrait pouvoir s’entendre là-dessus 😉

    (heu… pourquoi je dis ça, là ? ça m’a l’air très flou, pardon… à oublier, ou à suivre, c’est selon. et bon WE!)

    • folantin sur 10 février 2007 à 12 h 55 min
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    http://www.liberation.fr/transve...

    Après sa minute de silence à l’abbé pierre, le voici qui soutien françois bayrou.

    Régis je dis attention, à force on ne va plus trop te prendre au sérieux !

    • half a person sur 10 février 2007 à 15 h 20 min
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    Trop drôle sa semaine dans Libé. Je l’adore ce grand couillon tout vouté. Il est tordant. Mouais, mais il ne m’a pas convaincu pour voter à droite, enfin, à l’extrême-centre.

  4. Je me demande si c’est pas ironique, mais comme on n’entend pas le ton de la voix, dans libé… il aurait dû mettre un point d’ironie
    (fr.wikipedia.org/wiki/Ima…

    …sauf que ben voilà, c’est peut-être pas de l’ironie…

    • folantin sur 10 février 2007 à 16 h 43 min
    • Répondre

    Le point d’ironie vraiment ?

    Mais qu’est ce que c’est que cette génération de bouffeurs de smiley handicapés de la syntaxe.

  5. Moi, handicapée de la syntaxe ? Tu plaisantes, j’espère ! C’est de l’ironie, hein ? Parce que la langue, tu ne peux pas dire que je ne la travaille pas. Et puis je n’utilise jamais de smiley, et en plus je suis quand même de l’autre génération, la vieille (37 ans et mon fils aîné va en avoir 16, et lui qui utilise sms smiley etc est très à l’aise avec la syntaxe, l’un n’empêche pas l’autre). Le point d’ironie est très ancien et d’ailleurs abandonné (bien avant les claviers d’ordi, donc difficile à taper ici).

    • folantin sur 10 février 2007 à 17 h 16 min
    • Répondre

    mais est ce travailler la langue que d’en réduire le potentiel d’ambivalence à l’aide d’une ponctuation désuette deux point fermez la parenthèse

  6. …non, je parlais de mon travail de la langue dans les livres (c’est le minima pour publier, il me semble, le travail de la langue). Ici, dans cet espace, je voulais souligner justement cette ambivalence sur Bayrou dans le texte de Jauffret dont je te remercie d’avoir mis le lien car je serais passée à côté. Je doute qu’il soit ironique mais on sait jamais !

    • JOJO sur 10 février 2007 à 20 h 46 min
    • Répondre

    Un doute aussi sur le premier degré concernant Bayrou.
    JJ

  7. Suite à maintenance anti-spam, des commentaires ont été supprimés par erreur sur quelques billets.
    Ici : Démence Picot.

    • Démence Cliquot sur 11 février 2007 à 11 h 25 min
    • Répondre

    DE L’AMBIGUITE CHEZ JAUFFRET.
    Ce qui est intéressant dans ce "Journal du week-end" de Libération du 10 février, rédigé par Régis Jauffret, c’est qu’on n’arrive pas tout à fait à savoir si l’ironie est légère, trop subtile ou un peu bâclée. La preuve : on ne sait pas si le choix de Bayrou est vraiment sérieux ou franchement ironique. En même temps, François Bayrou n’est-il pas déjà un sujet d’ironie à lui tout seul, et sans le secours d’un écrivain…Même ambiguité avec l’auto-promotion de l’auteur pour Micro-fictions: ironie du propos, certes, mais promotion quand même, dans un espace d’expression à priori non promotionnel. Hypermodernité et postcynisme, deux nouvelles mamelles de la littérature conemporaine?

  8. Régis Jauffret et ses Microfictions, ça me rappelle quand même ce viatique que Philippe Delerm se plait à rappeler en privé : "Pour vendre beaucoup, il faut faire court et pas trop compliqué" (ouais, parce que les gens sont cons, faut pas déconner…).

    Pour le reste, quand j’en lis certains se prendre considérablement le chou sur la question hyper pregnante de leur style, alors qu’ils n’en ont guère, ça me fait doucement rigoler.

    Allez les verts, néanmoins.

  9. Emmanuelle: il a été question de toi pendant cette intervention, à la toute fin, l’animateur (un journaliste du Matricule des anges je crois) a loué les mérites de ton dernier roman et a interpellé Régis Jauffret sur le fait que parfois la narratrice pouvait être un narrateur (une inspiration à la "Middlesex" de Jeffrey Eugenides ?), ce qui l’a fortement décontenancé.
    L’organisatrice du colloque m’avait aussi dit qu’elle aurait aimé te convier car elle adorait ton œuvre.

    Merci pr l’info Jauffret/Bayrou !
    Même si mon oreille littéraire en a pâti du coup… Mais j’ai l’habitude
    Je viens d’ailleurs de rebondir sur l’amalgame littérature/politique. La seconde éclipsant trop souvent la 1e à mon goût…
    buzz.litteraire.free.fr/d…

    Note pour plus tard : pensez à prendre un décodeur pour comprendre les messages de Mister Max Léon…

    • Blind sur 11 mars 2007 à 8 h 33 min
    • Répondre

    Un écrivain sans oreille est comme un boxeur sans main gauche, disait Hemingway…

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